vendredi 28 février 2014

L'Incinérateur de cadavres (Juraj Herz, 1969)



Kopfrkingl (Rudolf Hruzinsky), le directeur d'un crématorium en république tchèque, apprend par un ami qu'il serait apparenté aux allemands. Après l'arrivée des troupes nazies, Kopfrkingl se met à rêver d'une société purifiée de ses éléments indésirables, ce qui inclue également sa femme, son fils et sa fille. Son travail d'incinérateur pourrait être la clé de voûte de son élévation sociale. 

Raconter l'histoire ne permet pas de rendre justice à un film il est vrai aussi dur à critiquer qu'à résumer ; en réalité, l'action s'y fait très rare et contrairement à d'autres films sur la folie humaine et l’ultra-violence (Orange Mécanique, Les Chiens de paille) L'Incinérateur de cadavres est une oeuvre très attentiste ou l'action à proprement parler ne débute qu'au bout d'une heure. Peut-être est-il plus judicieux de l'appréhender comme la description d'un paysage mental complètement perturbé, celui d'un personnage principal qui sous des dehors bonhommes et souriants dissimule un projet d'une folie totale et meurtrière. On est ainsi en présence d'une comédie noire qui pousse le spectateur dans les limites les plus extrêmes de l'humour malsain, et si les références à Kafka sont un cliché lorsqu'on étudie le cinéma ou la littérature tchèque, il faut reconnaître que l'ironie de Juraj Herz fait beaucoup penser à celle de l'auteur du Château. Les personnages secondaires sont soit exagérément passifs (la femme et le fils), soit grotesques (l'allemand, le couple dont la femme crie toujours sans raison) et l'anti-héros multiplie les attitudes incohérentes et contradictoires : on le voit ainsi faire l'éloge de la rigueur morale après s'être rendu chez des prostituées, préserver la " pureté " de ses enfants quelques minutes avant de les massacrer ou reprocher à son fils son amitié avec un boxeur juif alors qu'il le trouvait trop efféminé quelques minutes avant. Sans transformer son récit en pamphlet didactique, Herz instaure une mise à distance suffisamment forte pour ne jamais être suspect de complaisance envers son personnage principal, d'autant plus que ses actions sont majoritairement suggérées. Si le discours sur le nazisme est sans doute daté, il est dommage que l'amorce de critique de la mécanisation soit en revanche trop vite évacuée (à la base, Kopfrkingl est convaincu qu'une société automatisée permettra d'éviter la souffrance humaine).



La mise en scène d'Herz est aussi viscérale que dérangeante. Plus que par ce qu'il montre, c'est par ses choix de cadres biscornus, par ses effets de montage rapides ou par son emploi de la musique morbide de Zdenek Liska qu'Herz provoque le malaise dès la séquence introductive. Certains mouvements de caméra sont indiscutablement virtuoses (les deux passages en vue subjective, quand le narrateur poursuit sa femme puis sa fille) et Rudolf Hruzinsky crée un personnage de cinéma absolument unique, génocidaire dans la bonne humeur et la courtoisie et ne voyant nulle part plus de poésie que dans un corps calciné. Contrairement à de nombreux films-chocs, L'Incinérateur de cadavres ne cherche jamais le réalisme cru mais au contraire multiplie les étrangetés qui donnent le sentiment de regarder une farce macabre se déroulant dans un climat d'absurdité générale.



Si L'Incinérateur de cadavres est un film profondément original, marquant et doté d'une mise en scène parfois pratiquement expérimentale, il demeure quelques petites imperfections ternissant l'impression générale. En plus des limites du discours que l'on a déjà évoquées, le rythme se fait très languissant lors des deux premiers tiers et en dehors de quelques très belles séquences - magnifique moment presque bergmanien lors de la visite d'une sorte de musée de cire - on attend trop souvent que l'intrigue progresse enfin. Toute la fascination formelle provoquée par le film, notamment par le biais de transitions abruptes et de faux raccords volontaires que n'aurait pas renié Jean-Luc Godard, se fait souvent au détriment de l'histoire même si d'autres loueront avec raison la volonté du réalisateur de faire ressentir le malaise plutôt par la mise en scène que par la narration. Quoi qu'il en soit, L'Incinérateur de cadavres est un incontournable du cinéma tchèque que tout cinéphile curieux se doit d'avoir visionné.

mercredi 26 février 2014

The Temple of the red lotus (Chui Chang Wang, 1965)





Little Wu (Jimmy Wang Yu) doit épouser Lianzhu (Chin Ping) qui vit dans un temple avec sa famille. A l'arrivée de Wu, la succession d'attaques provenant du clan du lotus rouge amène une méfiance entre Wu et sa future belle-famille, conduisant Lianzhu et Wu à partir ensemble à l'aventure pour éliminer le clan du lotus rouge, également responsables de la mort des parents de Wu.

Premier grand film d'arts martiaux pour la mythique Shaw Brothers et un jalon considérable dans l'histoire du wu xia pian ; il faut ici rappeler qu'à l'origine, les frères Shaw produisaient de l'opéra chinois et que ce Temple of the red lotus est le témoin d'une sorte de passation de pouvoir, avec une intrigue mêlant kung-fu et romance à l'eau de rose, vengeance et mélodrame. Ainsi, loin de ses futurs rôles de dur à cuire mono-expressif, Wang Yu incarne un jeune combattant naïf et inexpérimenté qui n'a de cesse de commettre des erreurs d'appréciation et de se faire surprendre par les fourberies des ennemis. Si a priori l'identification est favorisée par ce type d'approche, il faut admettre que le film franchit trop souvent la barrière entre naïveté et niaiserie et que l'afflux de bons sentiments plonge le second tiers dans un ventre mou plus que conséquent. Une fois leur amour révélé, Wang Yu et Ching Ping décident de partir mais doivent pour cela affronter les membres de la famille de Chin Ping un par un ; le déroulement est toujours le même (les amoureux perdent mais leur adversaire les laisse partir devant l'évidence de leur amour après avoir hésité à tuer Wang Yu) et autant ce type d'effets est acceptable une fois ou deux, autant il devient insupportable lorsqu'il est répété cinq fois de suite, surtout que l'on est impatient de les voir quitter le temple pour affronter des ennemis un peu plus effrayants. C'est d'autant plus dommage que sur une heure et demie, on ne verra ainsi nos héros affronter le temple du lotus rouge que lors des dix minutes de fin, le film se terminant par une fin ouverte un peu frustrante - il connaîtra d'ailleurs deux suites -.



Un autre défaut réside dans la prestation pénible de Wang Yu qui à force d'étonnement perpétuel et de surprise feinte rend son personnage un peu pénible ; il est en revanche entouré d'un superbe casting de comédiens de la Shaw Brothers (Tien Feng, Ivy Ling Po, Wu Ma, Ku Feng) desquels émerge notamment un déjà excellent Lo Lieh dont la prestation sauve la dernière épreuve des amoureux. On note aussi la présence des deux futurs chorégraphes de Chang Cheh : Tang Chia et Liu Chia-Liang ; il est toutefois difficile de déterminer qui est responsable des chorégraphies, ici plutôt médiocres et loin de ce que les deux montreront tant ensemble qu'en solo. Le film est globalement platement mis en scène et seul émerge un très beau combat final, par ailleurs annonciateur du wu xia pian selon Chang Cheh (qui travailla comme superviseur sur Temple of the red lotus) avec de beaux travellings latéraux et une prestation martiale de Wang Yu largement plus convaincante que ses moues. On est aussi un peu surpris par sa violence graphique, peut-être liée à l'influence japonaise et aux chambaras révoltés en vogue à l'époque. Néanmoins, il est dommage que contrairement à ce que saura très bien faire Chang Cheh, les combats ne soient pas chargés ici de l'intensité dramatique nécessaire ; on sauvera toutefois une très belle photographie et d'excellents décors qui n'ont rien à envier aux productions plus réputées de la Shaw.



