mardi 30 décembre 2014

La légende du scorpion noir (Feng Xiaogang, 2006)


Dans la Chine du Xème siècle, l'empereur Li (Ge You) a fait assassiner son frère pour usurper son trône et épouser sa femme Wan (Zhang Ziyi). Il envoie des assassins trouver le prince héritier Wu Luan (Daniel Wu) mais celui-ci survit et prépare sa vengeance tandis que dans les coulisses, plusieurs personnages attendent le grand banquet donné par l'empereur pour régler leur comptes.

Après le succès du Tigre et dragon d'Ang Lee, plusieurs réalisateurs issus de la Chine continentale se sont lancés avec opportunisme dans de grandes machines académiques à l'esthétique surchargée et à la dramaturgie de bazar. Plusieurs films ont ainsi tourné autour d'Hamlet, mais Feng Xiaogang est le premier à l'adapter officiellement ; sauf qu'il s'agit d'un Hamlet solennel, d'un Hamlet dénué d'humour, d'un Hamlet qui se regarde attendre et qui aux histoires shakespeariennes de " bruit et de fureur " substitue des ralentis pompiers et des personnages à la psychologie absolument inintéressante. On se fiche complètement de leurs motivations car ils n'ont aucun relief (Daniel Wu, Huang Xiaoming) ou sont totalement détestables (Ge You, Zhang Ziyi). La seule chose qui pourrait les racheter est le sentiment d'amour qui, pour être asséné et rabâché durant tout le film, n'est jamais palpable. A tout ceci s'ajoute un rythme qui serait capable de tuer le meilleur scénario du monde étant donné qu'entre les vingt premières minutes d'exposition et les vingt dernières de résolution, il ne se passe absolument rien ; on fait donc face à un mémorable tunnel d'ennui d'une heure et demie ou l'on passe de la gestion des couvertures de Zhang Ziyi à de captivantes scènes de broderie filmées avec une solennité quasi-parodique.


Le combat dans le théâtre, un des très rares moments ou des gens s'agitent un peu, pourrait rehausser l'intérêt général si Feng Xiaogang n'empilait pas les fautes de gout avec une régularité de métronome : giclées de sang numérique atroces, ralentis interminables, musique emphatique, coups montrés trois fois de suite, abus de câbles... Et au-delà de la laideur visuelle et des absurdités techniques, il est aberrant de ne faire intervenir aucun des six personnages principaux lors du combat en question qui oppose donc des assaillants non identifiés à des comédies de théâtre tous revêtus du même masque, d’où une absence totale d'implication (comment trembler pour ces figures abstraites ?). La volonté de faire une œuvre d’esthète transforme n'importe quel moment anodin en chorégraphie de danse inappropriée (les comédiens semblent ainsi plus se préoccuper de l'élégance de leurs mouvements que d'éviter les coups d'épée) avec un sommet lors de l’exécution du traître Pei Hong ou on assistera à un rouage de coups durant un vol plané qui ne dépareillerait pas dans un Jackie Chan et parait totalement incongru ici.


Enfin, là ou un Chow Yun-fat et une Michelle Yeoh parvenaient à tirer leur épingle du jeu chez Ang Lee, la distribution est ici remarquablement faible. Daniel Wu compose un des vengeurs les moins charismatiques vus au cinéma et Zhang Ziyi n'a aucune crédibilité en impératrice froide et cruelle - si Gong Li forçait souvent le pathos dans ce type de rôle, au moins elle ne semblait pas se tromper de film -. Reste un plus convaincant Ge You qui fait ce qu'il peut pour nous intéresser à la figure ingrate qu'il incarne. La fin grandiloquente est totalement aberrante (mention spéciale à la disparition de Zhang Ziyi) et les morts se succèdent sans qu'on ne ressente quoi que ce soit si ce n'est le soulagement de se rapprocher de l'heure de la délivrance. Tout ce qu'on peut mettre au crédit de Feng Xiaogang, c'est que contrairement à Zhang Yimou il ne double jamais son film d'un propos politique irritant mais reste relativement au premier degré.
Bref, La légende du scorpion noir est un film exécrable qui pourtant n'est même pas ce que la vague de néo wu xia pian a pu engendrer de pire ; comparativement au Wu Ji de Chen Kaige ou à la Cité interdite de Zhang Yimou, on est pratiquement chez Kurosawa. Si heureusement une décennie plus tard le temps semble avoir fait son affaire en remettant ces films à leur place légitime, il n'en reste pas moins que l'effet de mode dont ils bénéficièrent à l'époque est encore plus incompréhensible avec le recul.

dimanche 28 décembre 2014

Hercule contre les tyrans de Babylone (Domenico Paolella, 1964)



Une reine grecque a été capturée par les babyloniens, dirigés par Assur (Tullio Altamura), Salmanassar (Livio Lorenzon) et Thanit (Helga Line), deux frères et une sœur qui complotent les uns contre les autres. Mais la reine est aimée d'Hercule (Rock Stevens) qui va braver tous les dangers afin de la libérer.

L'avantage d'enchainer des Hercule allant du très mauvais à l'irregardable, c'est qu'une œuvre assez médiocre comme Hercule contre les tyrans de Babylone a presque l'air d'un retour en forme en comparaison. Et pourtant, on reviendra assez longuement sur les multiples bifurcations stupides d'un scénario qu'il devient impossible de prendre au premier degré. Mais Paolella est un metteur en scène relativement correct, le manque de budget est certes présent mais moins criant que dans Hercule l'invincible ou Le Triomphe d'Hercule, et pour une fois le film ressemble à un produit fini et non pas à un empilage de stock-shots. Le culturiste Rock Stevens n'est autre que Peter Lupus, le costaud de la série Mission Impossible. Sans être aussi lamentable que Dan Vadis, il faut admettre que l'acteur n'est guère expressif et qu'en dehors de sa musculature et de sa grande taille (il est très imposant physiquement), son talent n'est pas franchement évident. Petite originalité : Hercule combat ici à l'aide d'une masse, que Lupus, en bon haltérophile, utilise avec conviction.



Comme dans Hercule contre les mercenaires, le culturiste est quelque peu en retrait et l'accent est mis sur les complots de palais. Ici, deux frères et une sœur (plus, sur la fin, leur ennemi assyrien) s'entretuent pour avoir la pleine possession de la cité. Ca n'est pas extrêmement intéressant, surtout parce qu'on a vite l'impression que personne ne compte réellement tuer Hercule mais plutôt éliminer ses frères avant, le demi-dieu se contentant de son côté de tout casser sur son chemin. Ni Assur ni Salmanassar ni Phaleg ne parviennent à être plus que des stéréotypes de cinéma, mais Thanit bénéficie du charme d'Helga Line qui vole facilement la vedette a ses partenaires de jeu. Le moment ou les femmes suppliciées clament en chœur être la reine prisonnière est outrageusement volé au Spartacus de Kubrick et on notera l'intelligence de Salmanassar, qui demande à ses hommes de " ne pas les laisser mourir " les esclaves tout en ne leur apportant " ni à manger ni à boire " (intéressant programme).



On peut certainement dire que Lupus était prédestiné à jouer dans Mission Impossible dans la mesure ou bien avant la célèbre série, il était déjà confronté à un mécanisme d'auto-destruction tout à fait inédit puisque dans le cas présent c'est la cité qui possède la capacité de s'écrouler pour peu qu'une centaine d'hommes (traduisez : pour peu qu'Hercule) actionne un mécanisme savamment pensé (il est vrai que tout constructeur besogneux prévoit l'auto-destruction de sa ville) et enclenche une série d'explosions de maquettes. Un grand moment de gêne se trouve aussi lors de l'affrontement entre Hercule et une demi-douzaine de lutteurs : déjà victime d'un certain statisme de la mise en scène, le combat vire à l'absurde lorsque les adversaires se frappent à coups de gourdins sur fond de bruitages caoutchouteux qui font d'avantage penser à des jouets Fisher Price qu'à de véritables armes. Globalement, le fait d'avoir transformé Hercule en lanceur de massues est parfois ridiculisé par l'évidence de leur caractère factice.

En dépit de ses personnages caricaturaux, de son acteur principal inexpressif et de quelques moments de comique involontaire, Hercule contre les tyrans de Babylone contient suffisamment d'action, de rebondissements et de trahisons pour en être amusant. On est évidemment très loin d'un grand film de cinéma mais le temps parait moins long que devant les autres Hercule réalisés la même année, sans parler des quelques films réalisés en 1965, en pleine agonie du genre.

mercredi 24 décembre 2014

Sept secondes en enfer (John Sturges, 1967)



Wyatt Earp (James Garner) et Doc Holliday (Jason Robards) affrontent les Clanton à OK Corral. Ike Clanton (Robert Ryan) se venge en mutilant Virgil Earp et en faisant assassiner Morgan Earp. Devant l'impuissance des recours légaux et la forte influence de Clanton, Wyatt décide de faire justice lui-même.

