jeudi 17 avril 2014

Le dernier des six (Georges Lacombe, 1941)


Six amis vivant ensemble gagnent une grosse somme d'argent. Ils décident de partir chacun de leur coté et de se retrouver cinq ans plus tard pour partager les bénéfices, mais lorsque la date butoir se rapproche, ils commencent à disparaître dans d'étranges circonstances. Le commissaire Voroboetchik (Pierre Fresnay) tente d'y voir plus clair.

Plus que de son cinéaste qui fut l'un des nombreux artisans consciencieux du cinéma français de l'époque (Lacombe commença sa carrière dans les années 30 puis continua sous l'Occupation jusqu'aux années 60), Le Dernier des six porte la marque de deux personnes. Celle de l'aut,eur du roman originel, le talentueux Stanislas-André Steeman, et celle du scénariste, le non-moins talentueux Henri-Georges Clouzot dont la postérité oublie parfois qu'avant de passer derrière la caméra, il écrivit pour Decoin, Livtak ou Richard Pottier ; il faut préciser également qu'il s'agit d'une sorte de préquel au premier film réalisé par Clouzot, l'Assassin habite au 21, ou on retrouvera le sardonique commissaire " Vens " et sa compagne, la chanteuse  Mila-Malou, toujours interprétés par Pierre Fresnay et Suzy Delair.



Le dernier des six est un (double) film de scénariste dont la mise en scène se révèle purement fonctionnelle, sans que cela ne jure particulièrement ; la part belle est faite à l'histoire, aux dialogues et aux acteurs.
Concernant la première, il s'agit d'un whodunit relativement classique et à la solution plutôt simple. Steeman étant un meilleur romancier que la plupart de ses condisciples du roman à énigme, on perd en complexité ce qu'on gagne en fraîcheur et si Le dernier des six épargne nos méninges, il nous évite les déductions sorties d'un chapeau qui irriguent l'oeuvre d'une Agatha Christie, par exemple. Les dialogues sont en revanche un des gros points forts du film et toute la misogynie et la misanthropie de Clouzot sont encore ici suffisamment légères pour fonctionner à plein régime, là ou elles pourront dans des œuvres plus tardives aboutir à une auto-caricature très pénible (un film comme La Vérité a ses défenseurs mais nous n'y voyons qu'un pensum à la lourdeur pachydermique). Mais c'est surtout la galerie d'acteurs qui emporte le morceau : qu'il s'agisse de l'impeccable Pierre Fresnay en commissaire acerbe, de Suzy Delair en pipelette délicieusement insupportable, d'André Luguet en directeur bourru au bon cœur ou de Jean Tissier en pseudo-poète lâche et vénal, on serait en présence d'un sans-faute sans la présence du très fade Jean Chevrier en jeune premier assez casse-pieds et de la plutôt quelconque Michèle Alfa.



Curieusement, en dépit d'un contexte d'Occupation fort peu favorable aux échanges cultures avec les Etats-Unis, une séquence de music-hall tout à fait réussie vient témoigner de l'influence de la comédie musicale américaine tandis que l'ambiance n'est pas sans rappeler le film noir tout juste naissant. La course-poursuite de fin n'est pas non plus sans anticiper un certain cinéma gothique qui trouverait son heure de gloire en Italie et en Grande-Bretagne deux décennies plus tard (notamment le motif des marécages qu'on reverra un peu partout) même si ces prémices demeurent plutôt timides. Au final, Le dernier des six est un film sympathique et divertissant, dénué de profondeur émotionnelle et mécanique mais tiré vers le haut par ses acteurs et sa causticité. Il est surtout desservi par l'inévitable comparaison avec l'Assassin habite au 21 mais si notre préférence va logiquement à l'excellent coup d'essai de Clouzot-metteur en scène, il serait particulièrement injuste de faire payer le prix de cette affection au film de Lacombe qui recèle également de beaux moments. La photographie très réussie de Robert Lefebvre n'est sans doute pas étrangère au plaisir éprouvé devant ce classique mineur du cinéma français, et si l'on reconnait l'âge d'or d'une cinématographie au fait que même parmi les œuvres inconnues ou réputées mineures l'on trouve encore de quoi satisfaire son plaisir de spectateur, alors la période allant de 1930 à la Libération fut certainement le notre.

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