Ainsi, The Temple of the red lotus, sans être un mauvais film, demeure un jalon historique essentiel mais légitimement écrasé par le poids de sa descendance beaucoup plus aboutie artistiquement, tant côté King Hu (L'Hirondelle d'or sorti un an plus tard) que Chang Cheh (Un seul bras les tua tous en 1967, avec encore une fois Jimmy Wang Yu). Il permet aussi a contrario de mesurer le talent de ces cinéastes tant l'écart entre le lyrisme de leurs mises en scène et l'académisme de celle de Chui Chang Wang apparaît flagrant. A noter qu'en dépit d'un titre similaire, Le Temple du lotus rouge signé par Ringo Lam en 1994, vraisemblablement inspiré de la même histoire, n'entretient pourtant aucun réel rapport avec la version 1965 et a d'ailleurs le célèbre Fong Sai-Yuk comme personnage principal.


dimanche 23 février 2014

La Vengeance d'Hercule (Vittorio Cottafavi, 1960)



Hercule (Mark Forest) revient vainqueur du dernier de ses travaux, l'affrontement contre Cerbère. Dans la ville d'Ecalia ou Illo, le fils d'Hercule, convoite la jeune Thea, le souverain usurpateur Euritos (Broderick Crawford) complote contre Hercule ; il envoie la belle esclave Alsinoe (Wandisa Guida) provoquer un conflit mortel entre le père et le fils.

Dès l'arrivée d'Hercule aux Enfers, on est frappé par la ressemblance entre le Cerbère très laid qu'affrontera Mark Forest et " l'hydre " des Amours d'Hercule ; mais l'autre surprise, c'est de voir comment deux cinéastes compensent chacun à leur manière des effets spéciaux ratés et des bestioles pas effrayantes pour un sou. Là ou Bragaglia semblait poser sa caméra et attendre que quelque chose se passe, le dynamisme de la mise en scène de Cottafavi, la conviction de Mark Forest et surtout l'intelligence d'un montage rapide qui laisse suggérer au maximum et évite l'abus de plans sur le Cerbère font qu'une scène potentiellement grotesque se transforme en moment de cinéma convenable.



Pourtant, cette Vengeance d'Hercule regorge de créatures improbables. Hercule affrontera ainsi un homme-chauve-souris géant, un curieux centaure bipède ou une sorte d'homme-ours qu'il est difficile de voir s'agiter aujourd'hui sans esquisser un sourire. Là encore, Cottafavi a systématiquement l'heureuse idée de ne pas trop s'attarder dessus. Beaucoup plus réussies sont les séquences incluant de vrais animaux avec un puits à serpents et surtout, une scène de torture marquante durant laquelle les victimes sont attachées par terre jusqu'à ce qu'un éléphant ne leur broie les os. Le sadisme raffiné du cinéaste s'accorde très bien à un suspens savamment dosé.

L'excellente surprise, c'est Mark Forest, un des rares culturistes également doté d'une formation d'acteur. Elle se voit et ici, il ne cède en rien à l'emblématique Steve Reeves, aussi à l'aise en poussant des blocs de marbre que lors des scènes dramatiques. On peut fortement regretter qu'il s'agisse de son unique incarnation d'Hercule d'autant plus que Broderick Crawford incarne un méchant crédible et convaincant. Dans l'ensemble, le casting est tout à fait à la hauteur si l'on excepte Sandro Moretti en Illo pleurnichard et tête à claques.



Le scénario de La Vengeance d'Hercule est l'un des plus curieux parmi les péplums italiens de l'époque, car il est beaucoup moins centré sur les exploits d'Hercule que sur les complots contre lui et les diverses manœuvres politiques. Ce parti pris risqué fonctionne plutôt bien du fait que souvent, les retournements de situation surprennent vraiment et permettent aux personnages de ne pas être réduits au stade de pantins de la mécanique narrative. Par exemple, alors que l'on s'attend à une rapide exécution d'Illo, le conseiller d'Eurito parvient à le convaincre qu'il est plus efficace de le monter contre son père (et l'air de rien, ce n'est pas si souvent que les méchants d'un péplum semblent dotés d'intelligence). De même, la séquence durant laquelle Illo est prêt à empoisonner son père malgré lui semble cousue de fil blanc jusqu'à ce qu'une prière d'Alsinoe ne change la donne tout en réconciliant temporairement le père et le fils. Cette capacité à faire agir les seconds rôles et à donner du corps aux personnages secondaires pourtant nombreux ne va parfois sans une certaine confusion, mais arrive à rendre le film encore plus intéressant lors des scènes de palais que lors des moments d'action. Le sens du cadre de Cottafavi, un brin d'humour et un très beau visuel (magnifiques séquences avec la sibylle dignes de Mario Bava) font le reste, sans oublier la très intéressante dimension trafique de la fin. Il faut ajouter qu'il s'agit d'un des péplums avec le plus grand nombre de personnages féminins, tous intéressants avec en tête de ligne l’ambiguë Alsinoe.

Sans ses monstres en caoutchouc douteux, La Vengeance d'Hercule aurait pu être l'une des rares éclatantes réussites du péplum transalpin. Au lieu de cela, il s'agit d'une sympathique réussite de Cottafavi qui allait enchaîner avec le plus fameux des péplums herculéens : Hercule à la conquête de l'Atlantide.

samedi 22 février 2014

Last Seduction II (Terry Marcel, 1999)



Bridget (Joan Severance) est recherchée par le père de son amant, Mike, qui croupit en prison pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Il engage Murphy (Beth Goddard), une détective privée, pour retrouver Bridget en Espagne ou celle-ci devient la maîtresse de Troy (Con O'Neill), un patron de bar également chef d'une entreprise de téléphone rose.

Il est toujours délicat de juger la suite d'un film à succès ; entre les deux écueils à éviter, la reprise trop appliquée d'éléments du film original et la trahison totale, demeure une zone grise dans laquelle le spectateur est apte à se prononcer sur l'intérêt de la séquelle. Ici, on est face à un film reprenant en apparence les éléments mis en place par Last Seduction (la femme fatale, les hommes idiots et manipulés) à ceci près qu'ils sont totalement vidés de leur sens initial. La Bridget campée par Linda Fiorentino tirait sa force à la fois de sa sécheresse, de son égoïsme absolu et de l'absence de psychologie venant expliquer sa cruauté. Celle de Joan Severance est une banale opportuniste sans grand intérêt qui coince un redoutable salaud (là ou Bill Pullman et Peter Berg étaient avant tout des victimes dans le premier opus) pour lequel le spectateur ne peut qu'éprouver une antipathie totale ; on le verra notamment frapper une femme enceinte à grands coups de poing dans la tête. Tout cela contribue en réalité à un très fort affadissement de l'histoire : en justifiant la cause et les actions de l'héroïne, en vidant celle-ci de tous les aspects sadiques et impitoyables qui la caractérisaient, Terry Marcel transforme un polar original en histoire de manipulation dans laquelle les protagonistes ont toutes les peines du monde à exister, y compris une Bridget dont le charme semble s'être évaporé en dépit des affolantes tenus portées par Joan Severance.



Deux idées auraient pu sauver ce Last Seduction II de l'ennui. La première consistait à transformer Bridget en une sorte de symbole de l'émancipation des femmes (Troy tyrannise ses employées) en leur offrant une revanche sur leur despotique patron. En contradiction totale avec le premier film, cette idée est de toute manière zappée par un scénario sans rigueur qui semble oublier la moitié de ses personnages en route (le caïd cocainé disparaît ainsi du récit n'importe comment, tandis qu'au bout de dix minutes les commanditaires de Murphy ne donnent plus signe de vie).
Plus captivant a priori, le fait d'opposer une autre femme usant de méthodes similaires à Bridget permettait de lui donner une adversaire beaucoup plus intéressante que la cohorte de bellâtres incapables de réflexion. Problèmes : d'une part, la confrontation se fait de manière unilatérale et Beth Goddard passe toute la fin du film à subir les manipulations de Bridget sans jamais sembler en mesure de l'inquiéter. D'autre part, la traque de Bridget par Murphy est d'un inintérêt à peu près total et donne lieu à des scènes pour le moins grotesques (Murohy qui casse le nez du caïd devant des sbires qui n'ont pas l'idée de bouger).