Règlements de comptes à OK Corral de John Sturges se termine par la fusillade-titre durant laquelle le clan Earp abat les Clanton ; Sept secondes en enfer démarre juste avant mais le déroulement change considérablement. Ainsi, Ike Clanton fuit le combat - ce qui est historiquement véridique - et sa lutte contre les Earp s'intensifie encore après le duel. Le Ike Clanton de Robert Ryan n'est pas le bandit vociférant ou l'idiot dangereux des représentations traditionnelles mais un être sournois, malin et subtil. Il n'est pas plus brutal que Wyatt Earp et petit à petit Sturges parvient l'air de rien à les rapprocher l'un de l'autre lorsque la vendetta menée par Earp le conduit à se radicaliser. L'accent est mis sur les conséquences légales des meurtres, sur une lutte pratiquement politique entre les deux clans qui se battent par shérifs, juges et avocats interposés. Ces moments tirent parfois en longueur mais Sturges est le premier réalisateur à mettre autant l'accent sur cet épisode réel de l'histoire (les Earp furent accusés d'homicide après la fusillade) ; en ce sens, le cinéaste a su prendre conscience de la température de son époque marquée par la contre-culture, l'avènement du western italien ou les débuts de Sam Peckinpah. Là ou un Howard Hawks apparaitrait comme franchement en retard sur l'air du temps (El Dorado, Rio Lobo) Sturges réussit une belle synthèse en relisant Règlements de comptes à OK Corral d'une manière plus sombre et plus désenchantée.



On sait désormais que la fameuse fusillade d'OK Corral fut un massacre et que les Earp agirent en bouchers (Wyatt ouvrit le feu ; Tom McLaury n'était pas armé, Ike Clanton et Billy Claiborne s'enfuirent, Holliday n'hésita pas à tirer dans le dos...). Faute de remettre totalement les pendules à l'heure, Sept secondes en enfer nous montre un Wyatt Earp sombre, froid et peu sympathique loin des prestations d'Henry Fonda ou Burt Lancaster. Le film est extrêmement dégraissé, tant dans son scénario (pas de femmes, pas d'intrigues secondaires) que dans sa mise en scène, à l'image de l'introduction durant laquelle Sturges n'utilise qu'une demi-douzaine de plans pour présenter l'affrontement. Certains seront repris par la suite (notamment dans le Tombstone de Cosmatos) mais sans conserver l'apurement de Sept secondes en enfer qui fait sa force et sa faiblesse : il est pratiquement impossible de s'attacher à qui que ce soit et la belle démystification opérée par Sturges bloque l'émotion. Garner et Robards ne sont pas mauvais mais la dimension mortifère de leurs personnages fait qu'on les regarde parfois s'agiter de loin. D'un point de vue plus narratif, il est quelque peu dommage de voir Sturges insister sur le recrutement de Turkey Creek et Texas Jack pour ne rien faire de ces personnages (Earp accomplissant la vendetta pratiquement à lui seul).



En dépit des quelques réserves que l'on vient d'évoquer, Sept secondes en enfer est un des westerns américains les plus convaincants des années 60. Le score de Jerry Goldsmith est magnifique tout comme la photo de Lucie Ballard. L'introduction est à montrer dans toutes les écoles de cinéma et si le film est quelque peu avare en action, les duels sont tous de beaux moments de tension (notamment celui entre Earp et Warshaw ou éclate la fureur de Wyatt) ; l'influence italienne se sent dans la manière dont Sturges a quelque peu rallongé la durée des affrontements tout en restant très sobre - il suffit de comparer aux films de Kasdan et Cosmatos -.
Au-delà de l'inévitable comparaison entre les mérites de l'un et de l'autre, enchainer Règlements de comptes à OK Corral et Sept secondes en enfer montre comment à l'instar de John Ford un cinéaste peut évoluer et présenter les mêmes mythes sous une forme plus ambiguë. Sans être aussi convaincant sur la longueur que Le Dernier train de Gun Hill ou Un homme est passé, Sept secondes en enfer est un excellent Sturges.

vendredi 19 décembre 2014

Cinq hommes armés (Don Taylor et Italo Zingarelli, 1969)

Le Hollandais (Peter Graves) envoie le jeune Luis Dominguez (Nino Castlenuovo) recruter trois de ses anciens compagnons d'armes : Mesito (Bud Spencer), Augustus (James Daly) et Le Samouraï (Tetsuro Tamba). Le plan du Hollandais consiste à attaquer un convoi d'or à destination de l'armée mexicaine en vue d'aider les révolutionnaires.

Commençons par évoquer le délicat sujet de la paternité du film ; la plupart des génériques mentionnent Taylor, téléaste américain sans grand relief. La version italienne quant à elle fait du producteur Italo Zingarelli le metteur en scène, tandis qu'ici et là des rumeurs évoquent l'idée que le scénariste Dario Argento en soit également partiellement responsable. Dans tous les cas, la question n'a pas un intérêt conséquent tant la réalisation est plate et se contente du minimum syndical. Loin des excès dont le genre fut coutumier (en 1969, le western spaghetti est en pleine surenchère baroque) on ne verra qu'une violence timide, bien trop sage pour un film de commando. En dépit de tout ceci, Cinq hommes armés est très supérieur à Une raison pour vivre, une raison pour mourir dans le registre du sous-Douze salopards à l'italienne. Les personnages y sont plus intéressants (les cinq ont tous un minimum de relief là ou le film de Garrone n'avait que Coburn et Spencer comme figures un tant soit peu développées), l'action plus efficace et les acteurs globalement plus convaincants.



Certes, Peter Graves tout droit sorti de la série Mission Impossible semble s'ennuyer poliment du fait de reprendre exactement le même rôle (le grand planificateur de génie). Bud Spencer joue le rôle de brute comique qu'il reprendra ad nauseam dans les Trinita, dont le réalisateur Enzo Barboni est d'ailleurs le chef opérateur sur Cinq hommes armés (Italo Zingarelli sera quant à lui le producteur de nombreux Hill-Spencer). Mais Tetsuro Tamba parvient à imposer son charisme bien que son rôle soit totalement muet, James Daly effectue une bonne prestation et surtout Nino Castlenuovo, le psychopathe du Temps du massacre, s'en tire haut la main en jeune bandit qui finit par épouser la cause révolutionnaire. Il est toutefois dommageable que loin des réflexions intéressantes de Corbucci, Sollima ou Damiani sur l'engagement révolutionnaire, Cinq hommes armés se contente d'une apologie dénuée de nuance dans laquelle nos héros seront fêtés par un peuple conquis à la cause et ou l'opposition n'est représentée que par une armée de soldats aussi stupides qu'incompétents. Au-delà de la faiblesse du contenu politique, il y a également le fait qu'on ne ressent jamais de danger autour du commando tant il semble impossible que leurs adversaires se décident subitement à devenir efficaces.



Cinq hommes armés est symptomatique de la capacité du western spaghetti à s'abreuver d'autres genres et à mélanger des styles a priori incompatibles. En dépit de la réunion de talents opérée (Argento, Barboni qui bien que médiocre comme metteur en scène fut un excellent chef opérateur, Morricone qui signe une très belle bande-originale) la mayonnaise ne prend pas tout à fait et la longue séquence du train ne fera jamais oublier dix minutes du superbe Le Dernier train du Katanga de Jack Cardiff, par exemple. Le rythme n'est guère soutenu et la séquence ou le samouraï court après le train aurait méritée d'être largement écourtée. Parmi les séquences les plus réussies, on trouve le chœur de mexicaines chantant lorsque l'un des leurs s'apprête à être fusillé ; Cinq hommes armés est d'ailleurs l'un des rares westerns italiens ou les femmes sont filmées avec autant de dignité (elles sont peu présentes mais aux avant-postes de la révolution). On échappe également aux stéréotypes raciaux, le personnage de Tamba n'est jamais ridiculisé et au contraire, il est le seul à avoir droit à une amourette avec une révolutionnaire. Des petits détails comme ceux-ci font qu'on mentirai en cachant la sympathie qu'on éprouve pour ce Cinq hommes armés, divertissement du dimanche soir dénué de génie mais pas désagréable pour autant.

jeudi 18 décembre 2014

A mort l'arbitre ! (Jean-Pierre Mocky, 1984)


Maurice Bruno (Eddy Mitchell) arbitre un match de football sous l’œil de sa fiancée Martine (Carole Laure) et de l'inspecteur Granowsky (Jean-Pierre Mocky). Après avoir sifflé un penalty litigieux, il est attaqué par des supporters et s'enfuit avec Martine. A la tête des poursuivants, Rico (Michel Serrault) et Albert (Claude Brosset). 

