vendredi 25 avril 2014

L'Ange noir (Roy William Neill, 1946)



Mavis Marlowe est assassinée. Lorsque la police découvre qu'elle faisait chanter Kirk Bennett, celui-ci est arrêté, jugé et condamné à mort. La femme de Kirk, Catherine (June Vincent) décide de prouver l'innocence de son époux et rencontre l'ex-mari de Mavis, Marty Blair (Dan Dureya), dépressif et alcoolique, qui décide néanmoins de l'aider. Leur enquête se dirige vers un homme nommé Marko (Peter Lorre) que Marty est sur d'avoir vu entrer chez Mavis le soir du meurtre.

Il y a les films noirs emblématiques, les Tueurs, Faucon Maltais, Grand Sommeil et autres Griffes du passé qui font encore le bonheur des cinéphiles. Il y a les séries B nerveuses et visuellement très inspirées que sont un Detour, un Association criminelle, un Démon des armes. Mais il y a une catégorie moins connue qu'on pourrait appeler des contre-films noirs ; généralement, il s'agit de productions qui s'articulent autour d'un principe inversant un mécanisme habituel du genre. Dans So Dark the Night de Joseph H Lewis, un enquêteur amnésique se retrouve sur ses propres traces ; dans Mort à l'arrivée de Rudolph Maté, le film suit le trajet d'un homme mourant (il a été empoisonné) qui cherche pourquoi on l'a assassiné. Dans ce l'Ange noir, un personnage découvre sa culpabilité et tente d'en convaincre des flics sceptiques au lieu d'hurler son innocence.
Le défaut fréquent de ce type de productions est qu'elles ne fonctionnent souvent que sur cette idée, les diverses péripéties agissant comme du remplissage. L'intrigue de Mort à l'arrivée est largement aussi nébuleuse que celle du Grand Sommeil, à ceci près qu'au bout d'une heure de film on se retrouve au point de départ. L'Ange Noir n'y échappe pas, pas plus qu'il n'échappe à quelques mécanismes narratifs très douteux permettant d’enchaîner les retournements de situation d'ou un sentiment de mange de rigueur sur le plan du scénario qui ne cesse de croître tout au long du visionnage.



Tout cela est d'autant plus dommage que la mise en scène du vétéran Roy William Neill (homme à tout faire de la Universal plus connu pour ses Sherlock Holmes avec Basil Rathbone et pour un des premiers films de croisement de monstres, Frankenstein contre le loup-garou) est de bonne facture tandis que l'interprétation est excellente. Dan Duryea, méchant récurrent du western (Winchester 73, Quatre étranges cavaliers) dans un rôle pour une fois sympathique fait merveille ; il trouve un équilibre impeccable entre le pathétique et l'ironie. June Vincent est très belle mais c'est Peter Lorre en patron de night-club sournois qui vole la totalité des scènes dans lesquelles il apparaît. Aussi l'aspect dramatique se révèle plus réussi que l'intrigue policière, les personnages s'avérant plus intéressants que les situations, et au final les scènes les plus marquantes sont certainement celles avec Dureya au piano, seul ou accompagnant le joli brin de voix de June Vincent. Avec un scénario à leur hauteur, l'Ange noir aurait été un classique ; en l'état, il ne s'agit que d'une sympathique curiosité - il faut bien admettre que contrairement à Chandler ou Burnett, William Irish n'aura jamais réussi à donner de grands classiques cinématographiques parmi les adaptations de ses polars.



Pour autant, L'Ange Noir est sauvé par sa concision - 80 minutes -,  et par le fait qu'il parvient à dénicher ce sentiment de fatalité qui imprègne tant des meilleurs films noirs, de Détour à la Griffe du passé en passant par Pour toi, j'ai tué. On notera aussi une belle photographie de Paul Ivano (Shanghai Gesture, Queen Kelly) et un très bon Broderick Crawford en policier obtus et menaçant. Mais il ne possède aucun moment approchant la virtuosité du casse en plan-séquence des Tueurs, du braquage hors-champ du Démon des armes ou encore de la sauvagerie du Règlement de comptes de Fritz Lang. Il démontre malheureusement que même d'excellents comédiens et techniciens ne peuvent suffire à faire d'un film à l'écriture à ce point déficiente un classique, que tout au plus ils peuvent le rendre agréable. Il s'agira du dernier film du très prolifique Roy William Neill, décédé la même année ; moins que sa contribution aux films de monstres de la Universal, on préférera quelques-unes de ses adaptations de Conan Doyle comme le très bon La Griffe sanglante.

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