Bref, le scénario de ce Last Seduction II est très problématique, mais c'est peu dire qu'il n'est pas rattrapé par la mise en scène. Ultra-scolaire 95 % du temps, elle semble ne connaitre qu'un seul effet de style, le ralenti, dont les emplois sont ici d'une laideur rare en plus d'être racoleurs et inappropriés. Le film se traîne à vitesse d'escargot et la musique casse les oreilles, enfin si Joan Severance est à peu près convenable en copie carbone de Linda Fiorentino, Con O'Neill et Beth Goddard manquent énormément de présence. Le grand face-à-face dans la chambre d'hôtel est cruellement dénué de tension et le fait de chaperonner les deux femmes d'un sbire passif et ventripotent n'aide pas beaucoup à donner un sentiment de nervosité. Au final, cette séquelle ratée d'un très bon polar est une sorte de démonstration par l'absurde du talent tant de John Dahl que de Linda Fiorentino, en dépit d'une carrière très erratique de l'actrice et du réalisateur depuis. En l'état, un film parfaitement dispensable.

vendredi 21 février 2014

Companeros (Sergio Corbucci, 1970)



Vasco (Tomas Milian), un pauvre peone mexicain, se retrouve après un quiproquo embarqué dans la révolution zapatiste. Il rencontre un suédois, Yodlaf Peterson (Franco Nero) avec lequel Vasco s'associe pour retrouver le professeur Xantos (Fernando Rey) qui détient la clé d'un coffre contenant le trésor révolutionnaire. En chemin, ils rencontre John (Jack Palance), un ennemi mortel du suédois qui n'aura de cesse de les poursuivre.

La scène introductive mérite d'être détaillée : des paysans sont contraints de voter pour Diaz sous contrôle de soldats. Le premier à refuser et à soutenir Xantos est directement fusillé contre un mur ensanglanté ; lorsqu'un officier demande à Vasco pour qui il vote, celui-ci refuse de répondre, à la suite de quoi une bagarre dans laquelle Vasco tue l'officier déclenche une révolte. Les hommes de Diaz sont tués par des cavaliers arrivés au dernier moment, un jeune homme crie " vive Xantos " et est immédiatement abattu par le chef des cavaliers, en réalité un profiteur de guerre.

Tout Companeros se trouve déjà dans cette scène : les incessants retournements de situation qui donnent au film sa dimension picaresque (les rapports entre Nero et Milian ne cessent de changer, tout comme leurs positions "sociales" ), la complexité du discours politique qui sans nier la légitimité révolutionnaire questionne sa mise en pratique, et cet humour très noir de Corbucci chez lequel les figurants tombent comme des mouches. Le film oppose très intelligemment une figure idéaliste (Fernando Rey) au cynisme d'un anti-héros uniquement motivé par l'argent (Franco Nero), le peone illettré opérant au final une synthèse de l'idéal de l'un et des méthodes de l'autre.



Dans la carrière de Corbucci, Companeros est le second opus d'une trilogie consacrée à la révolution mexicaine, entamée par le très bon Le Mercenaire avec déjà Franco Nero et Jack Palance et se concluant par un Mais qu'est ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? introuvable dans nos contrées. Sans avoir vu ce dernier, on peut toutefois remarquer la progression du discours politique : là ou Le Mercenaire se terminait sur un abandon de la cause par Franco Nero, ici au contraire la séquence finale sera l'occasion pour celui-ci d'embrasser l'idéal révolutionnaire avec une joie non dissimulée. On retrouve également une euphorisante séquence à la mitrailleuse façon Django et des tortures à la cruauté et à l'inventivité typiques du cinéaste. La manière dont l'interventionnisme américain est dénoncé (ils acceptent de soutenir la révolution pour peu que leurs intérêts privés soient conservés) s'inscrit dans la lignée du premier grand western zapata italien, le superbe El Chuncho de Damiano Damiani. Curieusement, le visionnage de la version non censurée n'apporte guère plus de violence que celle du DVD français, en revanche le montage est légèrement moins abrupt tout en demeurant le principal point faible du film.




Le quatuor d'acteurs est l'un des plus beaux du western spaghettis et ils justifient le visionnage à eux seuls. Nero reprend à peu près son rôle du Mercenaire avec une décontraction loin de sa gravité dans Django, Milian restera la meilleure incarnation italienne du peone et loin de Bunuel, Fernando Rey fait un parfait universitaire idéaliste et détaché de la réalité (superbe réplique de Nero " En théorie vous avez toujours raison. En pratique... "). Mais la prestation la plus mémorable est certainement celle de Jack Palance en tueur maniéré assisté d'un faucon - qui connaîtra un destin aussi funeste qu'hilarant - doté d'une main mécanique ! S'ajoutent à tout cela une formidable bande-originale de Morricone, beaucoup de gags faisant mouche (Vasco qui tire dans le tas après avoir pris un appareil photo pour une arme, le malaise du suédois lors de sa rencontre avec John) et une mise en scène remarquable de dynamisme du meilleur réalisateur de westerns italiens après Leone. Un des fleurons du genre, et à mes yeux le plus beau Corbucci après son chef d'oeuvre Le Grand Silence.

mercredi 19 février 2014

Le Mystère du château de Blackmoor (Harald Reinl, 1963)



Lucius Clark, un vieillard en voie d'être anobli, reçoit la visite d'un mystérieux tueur encagoulé à la recherche de diamants que Clark aurait volé à Mannings, son associé décédé depuis. L'assassin fait comprendre à Clark qu'il pourrait s'en prendre à sa nièce Claridge (Karin Dor), une journaliste indépendante et courageuse. L'inspecteur Jeff Mitchell (Harry Riebauer) mène l'enquête tandis que l'atmosphère devient très pesante dans la demeure de Clark, le château de Blackmoor.

Ce krimi une nouvelle fois signé du spécialiste du genre Harald Reinl est encore moins convaincant que son inaugural La Grenouille attaque Scotland Yard. On retrouve des personnages stéréotypés (le vieillard au passé trouble, sa nièce volontaire et intrépide, un policier ironique et une galerie de seconds rôles aux motivations floues) mais le tout est mené avec un tel statisme et une telle absence d'envergure qu'on compte les minutes d'une oeuvre n'en contenant pourtant qu'à peine 84. Les seconds couteaux ayant fait la renommée des krimis, Klaus Kinski et Eddi Arent, sont ici aux abonnés absents et l'on doit se contenter d'habitués moins étincelants, la belle mais moyennement convaincante Karin Dor et le fade Harry Riebauer, sans parler d'un très mauvais Walter Giller en aristocrate excentrique ; échappe toutefois au massacre Dieter Eppler en repris de justice obsédé par les diamants. On ne nous épargne ni une intrigue longuette qui ne semble jamais décoller ni les fausses pistes trop évidentes (Walter Giller qui arrive toujours sur les lieux trente secondes après la fuite du méchant). Les diverses absurdités s’enchaînent et après Lucius Clark qui tire six balles sur l'homme masqué à deux mètres de lui sans le toucher, on découvrira que l'Allemagne est décidément avare en tireurs d'élite lorsque l'assassin armé d'une mitraillette réussira à rater trois personnes juste devant lui sur une autoroute éclairée ; à sa décharge, s'arrêter de tirer toutes les cinq secondes n'est sans doute pas la stratégie optimale. Seules quelques outrances graphiques (le motard décapité nous renvoie aux bons souvenirs de la femme mitraillée à bout portant dans La Grenouille attaque Scotland Yard) arrivent à extraire ce krimi du ventre mou du polar.



On peut pardonner tous les clichés au monde pourvu qu'ils soient mis en scène avec brio. Harald Reinl est malheureusement pour nous un artisan au style académique dépourvu de l'imagination de Feuillade ou du génie stylistique d'Argento. Les quelques éléments comiques généralement amenés par Walter Giller sont désastreux et on en vient souvent à avoir l'impression que tout ce beau monde est complètement idiot ; entre l'assassin qui fait franchement n'importe quoi (il laisse ses empreintes sur le premier cadavre pour bien qu'on sache qu'il lui manque un doigt mais décapite le second pour le cacher) et des méthodes policières tout à fait pertinentes (on identifie la maison du suspect sans demander à quiconque comment il s'appelle, sans appeler de renforts car à deux on ne risque pas de le voir s'enfuir) il arrive vite que la suspension d'incrédulité ne fasse plus effet et qu'on se désintéresse totalement de ce qui se passe à l'écran, les deux facteurs capables d'impliquer le spectateur (une réelle rigueur scénaristique ou une forte implication émotionnelle) n'étant pas du tout présents ici. De même, au bout de la dixième fuite du méchant dans un marais on en vient à haïr cette paresse narrative, d'autant plus qu'ici Reinl fait durer cinq bonnes minutes une séquence dont on connait déjà la fin.