Plus que le sympathique mais surévalué Coup de tête, A mort l'arbitre demeure trente ans après sa sortie la plus violente charge réalisée contre le football. En réalité, c'est surtout la foule qui intéresse le cinéaste et la manière dont celle-ci échappe progressivement à tout contrôle ; contrairement à ce qu'on peut lire parfois, les supporters ne sont pas tous mis dans le même panier. Eddy Mitchell et Carole Laure parviennent d'abord à prendre la fuite grâce au soigneur de l'équipe perdante ( " moi aussi, j'ai hué le penalty " ) et parmi les lyncheurs, le sourd Teddy semble doté d'un minimum de raison et tentera vainement de s'interposer. Il est plutôt bien vu de la part de Mocky d'avoir développé deux individualités à la tête du groupe : Rico, véritable salaud rempli de frustrations, et Albert, brute manipulable qui frappe avant de réfléchir. Rico ordonne, Albert obéit et leur dynamique ne laisse aucune place à l'hésitation : ceux qui tentent de s'interposer sont évacués du récit comme Albert le sera lui-même après avoir (trop tardivement) compris la situation. Ce sont donc évidemment les supporters qui constituent les personnages les plus intéressants, le couple principal ou le flic joué par Mocky constituants des archétypes moins captivants que l'armée de dégénérés hystériques formant sans doute la plus belle bande de zombies vue dans le cinéma français.



Mocky n'est certainement pas le plus rigoureux des réalisateurs mais à son échelle, A mort l'arbitre contient assez peu de véritables scories de mise en scène. Le match de football est bâclé, la musique trop répétitive d'Alain Chamfort finit par énerver (c'était également le cas de celle de Ferré dans l'Albatros) mais on sera admiratif devant la nervosité du montage, la constance du rythme et la très bonne utilisation de certains décors tels que l'usine, la galerie marchande ou encore les immeubles au sein desquels le cinéaste organise une formidable poursuite qui culmine lors de l'affrontement entre Eddy Mitchell et Claude Brosset sur une planche au-dessus du vide. La charge contre l'inaction de la population fait également mouche et la fin tournée sur l'insistance de Serrault est bien meilleure que celle initialement prévue dans le script. Si très peu de temps est consacré à la psychologie des supporters, les dialogues lors du coupage de la ligne téléphonique ( " quand on fabrique des téléphones toute la journée, en démolir un de temps en temps, ça fait du bien " ) les caractérise comme un groupe d'ouvriers rendus à moitié fous par leur travail ; en ceci Mocky ne se contente pas d'un pénible " l'homme est un loup pour l'homme " à La Lars Von Trier mais effectue une intéressante critique de gauche de l'aliénation des masses (il se termine d'ailleurs sur Serrault hurlant " allez les cons ! " en déambulant dans l'usine).



Evidemment, c'est le survolté Michel Serrault qui tire le plus brillamment son épingle du jeu et sa prestation furibarde est l'une des plus convaincantes de sa carrière. Eddy Mitchell et Carol Laure sont bons même si leurs personnages plus fades ne leur permettent pas de réaliser des interprétations aussi marquantes. Si quelques seconds rôles font parfois un peu tache (le présentateur de télévision, certains supporters) on peut aussi s'étonner de la prestation trop nonchalante de Mocky lui-même, infiniment moins convaincant en flic qu'il l'était en individualiste romantique dans Solo ou l'Albatros. Pour autant, A mort l'arbitre est aussi réussi comme thriller social que comme comédie noire ; le fait que Mocky soit parfois brouillon et n'ait pas la maîtrise d'un Chabrol par exemple se révèle moins problématique dans un film qui s'attache à décrire une situation chaotique. Peu de films français auront réussi à trouver l'alliage de férocité et de conscience politique des grandes comédies italiennes, et A mort l'arbitre en fait indéniablement partie.

mardi 16 décembre 2014

Blue Steel (Kathryn Bigelow, 1989)



Megan Turner (Jamie Lee Curtis) est devenue policière après en avoir longtemps rêvé. Dans un magasin, elle fait face à un preneur d'otages qu'elle abat losqu'il refuse d'obtempérer. Un courtier, Eugene Hunt (Ron Silver) vole l'arme du braqueur et Megan est suspendue faute de pouvoir prouver que celui-ci était armé.

Deuxième et dernière collaboration entre Bigelow et Eric Red, Blue Steel n'atteint pas la puissance d'Aux frontières de l'aube. Il s'agit pourtant d'un très bon thriller ou les qualités tant de la réalisatrice que du scénariste s'expriment à merveille ; ainsi l'ambiance paranoïaque et l'absence de justification claire autour des motivations de Hunt renvoient à Hitcher (dont Red signait le scénario) tandis que la photographie et le portrait d'une femme évoluant dans un univers extrêmement masculin portent la marque de Bigelow. C'est donc logiquement comme portrait de femme que Blue Steel est le plus réussi, la superbe prestation de Jamie Lee Curtis n'y étant pas étrangère. Elle incarne une de ces héroïnes touchantes, intelligentes et fortes comme le sera plus tard la Jessica Chastain de Zero Dark Thirty, et qui subit une sorte de machisme ordinaire feutré, rarement agressif et finalement assez subtil. Ainsi, l'absence de témoignages en sa faveur après le braquage est sans doute moins lié à la malveillance des otages qu'à leur incrédulité devant ce qui se passe (Jamie Lee Curtis abattant Tom Sizemore sans flancher) et qui les renvoie probablement à leur culpabilité de ne pas avoir agi.



Passons rapidement sur le flic joué par Clancy Brown, conventionnel et inintéressant ; le psychopathe incarné par Ron Silver est en revanche plus atypique. Là ou tous les personnages masculins renvoient Megan à sa condition " naturelle " de faible femme victime (son père qui n'accepte pas son choix de devenir policière, le flirt potentiel qui se détourne pour la même raison) Ron Silver la prend au contraire pour une sorte de déesse froide et violente qui prendrait plaisir à tuer. Ce qui rend Blue Steel intéressant, c'est qu'il ne confronte pas un monde de la normalité à un élément perturbateur mais qu'au contraire celui-ci n'est que le reflet inversé d'une pression sociale. Ron Silver n'est d'ailleurs pas un maniaque hystérique mais un homme non dénué de charme (il séduit l’héroïne assez facilement quand celle-ci est fragilisée). Bigelow a souvent montré des personnages hésitants entre deux groupes (Aux frontières de l'aube, Point Break) qui n'arrivent à trouver leur identité qu'en s'arrachant à leurs emprises respectives. Il est étonnant de voir que Bigelow et Red ont fait de Silver un courtier en affaires et dans la mesure ou il est parfois montré au travail (sans sembler pour autant malheureux), il est difficile de déterminer si sa folie est ou non liée à son milieu professionnel et tout en évitant l'écueil du pensum démonstratif, le duo alourdit quelque peu le film par ces séquences qui finalement demeurent assez floues. 



Blue Steel cède également à quelques facilités narratives (l'appartement de Jamie Lee Curtis est un vrai moulin, l'attitude de sa hiérarchie est d'une stupidité exagérée) mais il y a toutefois un talent évident pour ce qui est de capter l'atmosphère froide de New-York et la solitude urbaine. La photo bleutée et l'usage des ralentis rappellent quelque peu les Mann des années 80 et ces derniers choquent moins que ceux du Solitaire ou du Sixième sens car plus pertinents dans une dramaturgie forte comme celle de Blue Steel. Il y a une tentation du vigilante-movie, genre qu'un autre talentueux cinéaste new-yorkais nommé Abel Ferrara avait également déconstruit avec l'Ange de la vengeance, mais Bigelow est quant à elle plus attachée aux personnages qu'aux situations excessives ce qui réduit très légèrement sa force ici : on ne ressent pas tout à fait le fait que l'héroïne puisse basculer dans la violence comme Hunt lui demande. Néanmoins, Blue Steel est une réussite qui a pour tort principal d'avoir été réalisé entre deux œuvres encore plus abouties.

vendredi 12 décembre 2014

Lady Yakuza 7 : Prépare-toi à mourir ! (Tai Kato, 1971)



Oryu assiste à un conflit entre un bossu, Yasu, et des hommes du clan Kubo. Elle défend l'infirme qui était accusé d'avoir triché aux cartes, et plus tard c'est au tour d'Oryu elle-même d'être accusée du même forfait dont elle ne se tire que grâce à l'intervention de Yuki (Koji Tsuruta), un yakuza qui tente de faire barrage au clan Kubo.

On demandera un peu d'indulgence pour cette critique étant donné le risque de paraphraser ce qu'on a écrit sur Lady Yakuza 6 : il s'agit encore une fois d'un film formellement très abouti mais dont le scénario est un décalque de celui des épisodes précédents. En réalité, ces deux points sont à nuancer ; en ce qui concerne le scénario, si l'on n'échappe pas aux personnages que l'on finit par connaitre par cœur (Koji Tsuruta en yakuza chevaleresque, un orphelin pleurnichard, un jeune chien fou et des méchants très méchants) les deux " nouveaux " sont plus intéressants. Il y a d'abord Yasu, un bossu rejeté par la société qu'Oryu parvient à acquérir à sa cause par un peu de bienveillance, et l'adjoint de Yuki qui le trahira avant de succomber au remord. Ils sont les seuls personnages nuancés qui revêtissent des nuances de gris, et le fait est que si on parvient à ne pas (trop) se lasser de la saga, c'est parce que derrière une structure très codifiée aux apparences manichéennes, les variations se font principalement autour de personnages aux motivations moins évidentes. Il y a également une teinte plus sombre qui apparaît ici avec une Oryu qui, en dehors de ses tête-à-tête avec Yasu, semble progressivement perdre de sa patience et de sa compréhension avant d'exploser durant les dernières minutes.



