mardi 7 avril 2015

Démineurs (Kathryn Bigelow, 2008)


En Irak, le sergent Thompson (Guy Pearce) est tué par une bombe. Il est remplacé par Will James (Jeremy Renner) au sein de l'unité de déminage composée du sergent Sanborn (Anthony Mackie) et du soldat Eldridge (Brian Geraghty). Mais James ne vit que pour l'adrénaline et son irrespect des consignes de sécurité ne va pas sans occasionner de conflits.

Par certains aspects, Démineurs pourrait constituer un prolongement de K-19 : Le Piège des profondeurs. On y retrouve le thème des deux modes de commandement opposés (instinctif du côté de James, rigoureux en ce qui concerne Sanborn) avec un personnage de soldat tiraillé entre ces deux exemples contradictoires. Mais là ou le premier film de guerre de Bigelow tombait parfois dans le pompiérisme, l'approche de la réalisatrice est ici diamétralement opposée puisqu'elle adopte une mise en scène très proche du documentaire : caméra à l'épaule, zooms-dézooms systématiques, recadrages, images tremblantes... Il y a une volonté de se rapprocher des images journalistiques qui peut en premier lieu irriter dans la mesure où les plans semblent systématiquement confus et brouillons, mais cette démarche finit par donner un sentiment de proximité avec l'action d'autant plus que Bigelow sait aussi ménager des plages plus contemplatives lorsque la situation l'exige (la scène des snipers, les pleurs de Sanborn à la fin). C'est sur cet aspect que Bigelow se différencie d'un Paul Greengrass qui filme chaque scène de la même manière heurtée : dans Démineurs, il y a une réelle harmonie entre la manière de filmer et l'état d'esprit des personnages.


Le scénario est signé Mark Boal, un journaliste qui fut correspondant de guerre en Irak. Il s'avère extrêmement intéressant par de nombreux aspects ; en premier lieu, il trouve une belle cohérence dans sa narration de " série télévisée " (le film peut être décomposé en une dizaine de séquences pratiquement indépendantes) qui n'empêche pas une réelle progression narrative : des liens s'instaurent progressivement que ce soit entre le sergent James et le jeune Beckham, ou entre le soldat Eldrige et le colonel Cambridge. Ensuite, il y a ce parti-pris de se focaliser sur le point de vue des démineurs qui fait que le film échappe à la fois à la justification de l'intervention américaine en Irak et au pensum politique : il ne s'agit pas de condamner ou de glorifier les soldats mais d'étudier leur quotidien. A ce propos, on se doit de louer la variété des types de déminage présentés et on n'est pas prêt d'oublier certains très grands moments de tension comme celui où James suit le fil d'une bombe pour en déterrer subitement une demi-douzaine d'autres, ou la scène dans la voiture lorsque les essuie-glaces se mettent en marche. Démineurs est un film qui tient en haleine deux heures durant et dont les péripéties demeurent imprévisibles (il suffit de voir la manière dont sont traités les membres les plus connus de la distribution comme Guy Pearce ou Ralph Fiennes).


Il y a quelque chose de très beau dans le fait de partager l'incertitude des soldats : dans Démineurs, on ne sait jamais si un passant est un banal père de famille irakien ou un terroriste. Les civils présentés vont du kamikaze malgré lui au lettré pro-américain en passant par un grand nombre de visages presque sereins, comme si la guerre ne les concernait pas. Certaines séquences sont ainsi plus longues chez Bigelow qu'elles ne le seraient chez aucun autre cinéaste - notamment celle des snipers - mais cette dilatation temporelle fait écho au mental des soldats qui sont encore sur le qui-vive, à attendre la fin d'une action en réalité déjà résolue. Et si le film n'échappe pas tout à fait à certains travers sur-signifiants (James qui prend sa douche en tenue de démineur, sa manie de dormir avec des composants de bombe sous son lit), l'interprétation excellente, la richesse thématique du scénario et la manière dont la cinéaste a su se réapproprier une esthétique ultra-nerveuse font de Démineurs un grand retour en forme de la réalisatrice après deux films moins convaincants ; rarement succès public et critique de ces dernières années ne fut aussi mérité.