Le Mystère du château de Blackmoor est un très mauvais krimi qui ne brille ni par ses acteurs ni par son ambiance ni par sa mise en scène, et sûrement pas par ses qualités scénaristiques. Quitte à se contenter d'un mauvais script, il eût fallu la démesure et l'ambition esthétique qu'appliqueront les italiens dans leurs gialli pour maintenir un minimum l'intérêt du public ; reste toutefois à voir si Harald Reinl oeuvra avec plus de réussite dans le domaine mythologique (ses Nibelungen) ou dans celui du western (sa sage Winnetou).

lundi 17 février 2014

La Forteresse noire (Michael Mann, 1983)




Roumanie, 1941. Un groupe de soldats allemands dirigés par le capitaine Woermann (Jurgen Prochnow) s'empare d'une mystérieuse forteresse. A la suite d'un pillage par les soldats, une brèche est ouverte et une étrange créature commence à s'attaquer aux allemands. Le major Kaempffer (Gabriel Byrne) sollicite l'aide d'un vieux savant juif, Cuza (Ian McKellen) tandis qu'un homme étrange, Glaeken (Scott Glenn) semble très bien renseigné sur le monstre.

Unique tentative de Mann dans le cinéma fantastique à ce jour, La Forteresse noire est de loin son film le moins apprécié des cinéphiles, considéré comme le raté d'une filmographie de haut niveau et un sommet d'esthétique 80's dans le pire sens du terme. Quelques irréductibles y voient en revanche un fascinant grand film malade, invoquant les difficultés connues lors du tournage et un remontage par les studios l'ayant amputé de plus de la moitié de sa durée initiale. Sans chercher à accabler ni à justifier quiconque et en se concentrant sur le résultat fini, on découvre une oeuvre qui n'est ni un insupportable ratage ni une réussite, mais un très curieux film bancal alternant des grands moments de cinéma et les scènes les plus embarrassantes jamais vues chez Mann.



Le scénario opposé ainsi deux figures maléfiques, celle du nazisme et celle du monstre, la première ayant engendré la seconde qui s'en nourrit ; il n'est sans doute pas anecdotique que le démon soit matérialisé par une sorte de golem, mythe protecteur du peuple juif qui dupe ici le professeur Cuza en lui promettant non pas l'immortalité ou l'or mais la destruction du nazisme. C'est donc un film complexe et ambigu sur le plan moral car le mal est produit par des intentions louables, et propagé par les victimes d'un autre mal qui serait son corollaire. Malheureusement, ces belles intentions sur le papier pâtissent d'un traitement pour le moins curieux des personnages. Glaeken sort de nulle part et ses pouvoirs ne sont pas réellement expliqués, d'ou un personnage qui en dépit d'une utilité cruciale dans le récit n'attire pas du tout l'empathie. Au contraire, Woermann est fondamentalement inactif et ne fait jamais quoi que ce soit d'un tant soit peu conséquent, sa disparition du récit donnant franchement l'impression que de nombreuses scènes cruciales ont été coupées au montage. La relation d'amour entre la fille de Cuza et Glaeken comme la rivalité Woermann-Kaempffer pâtissent de ces choix narratifs et on se retrouve malheureusement à observer des personnages désincarnés s'agiter devant nous. A tout ceci s'ajoutent des effets de laser complètement ratés, des ralentis encore bien plus hors de propos que lors de la fin du Solitaire et un design du monstre flirtant avec le ridicule. Certes, mais il n'y a pas que ça.



La Forteresse Noire, c'est aussi un score hypnotique de Tangerine Dream, daté mais se mariant très bien à l'action. C'est une poignée d'excellentes scènes (la confrontation entre le golem Molasar et Cuza, le superbe travelling arrière dans la grotte révélant la présence du monstre, la mémorable tentative de fuite de Gabriel Byrne dans le brouillard), c'est une fin dont la dureté retrouve certains thèmes chers au cinéaste (l'abandon de la figure aimée pour accomplir son devoir), c'est un quatuor d'excellents acteurs et une ambiance onirique que les diverses faut de gout esthétiques n'altèrent pas totalement.

Au final, La Forteresse Noire nous fait rêver moins par ce que le film est que par ce qu'il aurait pu être en bénéficiant d'un montage plus cohérent et de la durée initiale souhaitée par Mann ; en l'état, l'on se sent un peu comme les spectateurs ayant découvert en 1984 un Il était une fois en Amérique " remis en ordre ", ou ceux de la version courte de La Porte du paradis ; il nous faut néanmoins admettre qu'esthétiquement, Mann est ici très en-dessous des œuvres pré-citées. Il n'en demeure pas moins que La Forteresse Noire n'est pas du tout le nanar vilipendé ici et là, et que tout en étant le plus mauvais film de Michael Mann il est loin d'être dénué de grands moments. Bancal, onirique et fascinant.


dimanche 16 février 2014

Brutal tales of chivalry 3 (Kiyoshi Saeki, 1966)


Shigejiro (Ken Takakura) sort de prison après avoir tué des yakuzas responsables de la mort de son oybaun. Il échappe à une embuscade avec l'aide de Katsuragi (Ryo Ikebe), qui se trouve être l'assassin recherché par Shigejiro. Pendant ce temps, un clan yakuza s'en prend à la fois à un syndicat de pécheurs et à une troupe de théâtre dont fait partie Matsu, un ancien membre du clan de Shigejiro. 

La beauté de ce troisième opus ne vient pas de son scénario qui reprend beaucoup d'éléments des précédents volets et du ninkyo-eiga en général. La relation entre Takakura et Ikebe est ainsi calquée sur celle du deuxième opus en version inversée (c'est maintenant Ikebe et non Takakura le tueur repenti) tandis que le rapport père-fille difficile autour de l'oyabun du bon clan est à peu de choses près identique à celui du premier film. On retrouve de nombreux éléments récurrents (le plan sur Ken Takakura révélant son tatouage, le duel avorté, les séquences de saccage par les mauvais yakuzas, les scènes de recueillement sur une tombe) avec ici une efficacité dramaturgique accrue. Kiyoshi Saeki a l'intelligence de diminuer film après film son héros, insistant moins sur sa qualité de combattant que sur sa bonté humaine et son souhait de compenser ses erreurs passées en prenant soin de son entourage, notamment la veuve d'un de ses amis. Pour le première fois, Ken Takakura est défait en duel - superbe plan sur le visage de l'acteur comprenant que Ryo Ikebe retient ses coups pour ne pas le tuer - ce qui enrichit sa relation avec son vis-à-vis dans le mauvais clan. De même, Saeki fait intervenir son personnage relativement tard et il faut attendre plusieurs meurtres crapuleux et destructions de biens pour qu'il accepte d'aller régler ses comptes ; ce choix d'une catharsis très forte fonctionne mieux que dans les précédents opus grâce à la maîtrise accrue du réalisateur, qui signe ici son plus beau combat final, une très belle réussite du genre.


Si les habituels Takakura et Ikebe connaissent désormais par cœur leurs personnages, apparaît pour la première fois dans la saga Junko Fuji - future Lady Yakuza - très bonne en sœur affectueuse d'Ikebe, ainsi que Tomisaburo " Baby Cart " Wakayama en chef de clan bienveillant. Les bons sentiments sont évidemment toujours là - allergiques s'abstenir - et Saeki dote tous les personnages masculins de regrets et de frustrations divers qui les transforment en figures attachantes et tiraillées ; on note notamment un beau personnage de jeune chef de clan incapable d'empêcher la mort de celle qu'il aimait et un ancien yakuza reconverti dans le théâtre auquel Takakura conseille de rester fidèle aux membres de sa troupe. Il aurait suffit de quelques surprises concernant leurs évolutions respectives pour faire de cet opus un classique, mais les limites narratives propres au ninkyo l'empêchent de décoller dans la mesure ou en dépit de ses qualités formelles et de son excellente direction d'acteurs, on commence à avoir un sentiment de déjà vu trop fort. On craint d'ailleurs pour les épisodes suivants si ceux-ci ne parviennent pas à sortir du canevas narratif des trois premiers.


En résumé, il s'agit d'une sorte de version revue et corrigée des premiers épisodes, qui gagne en efficacité dramaturgique et en qualité de mise en scène ce qu'elle perd en surprise puisque tous les situations demeurent extrêmement prévisibles et attendues. Cependant, un combat final digne de Kenji Misumi et un quatuor d'excellents acteurs font de ce volet le haut du panier du ninkyo pour peu que l'on oublie les sommets d'Hideo Gosha. Peut-être que le remplacement de Kiyoshi Saeki par le vétéran Masahiro Makino pour les épisodes 4 et 5 saura extraire la série de sa routine narrative.