L'autre petite originalité, c'est qu'on revit toutes les situations archi-rebattues... mais sur d'autres personnages ! Ainsi ce n'est pas le bon oyabun qui est tué par les hommes du clan Kubo mais Yuki lui-même, Yuki qui ne participe logiquement pas au combat final, " remplacé " par le chien fou Tsune qui était habituellement l'archétype du jeune sanguin qui se faisait éliminer aux deux tiers du film. De même, l'intermède comique avec Kumatora est ici placé en fin de film (c'était pratiquement tout le temps au début) ce qui représente un choix audacieux mais raté : la tension accumulée depuis une heure s'échappe brutalement lors d'une séquence burlesque ou Oryu fait voltiger un ministre à moitié nu pendant que l'ami Kumatora se fait prendre à tripoter une geisha... Ces scènes sont habituellement lourdaudes, ici elles cassent en plus un rythme par ailleurs mieux géré sur la durée que dans l'épisode 6. Il faut aussi mentionner que les scènes larmoyantes propres au genre sont un petit peu trop présentes, mais ce défaut est récurrent dans les volets ou Oryu est confrontée à des figures d'enfants orphelins.



Formellement, même si l'on est un demi-cran en-dessous des épisodes 3 et 6 (qui sont de véritables merveilles sur cet aspect), une fois encore Tai Kato survole la concurrence. Du plan-séquence aussi discret que réussi, du combat en plan fixe rendu miraculeusement pertinent par la position du cadre (l'assassinat de Yuki), un repos de l'héroïne avant la confrontation finale ou Kato ose ne filmer que la moitié de son visage, des jeux extrêmement recherchés sur la profondeur de champ... Lors du combat final, on est stupéfait de constater qu'un acte apparemment anodin (l'héroïne perd sa barrette et se bat les cheveux au vent) donne à la scène une brutalité et une sauvagerie que l'on n'avait pas anticipé ; de même, si il n'est évidemment pas nouveau au cinéma de créer une dramatisation à l'aide de la pluie - Les sept samouraïs sont passé par là - Kato le fait avec une redoutable efficacité.
On arrive pratiquement au bout de la saga - ne reste plus qu'un épisode - et faute d'avoir rencontré une grande série du niveau des Baby Cart, des meilleurs Zatoichi ou Sasori, on lui saura gré d'avoir imposé une actrice dont le charme et le naturel éclipsent un jeu quelque peu archétypal ainsi qu'un metteur en scène talentueux doublé d'un esthète. Rien que pour cela, on ne regrette rien.

jeudi 11 décembre 2014

Opération frère cadet (Alberto de Martino, 1967)


Neil Connery (Neil Connery), un chirurgien, est spécialisé dans l'hypnose. Alors qu'une redoutable organisation chercher à faire main basse sur les réserves d'or planétaires, les services secrets décident de recruter Neil, frère d'un de leurs meilleurs agents secrets.

On parle beaucoup du western spaghetti, plus rarement du péplum mais on oublie que durant la période de transition entre les deux (en gros le milieu des années 60) a fleuri un troisième genre important au sein du cinéma populaire italien : le film d'espionnage. L'important succès des premiers James Bond a conduit des distributeurs décidément pleins d'idées neuves à multiplier les agents 003, 3S3 et autres 077 qui parviendraient parfois à faire passer les aventures de nos Coplan et OSS 117 nationaux pour de sympathiques divertissements. Opération frère cadet n'est certainement pas original en ce qui concerne sa trame : un méchant qui est le numéro 2 d'un grand conglomérat criminel nommé Thanatos souhaite récupérer des secrets industriels cachés dans l'inconscient d'une jeune japonaise. Les services secrets anglais font alors appel à un médecin qui contrecarre les plans de l'organisation grâce à sa science du tir à l'arc et à de l'hypnose. A priori, on pourrait penser que ces deux talents ne sont guère cinégéniques, alors que... ils ne le sont pas du tout ! Le déficit en spectaculaire est évident mais au moins le budget relativement correct permet quelques réjouissances (l'armée personnelle du méchant composée d'anciennes Miss Italie !).



Non, l'intérêt principal (unique ?) d'Opération frère cadet, c'est le jeu délirant auquel le film joue avec ses modèles bondiens. Bernard Lee reprend le rôle de M (renommé Cunningham) tandis que Lois " Moneypenny " Maxwell se voit attribuer le nom de Miss Maxwell ! Beta est joué par Adolfo Celi à peine deux ans après qu'il ait incarné Largo dans Opération tonnerre et la " James Bond girl ", Daniela Bianchi, était celle de Bons baisers de Russie. Même un second rôle comme celui d'Alpha - le supérieur d'Adolfo Celi - est tenu par Anthony Dawson, vu dans James Bond contre Dr No, mais la cerise sur le gâteau réside dans le choix de Neil Connery, le frère de Sean, pour jouer le frère de Bond ! Evidemment, il était impossible pour Alberto de Martino de nommer clairement les personnages, ce pourquoi on voit fleurir des dialogues plus incongrus les uns que les autres en guise de clins d'oeil aux spectateur. " C'est le frère de cet agent, vous savez, zéro zéro.... " " Oui, ennuyeuse, cette famille ! " discuteront Alpha et Beta ; et lorsque le bon docteur Connery avertit Daniela Bianchi de la trahison de son employeur, celle-ci lui répond spontanément qu'il lit trop de romans de Ian Fleming.



Est-ce qu'Opération cadet est réellement un film ? Il apparaît plus comme une blague originellement drôle mais qui diluée en un film d'une heure et demie est évidemment incapable de tenir la distance. On note l'effort appréciable du duo Ennio Morricone/Bruno Nicolai à la musique, qui signent un thème très loin des standards bondiens (on se croirait dans un western, la présence de la chanteuse Christy qu'on retrouverait sur Colorado ou Tepepa jouant probablement) mais très sympathique. Pour le reste, à voir une parodie bondienne on préférera largement la série Harry Palmer avec Michael Caine dont les épisodes signés Sidney J. Furie ou Ken Russell valaient largement leurs modèles ; pour ne pas en rajouter trop longtemps sur la prestation calamiteuse de Neil Connery, on laissera le réalisateur exprimer son ressenti vis-à-vis de son " acteur " (rappelons que contrairement à son frère, il n'avait aucune formation) :

" Nous avions à relever le défi quasi impossible d'utiliser ce pauvre Neil Connery. Non seulement c'était le contraire d'un acteur, mais il ne ressemblait à rien. [...] Nous lui avions inventé un personnage de médecin hypnotiseur : il n'avait donc qu'à agiter les mains pour hypnotiser les gens, et il parlait le moins possible. A part ça, il faisait ce qu'il pouvait [...] "

Qu'on ne nous accuse pas d'être mauvaise langue !

mercredi 10 décembre 2014

La Demeure de la rose noire (Kinji Fukasaku, 1969)



Kyohei (Eitaro Ozawa) tient un club isolé ou chacun vient noyer sa déprime. Une mystérieuse femme, Ryuko (Akihiro Miwa) vient troubler les hommes et entraîner des conflits entre eux. Kyohei et son fils Wataru (Masakazu Tamura) succombent bientôt à son charme.

Seconde et dernière collaboration Fukasaku/Akihiro Miwa après Le Lézard Noir, La Demeure de la rose noire n'a en réalité que peu de points communs avec son prédécesseur. Certes, il y avait des aspects mélodramatiques dans Le Lézard noir, mais ceux-ci étaient insérés dans une intrigue à la Arsène Lupin qui faisait la part belle à une esthétique pop aux frontières du surréalisme. Entre ces deux films, le cinéaste avait tourné le très intéressant Kamikaze Club où l'usage de nombreux procédés stylistiques (flashbacks, arrêts sur image, caméra à l'épaule) flirtait avec l'expérimental. C'est justement cette veine qui affleure parfois dans La Demeure de la rose noire mais étonnamment, ce qui fonctionnait dans un univers chaotique et bouillonnant se révèle maladroit dans le cadre d'un mélodrame ; les moments ou le découpage s'accélèrent sont quasiment illisibles, les flashbacks " filtrés " en couleurs sentent l'artifice (en dépit du moment réussi d'affrontement entre le soupirant et le garde du corps de l'héroïne ou la théâtralité assumée se révèle pertinente). On peut en savoir gré à Fukasaku de n'avoir pas cherché à copier Le lézard noir, mais on comprend assez aisément que La Demeure de la rose noire soit resté quelque peu dans son ombre tant l'inévitable comparaison se fait en sa défaveur.



