dimanche 13 avril 2014

Les Démons à ma porte (Jiang Wen, 2000)



Lors de la seconde guerre mondiale, des hommes non identifiés tapent à la porte de Ma Dasan (Jiang Wen) et lui livrent deux prisonniers, Hanaya (Teruyuki Kagawa) et Dong (Yuan Ding) que Ma Dasan doit cacher jusqu'au retour des visiteurs. Au bout de quelques mois, la dispute s'installe entre Ma Dasan et les villageois : doivent-ils tuer les prisonniers ou les relâcher ?

Si thématiquement Les Démons à ma porte peut vaguement s'apparenter à un cousin chinois du classique La condition de l'homme de Masaki Kobayashi, il ne ressemble en réalité à rien de connu, et surtout pas au cinéma chinois de son époque ; à l'esthétisme clinquant en vigueur il oppose une énergie et une vitalité qui évoquent parfois Emir Kusturica (notamment par la forte présence d'animaux et aux implications comiques qui en résultent). Ici, les rapports entre les personnages virent parfois à l'hystérie, on jure, on crie et on s'enlise dans des débats absurdes qui plus finement que bien des discours didactiques font ressortir l'absurdité de la guerre sino-japonaise. La première séquence d'exécution est interrompue par un cochon, un espoir de fuite des prisonniers passe par un message autour du cou d'un poulet et le film glisse progressivement de la farce paysanne à la farce noire ; on rit jaune puis soudainement on ne rit plus du tout. Les péripéties sont parfois assez délirantes, notamment la recherche du tueur, mais sans jamais faire de l'ombre aux questionnements du cinéaste.



La peinture des différents personnages est absolument brillante. Une horde de paysans un peu limités, au premier rang desquels Jiang Wen lui-même (acteur particulièrement brillant au passage), en charge de deux prisonniers, l'interprète Dong - chinois - et le sergent Hanaya - japonais -. Hanaya est obsédé par la question de l'honneur comme par la volonté de se suicider et passe son temps à insulter les chinois dans un langage savamment traduit par Dong comme une suite de compliments vantant le dévouement de leurs hôtes... Au ridicule primitif des chinois s'oppose le ridicule militariste des japonais et la séquence avec les deux soldats autoritaires à la recherche du poulet est peut-être le plus grand moment de dérision à l'égard de la rigueur nippone depuis la séquence du piano dans Élégie de la bagarre de Suzuki (je me refuse à en dire plus, ceux qui l'ont vu n'auront pas pu oublier). On se demande parfois si le véritable héros du film n'est pas Dong, sympathique trait d'union entre les deux cultures qui n'aura de cesse de modérer les ardeurs des deux cotés. Et si les japonais sont traités avec dureté, la fin n'omet ni le rôle des autorités chinoises ni l'attitude d'une partie de populations et on peut gager que les traits cinglants disséminés ici et là - la prostitution au service de l'occupant, les " artistes " qui chantent les louanges du régime  avant de retourner leur veste dès la capitulation - ne sont probablement pas pour rien dans les accusations d'antipatriotisme formulées contre Jiang Wen, qui lui ont d'ailleurs valu une interdiction de tournage de sept ans et des pressions contre la présence de son film à Cannes. Il ne fait pas toujours bon de confronter un pays à son passé.



Il est sans doute excessif de qualifier Jiang Wen d'anarchiste, mais dans son film les systèmes sont au mieux inefficaces, au pire contre-productifs voire sanguinaires. La fanfare japonaise venant rappeler la toute puissance de leur armée ne fait que couvrir les cris des prisonniers, les " libérateurs " chinois sont prêts à laisser n'importe qui mourir au nom de la raison d'Etat et le soldat raisonnable tant qu'il est isolé n'est jamais aussi cruel que lorsqu'il cherche à retrouver sa place au sein du système.

En un film, Jiang Wen réussit un film de guerre, une comédie, un drame et une fable. Les Démons à ma porte est l'un des très rares chef d'oeuvre du cinéma contemporain issu de la Chine continentale et un sommet inégalé (inégalable ? ) dans la carrière du cinéaste. Si ses deux opus suivants seraient extrêmement décevants sur le plan cinématographique, ils confirmeraient le fait que Jiang Wen est irrécupérable pour le régime, d'ou l'espoir persistant qu'il revienne un jour au niveau de ses deux premiers essais. On a envie d'y croire.

2 commentaires:

  1. Une petite faute: Koabayashi au lieu de Kobayashi.
    Très grand film, mais je suis pas vraiment entré dedans et le combo camara ultra mobile/bridés qui se crient dessus n'était pas très valorisé par les conditions de visionnage et ma fatigue. C'est pas de bol pour moi.

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