Titre original : Showa zankyo-den : Ippiki okami

vendredi 14 février 2014

Le Combat dans l'île (Alain Cavalier, 1962)



Clément (Jean-Louis Trintignant), un jeune militant d'extrême-droite, prévoit d'assassiner à l'aide de son ami Serge un député de l'opposition. L'attentat rate, Clément et sa femme Anne (Romy Schneider) prennent la fuite et se réfugient chez Paul (Henri Serre), un ami de gauche de Clément.

Premier long-métrage d'Alain Cavalier, Le combat dans l'île s'inscrit formellement dans sa période " classique " avant que Cavalier ne prenne ses distances vis-à-vis des studios. Comme l'Insoumis qui lui fera suite, Le combat dans l'île est surtout un film qui vient démontrer la fausseté des lieux communs selon lesquels le cinéma français n'oserait aborder les sujets politiques ; le groupuscule auquel Clément appartient rappelle fortement l'OAS qui fut crée un an seulement avant la sortie du film de Cavalier. Sur ce plan, il s'agit d'une vraie réussite car le personnage est pris dans toute sa complexité, à la fois sincère, amoureux et droit mais aussi raciste, possessif et manipulé. Les critiques reprochant une soi-disant complaisance à Cavalier se heurtent à un scénario qui est très loin de glorifier Clément, surtout lors de ses face-à-face avec le sympathique et détaché Paul qui incarne une certaine gauche républicaine. En refusant autant de diaboliser que de justifier son personnage principal, Cavalier permet une réflexion trop souvent absente du cinéma politique dans lequel le message tend à primer sur le reste.



Pour se faire une idée de la mise en scène de Cavalier, il suffit d'imaginer une austérité à la Bresson appliquée à un canevas policier. Il faut louer la rigueur des quelques moments d'action (rappelons que sur ce plan, l'Insoumis sera un véritable modèle de précision de la mise en scène et du montage) comme lors de l'affrontement éponyme, ou des entraînements au sein de la cellule d'extrême-droite filmés avec une véritable objectivité documentaire. Sur un plan plus rythmique, Le combat dans l'île accuse en revanche le poids des années et fait preuve d'une baisse de régime assez visible lors de la vengeance de Clément en Amérique du sud (durant laquelle Anne et Paul parviennent à recréer une dynamique de couple dont Clément est incapable). Globalement, les volontés de mise à distance du cinéaste aboutissent parfois à un jeu guindé des acteurs (Trintignant notamment) qui semblent peiner à exprimer avec un véritable naturel les dialogues signés Jean-Paul Rappeneau, trop descriptifs et théoriques. En revanche, le charme de Romy Schneider est intact et l'histoire exploite remarquablement intelligemment son accent, qui témoigne ici d'une difficulté à s'adapter et à vivre en dehors de la tutelle de Clément ; on peut aussi apprécier une certaine liberté de ton (Schneider et Henri Serre font mention d'un avortement à mots couverts) et la capacité de Cavalier à éviter le pathos tant vis-à-vis de Clément que de Paul.



Entendre Clément et ses amis pérorer sur le déclin de l'Occident et la nécessité d'une refondation du pays autour de valeurs morales a quelque chose d'étrange aujourd'hui, car si la forme a évolué le fond du discours trouve malheureusement des résonances contemporaines. On se demande toutefois quel est le cœur du conflit selon Cavalier : une affaire purement politique - Paul est syndiqué -, un combat pour une femme ou les deux. C'est cette articulation convaincante entre les deux facettes du scénario, la politique et le drame amoureux, qui fait le prix du Combat dans l'île et qui lui permet d'éviter de devenir un pensum ou une romance à l'eau de rose. En revanche, le fait d'avoir pour personnage principal un être incapable d'évolution ou de réflexion rend son itinéraire moins captivant que celui d'Alain Delon dans l'Insoumis, dont Le Combat dans l'ïle semble parfois être le brouillon plus inégal formellement. L'un comme l'autre ayant le mérite, loin de la posture dandy d'un Jean-Luc Godard renvoyant tous les partis dos-à-dos, d'assumer une vision de gauche de la situation politique de l'époque.

Comme pour beaucoup de cinéastes français, l'indisponibilité d'une bonne partie de l'oeuvre de Cavalier en DVD et Blu-Ray relève du scandale, et on regrette amèrement d'être dans l'incapacité de découvrir son Mise à sac porté par une excellente réputation.


jeudi 13 février 2014

Rusty Knife (Toshio Masuda, 1958)



Trois yakuzas, Shimabara (Jo Shishido), Tachibana (Yujiro Ishihara) et le jeune Terada (Akira Kobayashi) ont été témoins d'un meurtre commis par un autre clan. Cinq ans plus tard, Shimabara tente de faire chanter leur leader et est assassiné, conduisant à la fois la police et les yakuzas à surveiller Tachibana et Terada. Tachibana a passé plusieurs années en prison après avoir tué le violeur de sa compagne et sa rencontre avec Keiko (Mie Kitahara), la fille de Shimabara, lui laisse penser qu'il s'est peut-être trompé de personne.

Ce petit film noir japonais est une déception qu'on ne saurait entièrement justifier par le fait que la majorité des productions Nikkatsu nous étant parvenues jusqu'ici étaient réalisés par le déjanté Seijun Suzuki, dont les audaces formelles sont ici aux abonnés absents. Non, que Toshio Masuda s'inscrive dans une tradition classique n'est pas suffisant pour expliquer la relative absence d'implication du spectateur. En réalité, il s'agit d'une série B correcte sur tous les plans (interprétation, mise en scène, montage, rythme) mais sans la moindre originalité et dont aucune séquence n'est suffisamment réussie pour en devenir mémorable. D'où un film qui se suit avec un certain plaisir mais qui ne laisse aucune trace, d'autant plus que les thèmes abordés (la destinée malheureux du mafieux, l'inutilité de la vengeance, la réinsertion, le véritable pouvoir caché derrière les hommes de paille) ont tous été traités avec bien plus d'impact notamment par Hideo Gosha (Le Sang du damné, Les Loups, Quartier Violent... ). On pense également à un polar " nouvelle vague ", français celui-là : Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville, dont la relation filiale entre les deux personnages masculins est quasiment identique à celle unissant Ishihara et Kobayashi chez Masuda. Mais celui-ci n'a ni la fraîcheur du français ni la rigueur formelle de Gosha et en l'absence de brio, les archétypes peinent à devenir autre chose que des clichés de cinéma de genre.



On retrouve donc d'impitoyables mafieux sadiques, des policiers dépassés par les événements ainsi qu'une jeune fille téméraire et déterminée tombant amoureuse de notre criminel hanté par sa conscience. L'identité de " l'homme de l'ombre " est d'une flagrante évidence et on regrette que contrairement à Quartier Violent ou le " twist " amenait des éléments thématiques (la volonté de remplacer un système par un autre qui transformait les personnages en pantins manipulés par une organisation) il ne s'agisse ici que dans élément de surprise assez banal, a fortiori du fait qu'il ne soit pas du tout surprenant. Globalement, le film est extrêmement linéaire et on anticipe toujours les événements des cinq prochaines minutes ; de plus, tout cela n'est pas exempt de facilités (on l'aura deviné, les responsables de la mort de la compagne d'Ishihara sont également les assassins de Shimabara).



Pour autant, malgré cet aspect ultra-prévisible et l'absence de génie de la mise en scène de Masuda, Rusty Knife est un film plutôt plaisant qui remplit tout à fait son contrat de série B divertissante. Le duo vedette Ishihara-Kitahara fonctionne bien, d'autant plus que le personnage féminin est plus développé que d'habitude. Dans les rôles secondaires, on retrouve avec un grand plaisir deux immenses acteurs pas encore starifiés : Jo Shishido, futur icone chez Suzuki dont l'étrange charisme fait déjà merveille ici, et Akira Kobayashi, qui trouvera quelques très beaux rôles chez Fukasaku ou Gosha, étonnant en jeune insouciant très Nouvelle Vague. Quelques belles séquences - les amoureux en moto, la traque de Shishido, le plan final - émergent ici ou là mais au final, Rusty Knife demeure une curiosité intéressante qui pâlit un peu du fait que d'autres réalisateurs sauront transcender un matériel avec lequel Toshio Masuda ne parvient pas à donner une oeuvre marquante. Reste une certaine modernité qui détonne par rapport aux grands cinéastes japonais des années 50 (Kurosawa, Mizoguchi, Ozu...) faute de produire quelque chose approchant un tant soit peu leur grandeur.


lundi 10 février 2014

Pitfall (André De Toth, 1948)



John (Dick Powell), directeur d'une compagnie d'assurances, se languit de la monotonie de sa vie d'homme marié. Sa traque de Smiley, un fraudeur, le conduit à rencontrer Mona (Jane Wyatt), sa maîtresse qui devient rapidement celle de John également.