Pour ce qui est du scénario, la " femme fatale " vient donc créer un triangle amoureux entre un père et son fils, tous deux fous amoureux de Miwa. On est d'abord témoin des ravages crées par Miwa au travers le spectacle de ses amants qui s'entre-tuent mais en dépit de sa passivité, elle ne pousse pas volontairement les hommes à la mort. Miwa n'est pas manipulatrice, seulement indifférente au mal qu'elle porte. Il s'agit d'un thème récurrent dans le film noir mais vu également dans un certain cinéma d'auteur (le Théorème de Pasolini, le Jules et Jim de Truffaut) où un personnage vient bouleverser un équilibre amical ou familial par l'amour qu'il provoque chez plusieurs personnes. Ici, Ryuko symbolise un désir d'émancipation et les protagonistes masculins semblent tous plus inerte et apathiques les uns que les autres avant qu'elle n'éveille chez eux le gout du risque et la volonté de changement. Les chansons jouent également un rôle proche puisqu'il s'agit d'opposer la forte personnalité de Ryuko, qui modifie des standards à sa sauce, et le hiératisme de la femme de Kyohei dont l'immobilisme culturel ne fait aucun doute. Alors oui tout ceci est intéressant mais l'est d'avantage sur le papier que devant l'écran ; la figure de Ryuko est tellement déréalisée (que ce soit par la caméra qui l'isole des autres personnages, par son absence de réaction et plus simplement par le fait qu'elle est incarnée par un acteur travesti) qu'on perd pratiquement toute forme de chaleur humaine. Les personnages n'ont pas la densité requise pour être autre chose que des pantins s'agitant sans trop impliquer le spectateur, et on assiste aux lamentations, aux dépressions et aux suicides de ceux-ci plus intrigué que captivé.



Pourtant, La Demeure de la rose noire est un pur film fukasakien en ce qu'il explore son grand thème de prédilection : les laissés pour compte de l'après-guerre, ou comment les valeurs morales traditionnelles se retrouvent inopérantes dans un contexte de frénésie capitaliste. Wataru est un cousin du révolté d'Hommes, porcs et loups et constate avec difficulté le succès de son frère qui a réussi socialement après lui avoir volé sa compagne. La division des personnages, surtout au sein de la structure familiale, conduit soit à la névrose soit à la mort ; un an plus tard, il signera son film le plus explicite sur ce thème : l'excellent Si tu étais jeune. On le voit, tout en demeurant un film relativement correct, La Demeure de la rose noire souffre de la comparaison avec les œuvres plus abouties du cinéaste qui le surpassent tant sur le plan esthétique que thématique.

dimanche 7 décembre 2014

Le Flambeur (Karel Reisz, 1974)



Axel Freed (James Caan), un professeur d'anglais, contracte une dette de jeu de 44 000 dollars auprès de son bookmaker habituel, Hips (Paul Sorvino). Il tente de contacter un usurier mais abandonne ; sa mère accepte finalement de lui donner 20 000 dollars, que Freed s'empresse de miser à La
s Vegas dans l'optique de se refaire.

Fedor Dostoievski est présent trois fois dans Le Flambeur. Il est l'auteur d'une des œuvres lues par Axel Freed à ses étudiants (Les Carnets du sous-sol) ; il est également celui du livre dont s'inspire le scénario de Toback : le Joueur. Enfin, certaines réflexions mises dans la bouche d'Axel sortent directement de Crime et châtiment notamment tout ce qui concerne le fait que Freed est convaincu d'être " protégé " par sa bonne étoile et que rien de bien grave ne peut lui arriver. C'est donc une sorte de néo-film noir atypique, au canevas très conventionnel (un joueur ruiné cherche à se refaire) mais dont le déroulement multiplie les impasses, les fausses évidences et les pieds de nez aux mécaniques trop bien huilées. Ainsi, Freed se rend chez un prêteur sur gages après une longue traversée mais, énervé par son ton, préfère rentrer chez lui sans argent. Les bookmakers sont menaçants mais Axel ne subit jamais de châtiment physique ; les mafieux puissants évoqués ici et là n'apparaissent finalement jamais et en cela, le Flambeur est un pur film des années 70, décennie durant laquelle de nombreux films mirent en scène des héros déphasés au sein d'un monde incompréhensible ou absurde (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon en Italie, Conversation secrète ou The Nickel Ride aux Etats-Unis). Et si il ne procure pas le vertige métaphysique de ce trio de grandes réussites, Le Flambeur mérite toutefois le plus grand intérêt.



L'un des grands points forts du film de Reisz réside dans ses acteurs. Le charismatique James Caan fait merveille en intellectuel monomaniaque capable de parier sur tout et n'importe quoi, mais la galerie de seconds rôles est l'une des plus éclatantes de l'époque : Lauren Hutton en femme aimante mais dépassée, Burt Young en brute épaisse, Antonio Fargas en maquereau, Paul Sorvino en bookmaker et même M. Emmet Walsh en parieur texan et James Woods en guichetier ! Si Reisz avait déjà une expérience importante au sein du free cinéma anglais, l'identité du Flambeur est aussi fortement tributaire de son scénariste James Toback. En effet, celui-ci réalisera quatre ans plus tard un superbe Mélodie pour un tueur très proche thématiquement de sa collaboration avec Reisz. Sa méthode est extrêmement déroutante puisqu'elle rompt souvent avec les trajectoires " en droite ligne " de la plupart des polars. Freed perd, tente de se faire prêter de l'argent, y parvient enfin, rejoue, gagne, rejoue, perd, puis regagne... Les circonvolutions souhaitées par Toback rendent le film plus imprévisible et donc plus réaliste mais conduisent à un rythme parfois bancal ainsi qu'à des séquences dont on ne perçoit que difficilement l'utilité : les disputes conjugales entre Caan et Lauren Hutton n'apportent pas grand chose à l'histoire.



Axel Freed est un personnage atypique car son démon du jeu s'accompagne pourtant d'une éducation privilégiée (sa famille est relativement riche) et d'une grande culture. Comme dans Mélodie pour un tueur, il s'agit d'un personnage doté d'une âme d'artiste qui tente de s'affranchir de la triste réalité quotidienne ; lorsqu'il double sur un 18 au black jack, ce n'est pas tant parce qu'il est convaincu de sa nécessité que parce que le geste est a priori voué à l'échec et donc artistique. Il compare son action à celle d'un sportif " illuminé " avant l'action, quand bien même cette action serait inefficace ou contre-productive, et il est d'ailleurs manifeste que le seul remord manifesté par Freed intervient lorsqu'il corrompt le jeune basketteur noir. Dommage que la mise en scène de Reisz soit quelque peu fonctionnelle comparativement aux Scorsese de l'époque dont les thématiques étaient par ailleurs assez proches (au point que le remake sorti dernièrement devait à l'origine réunir le tandem Scorsese/Di Caprio) mais Le Flambeur est l'une des belles réussites cinématographiques sur l'addiction au jeu.

samedi 6 décembre 2014

Breaking News (Johnnie To, 2004)


La police, conduite par le sergent Cheung (Nick Cheung) tente d'arrêter une bande de braqueurs menée par Yuan (Richie Jen). Après une fusillade, les gangsters s'enfuient et se cachent dans un immeuble où ils prennent une famille en otage. L'ambitieuse Rebecca Fong (Kelly Chen) fait pression sur les autorités pour faire de l'arrestation de Yuan une opération de communication médiatique.

Il y a plusieurs films qui cohabitent en Breaking News, avec un niveau de réussite très inégal : une série B d'action et une satire médiatique, un film sur le binôme Nick Cheung/Kelly Chen et un sur la paire Richie Jen/Yong You, une oeuvre formaliste et une sorte de thriller technologique. L'ouverture avec son long plan-séquence a fait beaucoup pour la renommée de Breaking News et si le procédé n'est pas nouveau (A toute épreuve n'a toujours pas été dépassé), reste que To s'y emploie avec une extraordinaire virtuosité, posant tous les enjeux et tous les personnages en une seule scène et très peu de dialogues. On retrouve l'usage du plan-séquence de manière plus discrète lorsque Nick Cheung en moto poursuit Richie Jen mais To sait varier les procédés et utilise intelligemment le split-screen ou le ralenti avec la parcimonie qui s'imposait. Globalement, les moments d'action pure sont tous excellents et sans inventer une esthétique nouvelle comme Tsui Hark (Time and Tide consistait aussi pour partie à voir un huit-clos dans un immeuble) Johnnie To montre qu'il surpasse sans grande difficulté 80 % de la concurrence au sein du cinéma de Hong Kong.



