lundi 21 avril 2014

Heat (Michael Mann, 1995)


Un gang de braqueurs conduits par Neil (Robert De Niro) comment un triple meurtre lors de l'attaque d'un fourgon transportant des bons au porteur. Le lieutenant Vincent Hanna (Al Pacino) est chargé de l'affaire et se révèle rapidement très efficace. Une estime mutuelle finit par s'instaurer entre Neil et Hanna, deux hommes partageant beaucoup mais obligés de lutter l'un contre l'autre.

Heat est globalement perçu comme étant le chef d'oeuvre de Michael Mann, l'un des plus grands films des années 90 et une date de l'histoire du polar. Etant d'accord avec ces assertions, nous ne reviendrons pas sur toutes les qualités du film célébrées ici et là (acteurs en état de grâce, scènes d'action irréprochables, tension psychologique rarement égalée) pour concentrer cette chronique sur un seul point : les rapports de couple entre les personnages. Pour le reste, suffisamment de gens se sont bien exprimés sur Heat pour qu'il ne me semble pas nécessaire de les paraphraser.

Les films de Mann précédents présentaient généralement un couple, deux dans Le Dernier des mohicans. Heat n'en contient pas moins de six. Deux couples en péril (Chris et Hanna), un en construction (Neil) et trois établis (Breedan, Michael et Trejo). Tous les personnages principaux existent au sein d'un rapport de couple excepté Waingro, que son statut doublement marginal met à part : il est un être solitaire, à la fois incapable d'un réel rapport professionnel (il abat un homme gratuitement lors du premier vol) et d'un rapport amoureux (les prostituées). Il illustre bien l'ambivalence du regard de Mann sur le couple : si celui-ci est en permanence menacé par la vie professionnelle, il ne peut exister sans elle. Dans le Solitaire, c'est l'argent de ses vols qui permettait à James Caan de fonder une famille avec Tuesday Weld ; dans Révélations, la fin de la vie professionnelle de Russel Crowe conduira à la destruction de la cellule familiale. Ici, il n'est pas anodin que Neil rencontre Eady alors qu'il planifie un braquage : sa profession lui permet de la rencontrer en même temps qu'elle l'empêche d'avoir une relation stable avec elle.



A regarder les destins des personnages, on pourrait croire qu'en privilégiant ceux ayant des rapports de couple plus difficiles, Mann cherche à montrer que la femme cause la perte de l'homme ; ce serait un énorme contresens. Le cas de Michael est exemplaire : il a investi avec sa femme et a matériellement la capacité de se ranger ; c'est justement son incapacité à se passer d'action, sa dépendance au travail qui le pénalisera. De même Breedan, qui sort de prison, est soutenu par sa compagne mais refuse d'encaisser les multiples humiliations que lui impose son patron. C'est parce qu'il n'accepte pas sa place qu'il rejoindra les complices, la subtilité étant que le spectateur constate les écœurants abus dont il est victime et n'en comprend que d'autant plus son choix. Au contraire, les sentiments qui demeurent entre Chris et Charlene lui sauveront la vie dans ce qui reste un des moments les plus touchants du cinéma de Mann. Les attaches que Neil craint tant sont non seulement celles qui épargnera son protégé mais également celles qui redonneront espoir à son adversaire, Hanna découvrant lors de circonstances dramatiques (la tentative de suicide de sa belle-fille ) qu'il a finalement réussi à fonder une famille.



En effet, chez Mann la famille n'est pas nécessairement biologique. James Caan et Tuseday Weld adoptaient sans hésiter, tout comme Daniel Day-Lewis était parfaitement intégré au sein de sa tribu adoptive dans Le Dernier des mohicans. Le mariage d'Hanna (et, probablement, sa santé mentale) survivent parce que faute d'avoir été un bon mari, Hanna a su être un excellent beau-père. Tout cela étant évidemment à double tranchant : Charlene est ainsi tiraillée entre sacrifier son ex-mari et son fils, faire emprisonner le premier permettant d'assurer l'avenir du second. Heat pourrait n'être qu'un film évoquant l'éternel dilemme entre la vie personnelle et la vie professionnelles, mais il réussit à nous confronter à une galerie de portraits d'êtres représentant pratiquement toutes les facettes de cette lutte, sans caricature ni manichéisme au prix de bifurcations parfois surprenantes : combien de polars auraient coupé au montage les scènes introduisant Breedan, ou la discussion entre Neil, Michael et Chris avant leur dernier casse ? L'une des nombreuses beautés de Heat, c'est que tout le monde y existe sans ressembler à un artifice scénaristique, que même un simple chauffeur y semble doté d'une vie propre qui l'attend une fois le film terminé. Heat est un chef d'oeuvre, mais ça, je suis certain que vous le saviez déjà.


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