Ce film noir signé André De Toth, par ailleurs réalisateur d'un non moins formidable Chasse au gang où un tout jeune Charles Bronson se signalait déjà par sa présence menaçante, est une merveille au sein de la mouvance plus intériorisée du genre. Ici, pas de galerie de personnages violents comme dans les adaptations de Chandler ou Hammett, pas de femme fatale à la Robert Siodmak, pas de détective privé narquois ni d'hommes de mains patibulaires, seulement un héros tout ce qu'il y a de plus banal confronté à sa morosité quotidienne ou se répètent parties de bridge et dîners entre amis. Tout ce qu'on perd en spectaculaire et en pittoresque est gagné en intensité psychologique et en profondeur de développement des personnages. Ceux-ci sont au nombre de 6 : John, sa femme et son fils, Mona, Smiley et Mac, le détective privé jaloux de John qui provoque un conflit entre Smiley et lui. En dehors de ce dernier, tous sont ambivalents et entre l'escroc Smiley et l'agent d'assurances John Forbes, le plus sincère n'est sans doute pas le plus honnête. L'une des marques du talent d'André De Toth réside dans sa manière de braver les conventions morales hollywoodiennes l'air de rien : le couple adultérin n'y est pas bêtement diabolisé et la conclusion évite à la fois un happy end hors de propos et le forçage dans la noirceur trop souvent perçu comme une qualité. Au contraire, on demeure dans un incertain entre-deux qui laisse le spectateur se faire sa propre idée de la capacité des personnages à se reconstruire après les événements vécus.



Une belle preuve de cet anticonformisme réside dans la mécanique narrative du film : au lieu d'opposer un bon père de famille a une tentatrice machiavélique, elle fait de Mona une femme ignorant que John est marié et qui refusera même de lui faire du tort une fois le pot aux roses découvert ; elle sera également la grande victime collatérale des agissements du pathétique Mac. A l'inverse, Dick Powell ressemble à une version américaine du personnage joué par Jean Desailly dans La Peau Douce de François Truffaut, essayant de jouer sur tous les tableaux et prenant systématiquement la pire décision (cacher son aventure à sa femme, ne pas prévenir la police quand il est menacé) ; et finalement, ce sont les personnages qui agissent de la manière la plus égoïste qui parviennent à limiter le casse tandis que le geste amoureux le plus désintéressé du film aura des conséquences tragiques.

Dick Powell, par ailleurs un Marlowe tout à fait convaincant dans le légèrement sous-estimé Adieu ma jolie d'Edward Dmytryk, est formidable en anti-héros blasé non pas par des événements passés mais au contraire par l'absence d'imprévu. Lizabeth Scott fait d'un rôle ingrat sur le papier de femme délaissée un superbe personnage féminin - magnifique confrontation finale du couple une fois l'infidélité de John révélée - tandis que Jane Wyatt compose une très belle figure de femme en perdition ; enfin l'imposant Raymond Burr dans le rôle de Mac est un beau salaud loin du raffinement sadique d'un Kirk Douglas dans La Griffe du passé mais au contraire tellement mesquin et ordinaire.


Pitfall ne passe pas très loin du chef d'oeuvre. Il m'a semblé un peu moins abouti visuellement que Chasse au gang - certaines transparences ne sont pas du meilleur effet - et le fils pénible de Dick Powell, comme trop d'enfants dans le cinéma hollywoodien, ne sert guère qu'a exprimer les tourments intérieurs de son père. Pitfall est néanmoins un superbe film noir original porté par un scénario irréprochable et des comédiens impeccables prouvant le talent de directeur d'acteurs de De Toth - à l'instar de Bronson dans Chasse au gang, Raymond Burr était encore un relatif inconnu à l'époque -. Une très belle réussite du quatrième borgne hollywoodien.

jeudi 6 février 2014

Return Engagement (Joe Cheung, 1990)



Lung (Alan Tang), mafieux exilé au Canada, voit sa femme mourir lors d'un affrontement avec un gang d'italiens. Il tue leur leader mais passe des années en prison ; à sa sortie, Lung retourne à Hong Kong à la recherche de sa fille sur fond de relations difficiles avec Pang (Simon Yam), un jeune chef de triades ambitieux.

Il est quelque peu amusant de voir qu'avant ses films méditatifs qui firent sa renommée en occident, Wong Kar-Wai cachetonnait en écrivant des scénarios à la pelle dont le Final Victory de Patrick Tam mais aussi deux célèbres hero movies signés Joe Cheung : Flaming Brothers et ce Return Engagement marchant sur les traces de John Woo, notamment grâce à un Alan Tang qui sans faire oublier Chow Yun-Fat incarne le héros à la hong kongaise avec un certain panache. On n'échappe donc pas aux éléments visuels repris au Syndicat du crime - le mafieux italien défiant Alan Tang de lui tirer dessus -, à The Killer - la prise d'otage avec un pistolet caché derrière - et au Syndicat du crime 2 - le carnage final complètement excessif sur l'autoroute -. Et si Joe Cheung a bien retenu la leçon du maître, il lui manque toutefois un petit quelque chose, un supplément d'âme ou de maîtrise de l'espace pour figurer parmi les grands metteurs en scène de l'époque. Sans être mauvaises, ses fusillades manquent à la fois de cette dramatisation exacerbée qui gène tant de spectateurs chez Woo et de son incroyable dynamique des corps.



Pour autant, Return Engagement n'est pas non plus un film 100 % action. Après un premier quart d'heure rentrant dans le vif du sujet, le retour de Lung aboutit à une intrigue autour de sa capacité à recréer une famille, à l'aide d'une ancienne amie de sa fille et de la mère adoptive de celle-ci devenant les nouvelles fille et femme de substitution de Lung. Les longues séquences autour de la relation père-fille s'installant progressivement finissent par être redondantes, surtout du fait du numéro d'adolescente rebelle pénible de May Lo, mais le charisme d'Alan Tang aide à faire passer la pilule (on admirera également les jeux d'adolescents en vogue à Hong Kong qui n'ont rien à envier aux nôtres rayon crétinerie). Il faut aussi dire que les amours naissances entre May Lo et un jeune chanteur n'ont absolument aucun intérêt si ce n'est d'allonger inutilement la durée du film.

En dépit de cette partie mélodramatique trop envahissante, Joe Cheung en donne au spectateur pour son argent et nous propose de la fusillade à bout portant, des héros coincés dans un fourgon blindé encerclé par au moins cinquante sbires vidant leurs chargeurs de mitraillettes - Simon Yam y allant carrément à la sulfateuse - de l'embuscade dans une chambre d’hôtel ou du massacre entre gangs. L'originalité est aux abonnés absents mais parmi les films reprenant à la lettre une formule bien rodée, Return Engagement a le mérite de le faire avec efficacité faute de génie.



Alan Tang est efficacement secondé par un Andy Lau tout jeune et impatient d'aller tirer dans le tas, mais c'est surtout Simon Yam en ordure d'une réjouissante cruauté qui la même année qu'Une balle dans la tête s'imposait comme une valeur sûre avant de devenir l'un des comédiens fétiches de Johnnie To. On sera, et c'est peu dire, moins admiratif de l'hystérique May Lo, d'une Elizabeth Lee manquant de naturel et surtout de gweilos - acteurs occidentaux dans les films asiatiques - réussissant l'exploit de jouer encore plus mal que ceux du Syndicat du crime 2.
Tout en étant un bon divertissement au-dessus de la moyenne, Return Engagement est une sorte de démonstration par l'absurde du génie de John Woo. Avec des scripts proches, Cheung aboutit à un spectacle réjouissant mais oubliable là ou le réalisateur de The Killer opérait une synthèse extraordinairement cohérente entre drame, action, amitiés viriles et romantisme.

mercredi 5 février 2014

Les Amours d'Hercule (Carlo Ludovico Bragaglia, 1960)



Mégare, la femme d'Hercule, est assassinée par Licos (Massimo Serato) sur ordre du roi d'Ecalia. Hercule (Mickey Hargitay) jure de la venger mais une fois parvenu à Ecalia, le roi a été assassiné et sa fille Déjanire (Jayne Mansfield) lui succède. Hercule et Déjanire tombent amoureux.