Si To est donc tout à fait convaincant comme cinéaste de série B, ses velléités gentiment auteurisantes fonctionnent moins. La critique du rôle des médias, de leur facilité à être manipulés tant par la police que par les gangsters est assez facile et on reste très loin de la pertinence d'un Sidney Lumet, par exemple. Autant le scénario réserve habilement quelques intéressants renversements de situation (l'échange entre les otages et les braqueurs, la course à la manipulation entre Kelly Chen et Richie Jen) autant il échoue lorsqu'il tente de " faire discours ". Un autre point en demi-teinte provient de la distribution : si les deux bandes de méchants, celle de Richie Jen et celle de Yong You, bénéficient de très bonnes interprétations, celles des héros sont parfois gênantes tant Nick Cheung et Kelly Chen semblent s'obstiner à faire exactement la même tête durant une heure 30. Et autant Cheung hérite d'un personnage de flic (ultra)obstiné qui n'a de toute façon pas beaucoup de relief, autant Kelly Chen saborde ses confrontations avec Richie Jen qui auraient nécessité une comédienne autrement plus nuancée. On peut d'ailleurs regretter que les comédiens plus talentueux que sont Simon Yam, Maggie Shiu ou Lam Suet soient réduits à de simples caméos (les deux premiers) ou à un rôle secondaire (Lam Suet).



En dehors de l'action, les moments les plus réussis sont les intermèdes décalés proches de la partie de football de The Mission, comme les tentatives de séduction de Richie Jen ou la rencontre entre Yuan et Chuan qui fraternisent autour de leur vocation avortée de devenir cuisiniers ; l'idée de l'interversion des rôles entre le tueur à gages et le braqueur conduit d'ailleurs à une fin très réussie qui emporte le morceau. En revanche, on se serait bien passé de l'humour ultra-lourdaud autour de Hui Shiu-hung avec notamment des blagues consternantes autour des pets. La photographie bleutée est correcte mais un an après PTU, il est manifeste que Breaking News constitue plutôt une régression sur ce plan tant son prédécesseurs était l'un des films de To les plus aboutis visuellement. Breaking News est donc un Johnnie To inégal ou d'excellentes choses côtoient des aspects moins enthousiasmants  mais au-delà de son hétérogénéité, il eut le mérite de démontrer une nouvelle fois la créativité d'un des meilleurs cinéastes asiatiques en activité. Certes, To a fait mieux avant (The Mission, PTU) et après (les deux Election, Exilé) mais en l'état Breaking News demeure un bon film sans temps mort et très agréable à regarder.

vendredi 5 décembre 2014

Hercule contre Rome (Piero Pierotti, 1964)


Hercule (Alan Steel) défait une bande de pillards de la garde prétorienne aux ordres de Philippe l'Arabe (Daniele Vargas). Celui-ci assassine l'Empereur et convoite sa fille Ulpia (Wandisa Guida), mais Hercule ne tarde pas à voler à son secours tandis que l'armée de Trajan Dèce se prépare à affronter celle de l'usurpateur.

On trouve bon nombre de faux Hercule au sein de la production italienne, et notamment en se fiant aux versions anglaises qui ne connurent jamais les autres " bons géants " et renommèrent ainsi tout un tas d'aventures de Maciste, Samson ou Ursus. Si la France a également eu son lot de traductions approximatives, elle a généralement évité de mélanger tout le monde ; les faux Hercule les moins évidents sont au final des aventures de rebelles ou de gladiateurs (Hercule contre les mercenaires, Le magnifique gladiateur et donc cet Hercule contre Rome) où le héros est bel et bien nommé Hercule dans la version originale (parfois, c'est un titre qu'il usurpe) mais devient absolument déconnecté de toute la mythologique grecque. Ces trois films se passent d'ailleurs tous sous la Rome impériale et ont plus à voir thématiquement avec le Spartacus de Kubrick qu'avec l'image du demi-dieu renvoyée par Steve Reeves. Seule change l'époque (dans Hercule contre les mercenaires, on lutte contre l'infâme Caligula pour remettre Claude au pouvoir ; ici le méchant est Philippe l'Arabe et le gentil Trajan Dèce) mais la platitude des histoires ne peut que plonger le spectateur dans un profond ennui.



Le péplum italien connait deux subdivisions principales : les films historiques et les films mythologiques. Les premiers s'intéressent à des grandes figures antiques (Messaline, Cléopâtre, César...) tandis que les seconds voient généralement des surhommes fictifs évoluer dans des univers plus ou moins fantasmagoriques. Les Hercule " gladiateurs " font partie des très rares films à mi-chemin entre les deux tendances, puisqu'un héros mythologique s'en vient rétablir l'ordre bouleversé par des personnages réels ; on réalise très rapidement l'affreux contresens qu'est cette synthèse, puisqu'elle combine les pires éléments des deux genres. Elle aboutit à supprimer toute la complexité du péplum historique en réduisant les empereurs romains au rang de stéréotypes positifs ou négatifs qui n'admettent aucune nuance, tout comme elle évacue tout ce qui fait le charme d'un Hercule à la conquête de l'Atlantide ou même de Hercule contre les vampires en supprimant les décors baroques, les créatures inquiétantes, les apparitions de dieux et les exploits véritablement surhumains. Ne reste donc qu'un monsieur muscle rarement très futé qui joue les Conan du pauvre dans une antiquité de carton-pâte. 



Hercule contre Rome n'est pas complètement nul (il y a un certain effort à la photographie, Alan Steel est meilleur que Kirk Morris ou Dan Vadis) mais n'apporte rien de nouveau au genre ; il n'est qu'un produit interchangeable incapable de créer une seule séquence qui puisse mériter le détour excepté peut-être un lancer d'enclume qui réjouira les amateurs de fêtes basques. Film après film, on constate que les décors se rétrécissent, que les jeunes vierges sont de moins en moins belles et que les méchants n'y croient pas plus que nous - à l'image des sbires moustachus qui passent tout le film à menacer des femmes ou des paysans pour mieux se faire dérouiller en dix secondes par Alan Steel -. On rejoindra aussi certains spécialistes sur le fait que présenter le massacreur de chrétiens Trajan Dèce comme un héros a quelque chose de savoureux étant donné l'habituel côté religieux et pudibond du péplum. Enfin, l'action est famélique mais au moins Hercule s'emploie à cogner du romain avec un nombre assez varié d'instruments : Steel donne des coups de masse, envoie des rochers, renverse des balistes, défonce une cohorte à coups de béliers et donne l'impression de s'amuser comme un fou. Cela fera toujours une personne.

mercredi 3 décembre 2014

Strange Illusion (Edgar G. Ulmer, 1945)


Paul Cartwright (Jimmy Lydon), un adolescent, fait un rêve dans lequel son père décédé le met en garde contre son assassin qui se trouve être également l'homme qui courtise la mère de Paul, Brett Curtis (Warren William). Paul décide de mener son enquête dans les dossiers de son père mais s'isole de plus en plus de son entourage, captif de la forte popularité de Curtis.

Nous rejoindrons sans hésiter Bertrand Tavernier lorsqu'il admet son scepticisme devant le résumé qu'Ulmer donne de son propre film (une oeuvre anticipant le Psychose d'Hitchcock, on a bien cherché aussi mais on ne voit aucun rapport entre les deux) tout comme lorsqu'il remarque en revanche la forte parenté de Strange Illusion avec l'Hamlet de Shakespeare, le tout mâtiné d'un évident freudisme qui pour le coup rappelle effectivement certains films d'Hitchcock des années 40 (La Maison du Docteur Edwardes en tête). Le mélange fonctionne bien, et en dépit de son budget de toute évidence restreint Ulmer parvient à créer un film noir psychologico-onirique qui sans être totalement abouti a pour lui le mérite de l'originalité : on n'a vu d'atmosphère équivalente nulle part dans le film noir.


Strange Illusion est une sorte de lutte intériorisée entre un jeune garçon et l'homme qui a séduit sa mère. Celui-ci est charmeur, élégant et courtois, ce qui lui assure un grand succès auprès de tous les personnages féminins du film jusqu'à ce que son masque se fissure. Il y a une séduction du mal qui rappelle le magnifique L'Ombre d'un doute à ceci près que le personnage principal est ici motivé par la jalousie. Certes, tout ceci est parfois difficile à avaler ; si l'idée des visions de Paul qui lui permettent de découvrir petit à petit les preuves de l'assassinat de son père est acceptable au sein d'une mécanique " shakespearienne ", le duo de méchants composé du psychiatre qui enferme Paul (franchement bien peu surveillé) et de l'assassin n'est pas toujours crédible. Par certains aspects, Ulmer semble se rapprocher d'un autre spécialiste de la série B, le producteur Val Lewton qui était spécialisé dans la suggestion et les atmosphères menaçantes. La scène sur le toit (le psychiatre va t-il céder à la tentation de pousser Paul dans le vide ?) ou celle de la promenade en bateau (Warren William va t-il violer la jeune fille ?) sont très réussies à cet égard et montrent un Ulmer capable d'installer un climat d'angoisse avec trois fois rien.


