vendredi 4 avril 2014

A Colt is my passport (Takashi Nomura, 1967)




Un tueur à gages, Shuji (Jo Shishido) est engagé pour éliminer un industriel. Il s'acquitte de sa mission mais devient traqué à la fois par les hommes de sa victime et par ses anciens employeurs, désireux de l'éliminer afin d'apaiser les tensions. Ils capturent son associé Shun (Jerry Fujio) et font pression sur Shuji pour qu'il accepte un rendez-vous avec eux. 

Nous n'avons pas pu voir Cruel Gun Story mais parmi les quatre autres films du coffret Eclipse consacré à la Nikkatsu, celui de Nomura est à la fois le plus convaincant et le plus agréable à regarder. Pourtant, le moins qu'on puisse dire est que formellement, on est très loin d'une oeuvre irréprochable. Les ellipses sont brutales et donnent l'impression qu'on a coupé des bouts du film au montage, les zooms sont systématiquement brouillons et il suffit de comparer la mise en scène à celle de La Marque du tueur réalisé pour le studio la même année par Seijun Suzuki pour voir la différence entre un sympathique artisan et un grand cinéaste ; mais si les deux films partagent au départ un sujet proche (la lutte entre un tueur à gages et sa propre organisation) très vite leurs chemins divergent. Suzuki multipliait les recherches formelles (un dialogue entre deux personnages ou l'un est en plein soleil et l'autre sous la pluie, par exemple) tandis que Nomura produit un polar décontracté à mi-chemin entre une certaine tendance du film noir américain des années 60 (qui culminera avec Le Privé de Robert Altman par exemple) et le western spaghetti. Les films du coffret Nikkatsu étaient souvent un peu cérémonieux et empesés, celui-ci est détendu et alerte, ce qui fait que les - nombreux - défauts cinématographiques s'estompent devant le plaisir de spectateur, d'autant plus qu'A colt is my passport a le très bon gout d’être exempt de temps morts.



L'attrait principal de ce A colt is my passport, c'est Jo Shishido, l'un des acteurs au charisme le plus étrange de tous les temps. Sorte de jeune premier japonais doté de joues de hamster, il vampirise l'écran y compris lorsqu'il ne fait rien et possède un magnétisme incroyable en plus de donner irrémédiablement une teinte comique à ses interprétations. Les influences coté western donnent aux film deux de ses éléments les plus agréables : la musique vaguement morriconienne, superbe, et l'affrontement final dans le désert (tiens, tiens) qui évoque forcément Sergio Leone. La relation entre Shishido et la jeune fille " complice " est traitée avec beaucoup de retenue (c'est même le sbire de Shishido qui doit se dévouer pour faire une petite chanson d'amour à la guitare), presque trop tant il y a un monde entre les dialogues trop démonstratifs d'I am waiting et le mutisme d'A colt is my passport. Au moins on ne s’embarrasse pas d'éléments inutiles et l'intrigue file à tout vitesse pour se régler en une heure vingt dont un final mémorable alors qu'il ne dure certes que quelques minutes, mais remplies d'excellentes idées (Shishido qui se fait foncer dessus par une voiture et s'en tire en se cachant dans la tombe qu'il a lui-même creusé).



Historiquement, A Colt is my passport révèle les changements opérés au sein du cinéma de genre nippon. Précédemment plutôt influencé par le cinéma américain classique ou les polars français signés Melville ou Verneuil, il s'oriente progressivement vers un style d'exploitation plus proche des productions italiennes et en 1969 un chambara moderne comme Goyokin dialoguera étonnamment avec un western comme Le grand silence. Aux outrances spaghetti répondront les Baby Cart et les Sasori, les deux pays connaissant une période d'intense créativité lors des années 70. Sans atteindre leur niveau d'exubérance, A Colt is my passport est un grand coup de pied dans la fourmilière porté par d'excellents acteurs et une photographie en noir et blanc magnifique. La preuve encore une fois que le débat sur la pureté supposé du cinéma japonais n'a pas lieu d’être, et la preuve également que parfois il n'y a pas besoin de faire du grand cinéma pour donner des films mémorables et jouissifs.

2 commentaires:

  1. La marque du Tueur était sur ma liste depuis longtemps(peut être ce W.E. ,si j'ai le temps), mais ce A colt is my passport s'y ajoute direct. Et j'ai aussi Goyokin à voir, bordel, ça n'en finit jamais!!! :)))

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  2. Alors, si je peux me permettre un conseil : si tu n'as pas encore vu de Suzuki, évite La Marque du tueur en premier, je te conseillerais plutot de commencer par La Jeunesse de la bete, La Vie d'un tatoué voir La Carrière de la chair. Le Vagabond de Tokyo et La Marque du tueur, c'est du pétage de plombs à un stade assez avancé et tu risquerais de te demander au bout d'un moment ce que tu fais là - enfin ça avait été mon cas puisque justement la Marque du tueur fut mon premier Suzuki il y a déjà six ou sept ans -.

    Par contre, A colt is my passport ça passe comme une lettre à la poste.

    Et oui, la wishlist ne fait que se remplir, c'est une catastrophe. L'avantage de faire ce blog, c'est que ça m'oblige à écrire au fur et à mesure et du coup ça m'évite les journées à 7 films comme j'ai pu en faire à une époque...

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