Après le succès des deux films de Pietro Francisci mettant en scène Hercule, toute idée de continuité est abandonnée par les producteurs et affleurent des suites plus ou moins officielles profitant de la mode du péplum. En 1960, deux opus sortent en Italie à une semaine d'intervalle : La Vengeance d'Hercule, du prestigieux Vittorio Cottafavi, et Les amours d'Hercule du beaucoup moins prestigieux Bragaglia ; notons que l'année suivante, ils réaliseront ensemble Les Vierges de Rome avec Louis Jourdan.

Revenons-en aux Amours d'Hercule ; c'est une catastrophe quasiment intégrale qui marque une extraordinaire régression après un Hercule et la reine de Lydie relativement convaincant. Premièrement, si Steve Reeves n'était pas un acteur shakespearien, il trouvait un bel équilibre entre charisme, décontraction et comédie. Ici Mickey Hargitay compose un Hercule d'une fadeur soporifique qui pousse certaines scènes vers l'involontairement comique (la mort de Mégare). Jayne Mansfield était très belle mais dénuée du magnétisme d'une Gianna Maria Canale par exemple, et seul Massimo Serato s'en tire convenablement en méchant vu et revu.



Le scénario est d'une idiotie confondante. Plus préoccupé par l'histoire amoureuse autour du couple star Hargitay-Mansfield, mariés à la ville, Bragaglia délivre environ une scène d'action toutes les demi-heures avec une constance dans le ridicule qui force le respect. Au programme donc : Hercule passe cinq minutes à se servir d'un tronc d'arbre comme bélier, avec des soldats qui préfèrent le laisser faire plutôt que de bloquer la porte ; Hercule affronte une hydre de Lerne qui est ici un chien à trois têtes (le scénariste n'étant visiblement pas un grand féru de mythologie grecque) aux effets spéciaux ignobles n'essayant même pas de mordre une seule fois. Hercule rencontre Hippolyte la reine des Amazones - comme dans le premier film - qui l’envoûte pour le forcer à rester avec elle - comme dans le second - ; elle périra tuée par un des hommes-arbres en lesquels ses amants sont transformés sur fond de voix-off caverneuse " tu vaaaaas mouriiiiir ". 
Tout cela n'est déjà pas bien palpitant, mais que dire de cette intrigue secondaire entre un des assistants d'Hercule, Tamanto, et une servante de Déjanire ? Heureusement, Bragaglia nous réserve le grand jeu sur la scène finale avec une sorte de yéti surgissant de nulle part pour stopper le règne du démoniaque Licos avant qu'Hercule ne mette un terme tant à son existence qu'aux souffrances du spectateur.



En plus d'effets spéciaux grotesques, d'un jeu d'acteur médiocre et d'un manque de budget criant, Bragaglia témoigne d'une incapacité manifeste à filmer la foule. Rarement une scène d'action n'a semblé aussi molle que l'attaque du camp de Mégare, et le soulèvement final contre Licos est mis en scène sans la moindre envergure. De plus, le fait que les méchants soient tués par des éléments extérieurs (l'hydre-Cerbère, le yéti) donne l'impression qu'Hercule ne fait pas grand chose d'un tant soit peu conséquent du film, si ce n'est soulever des troncs d'arbre ou tuer des taureaux. Sa vengeance qu'on promet dévastatrice est mis au placard au bout d'à peine dix minutes. On notera que même l'affiche du film semble se moquer du spectateur puisque Mansfield y est blonde et Hargitay barbu, alors qu'ils sont en réalité respectivement brune et glabre ! Le seul aspect sympathique réside dans la photographie d'Enzo Serafin - collaborateur d'Antonioni et Rossellini - qui faute de faire oublier le travail de Bava sur les films de Francisci donne une certaine élégance kitsch aux décors. Pour le reste, un péplum exécrable parfaitement dispensable. 

lundi 3 février 2014

Last Seduction (John Dahl, 1994)




Clay (Bill Pullman), un trafiquant de drogue minable, se fait dérober 700 000 dollars par sa femme Bridget (Linda Fiorentino). Celle-ci s'enfuit et tente de se faire oublier dans une petite ville ou elle rencontre Mike (Peter Berg), fraîchement divorcé. Bridget convainc Mike de l'aider à planifier l'assassinat d'hommes riches...

Les trois premiers films de John Dahl explorent des univers très proches à base d'hommes faibles manipulés par des femmes fatales parmi les plus destructrices vues au cinéma. Si les héros de Kill me again et Red Rock West arrivaient encore à faire preuve d'un minimum de bon sens (Val Kilmer est tout à fait conscient d'être manipulé tandis que Nicolas Cage sort " gagnant " du jeu de trahisons entre Lara Flynn Boyle et lui), ici Peter Berg ne parviendra jamais à être autre chose qu'un pantin dont Linda Fiorentino dispose à sa guise. Si visuellement on est dans un classicisme rigoureux loin des excès d'un Basic Instinct, il est permis de préférer le film de Dahl qui assume jusqu'au bout son postulat de départ - la fin est l'une des plus noires et audacieuses du thriller - sans les renversements de situations grotesques du Verhoeven. C'est d'autant plus appréciable que dans ses deux films précédents, Dahl cédait au " retournement de trop " dans les dernières minutes ; ici hormis une très légère facilité (Bill Pullman qui retrouve sans problème l'endroit ou Linda Fiorentino se terre) le scénario est une petite merveille de rigueur et les 110 minutes se déroulent sans temps mort grâce à une intrigue savamment élaborée.



Linda Fiorentino réalise ici une performance extraordinaire de naturel. Elle est LA garce absolue, conjuguant parfaitement vulgarité et sensualité (la scène de séduction ou elle demande tout naturellement à Peter Berg de lui montrer son pénis) avec une incroyable aisance. Bien servie par des dialogues impeccables, elle vampirise ses partenaires de jeu aux rôles plus ingrats avec d'autant plus de mérite qu’intelligemment, le scénario ne lui cherche jamais d'excuse ou de raison visant à justifier son caractère de sociopathe ; en dépit du fait que son départ soit consécutif à une gifle de son mari, aucun des deux ne semble considérer sérieusement qu'il fut spontané et cette absence de psychologie transforme un cliché de femme fatale des années 40-50 en véritable icone féministe. L'humour n'est jamais envahissant et fonctionne très bien (les ploucs qui s'inquiètent de voir roder un noir, la discussion délirante entre Fiorentino et le détective privé sur les fesses des femmes blanches, le deal d'introduction qui bien plus efficacement que de longs dialogues nous fait comprendre que Bill Pullman est un crétin fini) et certaines conventions cinématographiques sont joyeusement bafouées : les coups censés assommer ont ici pour effet de faire hurler la victime...



Il est difficile de décrire certains aspects des personnages sans gâcher le plaisir des éventuels spectateurs, mais la manière dont le scénario rend les protagonistes masculins victimes avant tout de leur ego et de leur volonté de domination (Clay ne supporte pas l'idée que Bridget l'ait doublé et Mike revient blessé d'un mariage ou il fut pour le moins déçu) désamorce d'avance toute critique sur une supposée misogynie. Il est dommage que John Dahl ne parvienne pas à donner à son film l'ampleur dont celui-ci aurait eu besoin et se content d'un travail d'artisan consciencieux mais loin de révolutionner le genre comme les frères Coen avec Miller's Crossing par exemple. La musique jazzy, pas mauvaise pourtant, est d'ailleurs employée de manière aussi redondante qu'envahissante et la photographie se révèle plutôt quelconque. 
A voir Last Seduction, on peut regretter la courte durée de la carrière de Linda Fiorentino autant que la disparition de John Dahl coincé entre films sans intérêt et épisodes de séries télé. A l'instar de Kill me again et Red Rock West, Last Seduction est une petite réussite du film néo-noir qui à l'instar des premiers Quentin Tarantino dépoussiéra joyeusement un genre tombé en désuétude.