Série B oblige, la distribution n'est pas la plus prestigieuse vue dans un film noir. Si le jeu de Jimmy Lydon est limité, au moins son personnage d'adolescent n'est pas encombré de la plupart des poncifs associés à la jeunesse (il est mature, intelligent et pour tout dire, pratiquement adulte dans sa tête). Warren William est très bien en salaud courtoisement menaçant ; le fait qu'il soit non seulement un assassin mais aussi un pédophile aurait pu apparaître comme une grosse lourdeur du scénario mais sert surtout à accroître la menace qui pèse a priori sur Paul et sa mère aux autres personnages vulnérables du film : la sœur de Paul, Dorothy, et sa petite amie Lydia. Ses perversions sont de plus suggérées assez finement (on ne le voit jamais à l'écran avoir une attitude réellement agressive sexuellement). Sans jouer mal, le reste du casting fait le minimum syndical sachant que leurs personnages ne nécessitent pas non plus une interprétation exceptionnelle.
Disons quelques mots sur la fin, sans conteste une des plus atypiques du film noir. Elle est à la fois logique - elle répond à l'introduction - et ouverte, ce qui laisse planer le doute sur le sort de Paul. Si chacun en conclura ce qu'il voudra, il semble qu'y voir un happy end comme le fait Tavernier est très excessif, puisqu'au contraire la quête de Paul le conduit à rejoindre ses rêves et donc à quitter, au moins métaphoriquement, le monde des vivants. Strange Illusion n'est pas une merveille du niveau de Détour (l'une des meilleures séries B des années 40) mais reste un très bon cru Ulmerien au sein d'une carrière extrêmement inégale et mériterait certainement une plus ample reconnaissance... Dont acte.

lundi 1 décembre 2014

Le Dollar troué (Giorgio Ferroni, 1965)


Le sudiste Gary O'Hara (Giuliano Gemma) revient de la guerre de Sécession. Il cherche à rejoindre son frère Phil mais n'a plus d'argent. Un notable, McCoy (Pierre Cressoy) engage O'Hara pour le débarrasser d'un bandit, qui s'avère être Phil. Les deux frères sont abattus mais Gary survit grâce à une pièce dans laquelle la balle s'est figée. Il juge de se venger.

Si Pour une poignée de dollars fut l'un des plus gros succès du box-office italien en 1964, l'année suivante serait quant à elle celle de l'imposition claire et nette du western transalpin. Et pour quelques dollars de plus de Sergio Leone, l'Adios Gringo de Giorgio Stegani, les deux Ringo de Duccio Tessari et ce Dollar troué occuperont les cinq premières places du classement (avec Giuliano Gemma dans quatre d'entre eux !). Comparativement à Leone ou même à Tessari, Ferroni reste extrêmement sage. Le Dollar troué ressemble plus à un parent pauvre des collaborations entre Anthony Mann et James Stewart qu'aux grands opéras mis en musique par Morricone. Il demeure un manichéisme presque enfantin dans lequel un héros pourvu de toutes les qualités passe pratiquement une heure avant de tirer sur quelqu'un, là ou ses comparses Ringo ou Sartana aligneraient les cadavres. L'attachement à une certaine psychologie est aux antipodes de l'évolution d'un genre ou les pistoleros deviendront de plus en plus fantomatiques, figures christiques (Keoma) suspectées d'être la réincarnation du Diable (Le Grand silence), parfois ressuscités depuis leur tombe (Tire encore si tu peux). Au contraire, Gary est tout ce qu'il y a de plus humain : il souffre - beaucoup -, se trompe a plusieurs reprises, est capturé, torturé... Au moins Ferroni arrive t-il à mettre son héros en danger, et Gary se révèle un peu plus subtil que la plupart des héros italiens dans ses stratagèmes pour se débarasser de ses ennemis (belle idée que celle des pistolets aux canons sciés).



Ce n'est pas que Le Dollar troué soit dénué de qualités. Il pourrait même sans doute plaire à un allergique aux excès de violence et aux surhommes invincibles, mais le fait est qu'en respectant autant la tradition américaine du western vengeur, le film de Ferroni se place en concurrence directe avec eux. Le côté délirant du genre lui permet souvent de trouver un ton unique ; le classicisme un peu planplan ne fait que mettre les yeux du spectateur en face de lacunes (une reconstitution un peu toc, une photo pas transcendante) qu'on aurait mieux acceptées de la part d'une oeuvre plus originale. Le scénario a beau réserver ce qu'il faut de traîtrises, de rebondissements, d'assassinats crapuleux et de mise en danger d'innocents, on reste avec le sentiment que tout cela a déjà été raconté en mieux par le cinéma américain et Giuliano Gemma, qui sortait du tournage d'Un pistolet pour Ringo, semble beaucoup moins à l'aise avec son personnage de vengeur au cœur tendre qu'avec celui du sarcastique roi de la gâchette. De plus, la galerie de personnages unidimensionnels (Gary le preux, sa femme jouée par Ida Galli qui se retrouve toujours en détresse, le notable détestable incarné par Pierre Cressoy) ne permet pas aux acteurs de briller tant leurs motivations sont conventionnelles.



Le Dollar troué aide à comprendre un fait historique souvent oublié : si Sergio Leone, faute d'être à l'origine du genre, lui donna ses premiers grands films, il faudra en réalité attendre 1966 et l'impact du flamboyant Django de Sergio Corbucci pour que le western italien réussisse à s'émanciper totalement de la tutelle américaine (les années 1967-1968-1969 constitueront l'apogée du genre). En attendant, des artisans consciencieux comme Ferroni réaliseraient quelques grands succès populaires dont la timidité apparaît aujourd'hui comme datée, et qui fait de ce Dollar troué un film convenable mais très peu marquant pour peu qu'on le découvre à l'âge adulte. On notera un des rares aspects ouvertement léoniens : le très beau générique de départ animé très proche de ceux de la trilogie des dollars.

dimanche 30 novembre 2014

1974, une partie de campagne (Raymond Depardon, 2002)



Le documentariste Raymond Depardon suit Valéry Giscard d'Estaing, candidat à l'élection présidentielle de 1974, de l'annonce de sa candidature à sa victoire face à François Mitterand.

Paradoxe amusant : le film de Depardon aura connu des difficultés de conception dues à sa perception comme film de droite (le premier monteur auquel il fut présenté refusa de s'approcher d'un " film giscardien ") tandis que la censure opérée par le président lui donnera plus tard une réputation d'oeuvre de gauche. En réalité, il peut sembler quelque peu absurde de chercher du militantisme chez Depardon qui s'intéresse davantage aux hommes qu'aux idées et dont le sujet est ici plus proche de la stratégie que de la politique : on n'apprendra quasiment rien sur le programme de Giscard ou de ses opposants, pas plus que sur les réelles oppositions idéologiques entre Chaban-Delmas et lui, par exemple. Seules les stratégies semblent compter ici et on assiste moins à un débat sur le fond qu'à une partie d'échecs. Il y a toutefois très peu d'intérêt de la part de Giscard pour les personnalités de ses adversaires : Mitterand et Chaban ne semblent pas provoquer chez lui le moindre énervement. Il est en revanche prompt à mettre en valeur sa famille (ses filles qui font les titres du journal), à organiser des meetings particulièrement axés sur la communication " à l'américaine ". A l'époque, cette vision d'un Giscard cynique et manipulateur pouvait peut-être choquer, mais il est difficile pour le spectateur de 2014 de s'en émouvoir, sans doute parce que les méthodes employées sont devenues une norme et que l'austérité gaulliste ou mitterandienne a pratiquement disparu.



Quoi qu'on pense de sa politique - il est extrêmement difficile de chroniquer un documentaire de ce type en mettant de côté ses opinions personnelles - il faut reconnaître à VGE son impressionnante faculté de contrôle. Si le film de Depardon est évidemment une manière pour lui de mettre en scène sa jeunesse et sa modernité (on l'oublie parfois, mais il fut le plus jeune président de la Vème République), il ne semble pratiquement jamais oublier la présence de la caméra et reste mesuré y compris dans l'intimité. La séquence " problématique ", qui aboutira à la censure, apparaît aujourd'hui bien quelconque comparativement aux excès des hommes politiques en place. Elle est d'ailleurs plus drôle que polémique : on y voit Giscard, attendant les résultats du second tour, s'insurger contre la présence à la télévision de Michel d'Ornano. Il appelle Michel Poniatowski pour s'en plaindre, raccroche, constate à la télé qu'il devance François Mitterand et rappelle immédiatement Poniatowski pour critiquer d'Ornano. Qui plus est, il ne faudrait pas oublier que Giscard et d'Ornano furent des amis politiques de longue date et que cette dispute ne révèle rien politiquement (d'Ornano sera ministre sous l'ensemble du septennat giscardien).



