vendredi 4 avril 2014

Blue Ruin (Jeremy Saulnier, 2013)



Un vagabond, Dwight (Macon Blair) apprend la libération d'un homme condamné pour meurtre. Très atteint par la nouvelle, Dwight attend l'homme à la sortie de la prison mais se fait devancer par la famille de celui-ci. Qu'importe, Dwight est déterminé à se venger.

Au départ, ce blog fut crée à la suite d'une période de dégoût vis-à-vis des films en salles ; une année 2013 globalement sinistre avait achevé la patience de votre serviteur et la motivation pour parler de l'actualité s'était totalement tarie. Aussi, quand à l'occasion du festival de Beaune se présente un film aussi inventif et réussi, on est heureux d'oublier nos réticences initiales et de renouer l'espace d'une chronique avec les sorties quitte à prendre de l'avance : Blue Ruin ne bénéficiera d'une sortie nationale qu'en septembre prochain.



On a pu récemment " profiter " d'un retour du film sécuritaire quitte à surpasser dans l'idiotie et la complaisance les collaborations entre Charles Bronson et Michael Winner : un Harry Brown asthmatique ou un Que Justice soit faite totalement crétin pouvaient mettre à rude épreuve les nerfs du spectateur. On ne trouvera rien d'équivalent chez Saulnier ; et si la critique Pauline Kael voyait chez certains acteurs des années 70 comme Jack Nicholson la mort du héros américain traditionnel, viril et incapable de se tromper, alors le personnage de Macon Blair est le dernier clou du cercueil. Hirsute, moyennement intelligent et toujours dépassé par les événements, il est l'un des héros les plus incapables qu'on ait pu voir au sein du genre. Son incompétence pourrait prêter à rire et c'est d'ailleurs le cas lors d'une séquence mémorable ou en tentant de s'extraire une flèche de la jambe, il ne réussit qu'à aggraver sa blessure. Mais c'est un rire jaune, un rire malgré nous et Blue Ruin n'a jamais le détachement d'une parodie, c'est un film où les coups font mal, où la bêtise tue et où chaque erreur peut entraîner des conséquences fatales. Quelque part entre l'absurdité du Blood Simple des frères Coen - avec lequel Blue Ruin partage un gout pour les retournements de situation inattendus - et le drame entre fratries façon Shotgun Stories, Blue Ruin s'élève facilement au-dessus de sa condition de polar de série B grâce à un script qui échappe au manichéisme. On pourrait aussi voir en Saulnier l'héritier de John Dahl, avec lequel il partage un gout pour les perdants et pour les scénarios a priori classiques mais se révélant petit à petit beaucoup plus complexes que ce que l'on pouvait anticiper (jusqu'à partager un travers récurrent chez Dahl, celui du " rebondissement de trop " lors des dernières minutes).



Ancien chef opérateur, Saulnier parvient en dépit de ses limites budgétaires à créer une véritable ambiance portée par la mise en scène (la glaçante scène du message sur le répondeur et son travail sur le son, la planque chez les Cleland et l'incroyable tension qui s'en dégage) d'autant plus que Macon Blair se révèle ici un acteur à suivre de très près. En revanche, on sera plus circonspect sur le discours du film sur le port d'arme, sujet central avec de nombreux dialogues exprimant en filigrane l'idée que l'escalade de la violence n'aurait pas lieu sans eux ou qu'en tout cas, elle les favorise considérablement. Ici, elle apparaît parfois comme un ajout un peu artificiel au scénario, notamment lors de la longue séquence avec l'ex meilleur ami de Dwight, véritable archétype du militant NRA. Gageons que dans un pays aussi opposé au port d'arme que la France, cette thématique pourra toutefois contribuer au succès du film notamment vis-à-vis d'un public associant le film de vengeance à une idéologie droitière.

La résurgence du polar redneck depuis quelques années (Debra Granick, Jeff Nichols, Derek Cianfrance) est l'une des meilleurs choses qui soit arrivée au cinéma américain. Questionnant les thèmes de l'éducation et de l'hérédité, ces films devraient suffire à prouver à bien des metteurs en scène de cinéma de genre français que le manque de budget ne saurait à lui seul justifier le bâclage et le je-m'en-foutisme du scénario et/ou de la mise en scène. On attend avec impatience la suite de la carrière de Jeremy Saulnier - c'est son deuxième film, et il fut financé par kickstarter - en espérant qu'il connaisse en salles le succès qu'il mérite. En tout cas, les prix gagnés ici et là dans les festivals sont pour l'instant plutôt rassurants. 

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