Cette note est dédicacée à Johan H, qui déteste quand j'emploie le mot " salope ", ce pourquoi le terme autrement plus distingué de " garce " fut préféré dans cette chronique.


dimanche 2 février 2014

Django porte sa croix (Enzo G. Castellari, 1968)



Johnny Hamilton (Andrea Giordana) rentre de la guerre de sécession. Il découvre que son père a été assassiné et que son oncle Claude (Horst Frank) a épousé sa mère. Johnny soupçonne une implication de Claude et enquête avec l'aide de son fidèle ami Horace (Gilbert Roland).

Que le spectateur soupçonneux soit rassuré : non, les similitudes avec une célèbre tragédie shakespearienne ne sont pas le fruit de son imagination, le titre anglais étant même des plus explicites puisqu'il s'agit de Johnny Hamlet. A l'inverse, la traduction hexagonale vient comme souvent mettre du Django là ou il n'y en a aucun par opportunisme des distributeurs.

Le pitch suffit à faire du film un western singulier ; la réalisation de Castellari, connu des fans pour son superbe Keoma, est d'autant plus inattendue qu'elle ne ressemble pas du tout à celle de ses films des années 70 : pas de ralentis ici mais une théâtralisation totale dès la séquence introductive onirique dans laquelle Hamilton rêve de la mort de son père. Le soin apporté par le réalisateur à ses mouvements de caméra (avec l'un des plus beaux travellings circulaires du western italien, rarement aussi esthète) et à la photographie sont évidents. La scène d'embuscade dans le saloon, ou Hamilton survit ingénieusement en se cachant sous le plancher, est également d'une précision dans son montage dont Castellari ne pourra pas toujours s'enorgueillir dans ses productions ultérieures. On notera que près de dix ans avant Keoma, le héros subit déjà une crucifixion, mais il est difficile de déterminer si il s'agit d'une idée de Castellari ou de son scénariste Sergio Corbucci, réalisateur du premier Django dont Keoma sera un remake déguisé.




Si la mise en scène représente le haut du panier du western italien, on sera plus sceptique sur la prestation très moyenne d'Andrea Giordana qui fait regretter l'absence d'un acteur plus charismatique. Horst Frank reprend son habituel rôle de salaud avec conviction tandis que Gilbert Roland, en dépit de son talent, est victime de la pauvreté de son personnage ; il faut dire que la greffe entre le théâtre élisabéthain et l'univers du western italien prend parfois difficilement.

Au départ, l'on suit Hamlet avec une certaine fidélité ; on retrouve ainsi Claude/Claudius, Horace/Horatio, Gentry/Gertrude et même un duo de pistoleros nommés Guild et Ross traquant Hamilton comme Rosencrantz et Guildenstern suivaient Hamlet dans la pièce. Mais très vite, certains personnages disparaissent (Fortinbras), certains sont mélangés (le shérif semble une fusion de Laerte et Polonius) et d'autres bâclés, à l'image d'Emilie/Ophélie qui apparaîtra environ cinq minutes sur l'ensemble du film. En revanche, Castellari prend plaisir à orchestrer d'interminables bagarres à coups de poings entre Hamilton et les sbires de Claude, affaiblissant sa thématique d'autant plus que son Hamilton est beaucoup plus proche des vengeurs invincibles et surs d'eux-mêmes peuplant le western transalpin que du faible et indécis héros shakespearien. Plus cohérente a priori mais ne fonctionnant pas tout à fait dans le film, l'idée de la troupe de théâtre répétant Hamlet justement est parfois redondante, là ou le décalage " à l'italienne " des scènes dans le cimetière les rendent proprement savoureuses.



Autre petit grief plus personnel : les choix de musique de Castellari ne sont pas toujours les plus évidents du western italien. Si la musique folk de Keoma possède bon nombre de détracteurs, elle donne toutefois au film une tonalité étrange qui s'accorde assez bien avec l'ambiance générale. Ici, la bande-originale de Francesco de Masi est très inférieure à ce que pouvaient donner Morricone ou Bacalov à la même époque. Plus anecdotique, la séquence ou Horst Frank déambule couvert d'or semble reprise sur le délirant Tire encore si tu peux de Giulio Questi sorti l'année précédente, sans en atteindre l'outrance.

Django porte sa croix est, quoique inégal, une belle curiosité au sein d'une carrière en dents de scie et la révélation d'un Castellari moins brouillon que le cinéaste des films de guerre ou des post-acalyptique plus connus aujourd'hui.

samedi 1 février 2014

Outrage: Beyond (Takeshi Kitano, 2012)



Attention : cette critique contient de nombreux spoilers relatifs aux événements d'Outrage. Le spectateur désireux de conserver le mystère sur les survivants du premier opus serait bien inspiré d'en éviter la lecture, car il me semblait impossible d'écrire une critique sans les mentionner.

Cinq ans après les événements d'Outrage, Kato (Tomokazu Miura) a pris la tête du clan Sanno. Sa politique interne basée sur la promotion des jeunes yakuzas plus familiers avec le business économique provoque des conflits avec les yakuzas les plus anciens. Parallèlement, le policier Kataoka arrange une rencontre entre Otomo (Takeshi Kitano), qui a survécu au coup de couteau, et son ancien agresseur Kimura (Hideo Nakano).

On retrouve donc nos quatre survivants d'Outrage : Kataoka, Ishihara, Kimura et Kato, auxquels s'ajoute le personnage de Kitano miraculeusement ressuscité et toute une nouvelle galerie de yakuzas prêts à en découdre. Les alliances sont toutefois très différentes de celles du premier volet, ou le boss du clan Sanno créait artificiellement un gigantesque conflit dans lequel tous les personnages n'étaient que des pions ; ici, les victimes collatérales des massacres (Otomo et Kimura) décident d'oublier leur haine mutuelle et de s'allier contre le clan Sanno et ses dirigeants (Kato et Ishihara) arrivés à leurs places par la trahison et l'assassinat. Au milieu de tout cela, Kataoka, désormais affublé d'un adjoint circonspect, semble délibérément pousser les yakuzas à s'entretuer. Si Otomo était dans le premier film un yakuza comme un autre, il a évolué dans une figure à mi-chemin entre le tueur d'Outrage et la figure campée par Kitano dans ses premiers films.



Outrage avait été globalement mal reçu par la presse ; il est vrai que le retour de Kitano au film de yakuzas qui lui avait inspiré quelques merveilles (Hana-Bi, Sonatine) semblait privé de tout ce qui avait pu séduire la critique française à l'époque : plus de jeux de plages, plus de poésie de l'ennui, plus de musique de Joe Hisaishi... Au contraire, l'accumulation de massacres et la surenchère gore furent perçus comme révélateurs d'un cinéaste n'ayant plus rien à dire. Pourtant, Outrage était certainement le Kitano le mieux mis en scène depuis Dolls et sa volonté de ne pas céder devant les attentes du public manifestait un évident courage de cinéaste. Encore une fois, Outrage: Beyond est une sorte de contre-pied par rapport à son prédécesseur : moins gore, moins cynique et moins imaginatif (on retiendra toutefois un meurtre à la perceuse et une séquence prouvant les méfaits du baseball pour la santé), il retrouve aussi une certaine sensibilité que Kitano semblait avoir perdu depuis quelques films. Si tous les personnages d'Outrage étaient détestables, le discours est ici plus nuancé : Otomo, Kimura et le policier Shigeta échappent à la vindicte du cinéaste, de même que les jeunes yakuzas au service de Kimura qui seront victimes de leur volonté farouche de s'attaquer au système. L’ambiguïté de la critique kitanienne, c'est que sous ses dehors réactionnaires (le clan Sanno présenté comme un simulacre d'entreprise moderne obsédée par le profit) elle renvoie en réalité toutes les institutions dos à dos, le clan " traditionaliste " ne valant au final absolument pas mieux que les Sanno et se révélant même supérieur concernant sa capacité à cacher leur jeu.



Outrage: Beyond est doté d'un scénario mieux étoffé et moins cynique que celui de son prédécesseur, mais donne un léger sentiment de redite que celui-ci évitait et produit moins de moments visuellement marquants. Faute de convaincre ceux qui voyaient en un retour au film de yakuza une impasse artistique, il pourra en revanche satisfaire autant les fans d'Outrage que ceux ayant regretté la violence exacerbée du précédent opus.
Il semblerait que Kitano ait achevé d'écrire un troisième Outrage ; étant donné le peu d'attention dont celui-ci a disposé en France - aucune sortie salle, pas de DVD ni de Blu-Ray - il serait temps d'essayer de pousser les spectateurs à lui donner sa chance. Dont acte.