1974, une partie de campagne est quelque peu frustrant. Souvent longuet (nombre de séquences n'apportent presque rien), parfois drôle (le tic de VGE de se repeigner), il possède les qualités et les défauts de la méthode Depardon : l'absence de voix-off, le montage qui saute d'une étape à l'autre sans crier gare évitent toute lourdeur démonstrative, toute idée de reportage à thèse. Mais nous devons faire avec un son de mauvaise qualité qui rend certaines discussions inaudibles et avec une chronologie parfois très difficile à suivre. Quelques beaux moments ou Depardon parvient à capter quelque chose de fort, comme les manœuvres d'immobilisme de l'entre-deux tours ou la nervosité devant l'attente des résultats, surnagent dans un ensemble trop disparate. Autant qu'un témoignage historique sur un changement de mode de communication, il s'agit également d'un type de reportage résolument aux antipodes des normes médiatiques contemporaines, sans humour factice et sans connivence avec le spectateur, le tout aboutissant à un documentaire plus intéressant que réellement enthousiasmant.

jeudi 27 novembre 2014

Aux frontières de l'aube (Kathryn Bigelow, 1987)



Un jeune fermier, Caleb (Adrian Pasdar) rencontre une jolie femme égarée, Mae (Jenny Wright). Il tente de la séduire, mais Mae le mord. Après avoir été transformé en vampire, Caleb est capturé par les compagnons de Mae : Jesse (Lance Henriksen), Diamondback (Jenette Goldstein), Severen (Bill Paxton) et Homer (Joshua John Miller). 

Deuxième film de Bigelow et début de sa collaboration avec le scénariste Eric Red, Aux frontières de l'aube marque une très nette avancée depuis The Loveless. L'univers de la réalisatrice est ici totalement en place avec tous ses thèmes récurrents : l'addiction, le tiraillement du héros entre un univers monotone et un monde de danger, la tentation du mal. Caleb est converti au vampirisme par Mae (qui avait vraisemblablement choisi de le tuer avant de changer d'avis), elle-même anciennement mordue par Homer. Ils forment avec Sarah, la sœur de Caleb, un carré amoureux : Homer, jaloux du fait que Mae lui préfère Caleb, tente de convertir Sarah en dynamitant ainsi l'équilibre précaire installé dans le groupe. Les vampires sont attachants car en dehors du fou furieux Severen, Bigelow les traite comme des figures ambiguës : Jesse et Diamondback, le couple moteur du groupe, sont vampirisés depuis si longtemps qu'ils ne se rappellent même plus leur rencontre. Homer est un vieillard coincé dans un corps d'enfant tandis que Mae, à la fois victime et femme fatale, est certainement le personnage le plus complexe du film et l'une des plus belles figures vampiriques vues au cinéma. Tous sont définis de manière minimaliste mais Bigelow et Red parviennent systématiquement à faire passer l'essentiel, comme lors de leur première chasse (Jesse et Diamondback qui s'amusent ensemble, Homer qui joue de sa fausse vulnérabilité, Severen beaucoup plus entreprenant).



Derrière la question des vampires - le mot n'est jamais employé - , il y a un groupe de dévoreurs effrénés qui consomment et consomment toujours (voir la scène du bar, interminable tuerie ou les tueurs semblent conditionnés bien plus par l'amusement que par la faim), là ou la famille agricole de Caleb se contente d'un mode de vie simple. Cette thématique est amplifiée par un visuel qui rappelle fortement le western, mais un western lent, mélancolique et atmosphérique. On trouve dans Aux frontières de l'aube de saisissantes idées : Mae nourrissant Caleb de son propre sang lorsqu'il refuse de tuer (moment d'une rare puissance érotique), les courses de Caleb brûlant progressivement au soleil, Homer qui se consume littéralement d'amour ou encore la fusillade ou les vampires ne craignent pas les balles mais les rayons lumineux que celles-ci créent en perçant les murs. La musique de Tangerine Dream est parfaite synchrone au ton général et les membres de la distribution rivalisent de charisme, de la superbe Jenny Wright au cabotin Bill Paxton en passant par le regard nostalgique de Lance Henriksen ou la souffrance d'Adrian Pasdar.


Dans Aux frontière de l'aube, la vampirisation n'est pas tant une malédiction qu'un choix de vie. Caleb peut ainsi prendre un mauvaise route - le moment ou il tente de rentrer chez lui évoque clairement la toxicomanie - mais aussi s'en détourner avec de l'aide. Le happy-end est ainsi quelque peu brutal mais en accord avec une vision relativement originale du vampirisme. Aux frontières de l'aube fera d'ailleurs école tant esthétiquement (le Vampires de Carpenter lui doit beaucoup) que thématiquement. Plus encore que l'excellent Les Prédateurs de Tony Scott, il s'agit de la réactualisation du mythe la plus aboutie des années 80 ; car si Aux frontières de l'aube est évidemment ancré dans son époque (la musique, les filtres bleutés), il aura su transcender l'air du temps pour donner l'un des classiques les plus sous-estimés aujourd'hui encore. Bon, à ce stade, il est peu probable que vous n'ayez pas compris le message : Aux frontières de l'aube est un film magnifique.

lundi 24 novembre 2014

Lady Yakuza 6 : Le retour d'Oryu (Tai Kato, 1970)


Oryu (Junko Fuji) retrouve la jeune Okimi qu'elle avait promis de protéger. Celle-ci est amoureuse de Ginji, un homme du clan Sanezu dont le leader cherche à s'approprier un théâtre. Oryu est sauvée d'une attaque par Aoyama (Bunta Sugawara), traqué par le clan Sanezu pour avoir frappé un de leurs alliés responsable de la mort de sa sœur.  

Si nous en sommes au sixième volet de la saga, l'intrigue de celui-ci prend en réalité la suite de celle de Lady Yakuza 3 : le jeu des fleurs, déjà réalisé par Tai Kato. Oryu est donc à la recherche de la petite fille orpheline et jure de la protéger une fois retrouvée, à ceci près que l'infâme clan Sanezu a déjà fait main basse dessus. Et comme souvent l'on assiste au cas de conscience d'un des hommes de Sanezu amoureux et aimé d'Okimi tandis qu'Oryu s'amourache d'un yakuza solitaire qui l'aidera à affronter le clan ennemi. On notera que pour la première fois, celui-ci est incarné par Bunta Sugawara qui avait joué un méchant dans le second épisode, constituant le premier cas de " promotion " là ou les habituels Ken Takakura et Koji Tsuruta étaient quant à eux abonnés aux rôles de gentils. Le choix de Sugawara est doublement pertinent, d'abord parce qu'il se révèle tout à fait à la hauteur de ses prédécesseurs et que sa relation avec Oryu est l'une de celles qui fonctionnent le mieux de la série, ensuite parce que Sugawara n'est pas sans dégager une forme de brutalité ambiguë qui donne un certain relief à son personnage.



On peut juger Lady Yakuza 6 selon deux critères, son scénario ou sa mise en scène. L'appréciation générale dépendra fortement de l'importance qu'on attache à chacun d'eux car il s'agit à la fois d'un des plus brillants ninkyos sur le plan formel, mais aussi d'une énième resucée de tous les thèmes déjà entrevus auparavant. Encore une fois, on ne coupera pas à une séquence de jeu de cartes remportée par Oryu malgré les tricheries adverses, encore une fois le chevalier servant lui sauvera la vie avant une scène de romance sur un pont, encore une fois le " bon " parrain yakuza mourra assassiné traîtreusement mais demandera à ses hommes de ne pas le venger,  encore une fois Kumatora apparaîtra trois minutes pour casser la figure à quelques malandrins. Il semble que Suzuki soit arrivé au bout des combinaisons narratives possibles et se contente de répéter inlassablement les mêmes formules, avec parfois quelques micro-variations (les artisans ou paysans molestés par le mauvais clan deviennent des acteurs de théâtre). Ceci dit, l'histoire y est relativement plus sèche que d'habitude (personne ne finit totalement épargné) et atténué légèrement l'altruisme hors du commun dont Oryu semble incapable de se départir.



Si Kato Tai ne bénéficie donc pas d'un script lui permettant de signer un grand yakuza-eiga, il réalise toutefois ce qui est peut-être la plus belle mise en scène de la saga, encore supérieure à celle de son excellent épisode 3. Chaque plan serait à étudier en école de cinéma tant sa science du cadre y est incroyable, Tai n'hésitant pas à multiplier les longs plans fixes dynamisés par les mouvements des personnages à l'intérieur tel ce moment de bravoure de sept minutes durant lequel la jeune Okimi finit par reconnaître Oryu. Rares sont les cinéastes capables de donner autant d'intensité sans bouger leur caméra (Kobayashi ? Ozu ?) et les plans déroutants filmés depuis le sol finissent toujours par se révéler d'une grande pertinence. Les séquences sous la neige sont magnifiques et Tai surprend encore lors du catharsis final ou un montage plus sec, une nervosité bienvenue et quelques giclées de sang bien placées achèvent de transformer la conclusion en grand moment de bravoure.
Du coup, ce Lady Yakuza 6 nous apparaît comme un bon cru global (surtout après les médiocres épisodes 4 et 5) ou le sens visuel de Tai Kato vient élever un ensemble de situations convenues et archétypales.