mardi 8 septembre 2015

C'est quand même fou quand j'y pense...

Ca fait quelques mois que ce blog est arrêté, et pourtant les consultations n'ont pas diminué : le mois dernier fut celui durant lequel les visites furent les plus nombreuses. Pour ça, merci.

Je suis incapable de reprendre mon rythme originel, mais le blog réouvrira prochainement sur une base de critique hebdomadaire. C'est peu mais je ne crois pas en ma capacité à supporter une cadence plus élevée. Je ne suis pas extrêmement doué pour les gentillesses, mais je souhaitais simplement dire que j'ai énormément apprécié les marques de soutien que certains d'entre vous m'ont prodigué. Encore une fois, merci.

dimanche 31 mai 2015

Arrêt temporaire

La 200ème chronique devait être spécialement consacrée à un chef d'oeuvre (La Roue d'Abel Gance), elle marque à la place l'arrêt du site. Le changement professionnel qui m'a affecté en avril dernier s'est révélé très chronophage et je suis actuellement dans l'incapacité totale de trouver l'heure et demie quotidienne nécessaire pour maintenir ici un semblant d'activité.

Il ne s'agit ni d'un manque de motivation ni d'une fermeture décisive ; seulement une énorme fatigue physique et passée la deuxième nuit consécutive à s'endormir avec la lumière allumée, il semble inconcevable de retrouver l'état d'esprit opportun dans l'immédiat. Si les choses s'arrangent comme je le souhaite, une réouverture pourrait avoir lieu vers septembre-octobre mais elle nécessiterait un cumul d’événements positifs qui n'a que peu de chances d'arriver. En attendant, je voudrais remercier tous ceux qui m'ont lu, épaulé, conseillé, corrigé et critiqué et grâce auxquels je garde de l'expérience blogueuse en solo un excellent souvenir. Vous avez été un public bien meilleur que je ne le méritais.

Martin.

mardi 7 avril 2015

Démineurs (Kathryn Bigelow, 2008)


En Irak, le sergent Thompson (Guy Pearce) est tué par une bombe. Il est remplacé par Will James (Jeremy Renner) au sein de l'unité de déminage composée du sergent Sanborn (Anthony Mackie) et du soldat Eldridge (Brian Geraghty). Mais James ne vit que pour l'adrénaline et son irrespect des consignes de sécurité ne va pas sans occasionner de conflits.

Par certains aspects, Démineurs pourrait constituer un prolongement de K-19 : Le Piège des profondeurs. On y retrouve le thème des deux modes de commandement opposés (instinctif du côté de James, rigoureux en ce qui concerne Sanborn) avec un personnage de soldat tiraillé entre ces deux exemples contradictoires. Mais là ou le premier film de guerre de Bigelow tombait parfois dans le pompiérisme, l'approche de la réalisatrice est ici diamétralement opposée puisqu'elle adopte une mise en scène très proche du documentaire : caméra à l'épaule, zooms-dézooms systématiques, recadrages, images tremblantes... Il y a une volonté de se rapprocher des images journalistiques qui peut en premier lieu irriter dans la mesure où les plans semblent systématiquement confus et brouillons, mais cette démarche finit par donner un sentiment de proximité avec l'action d'autant plus que Bigelow sait aussi ménager des plages plus contemplatives lorsque la situation l'exige (la scène des snipers, les pleurs de Sanborn à la fin). C'est sur cet aspect que Bigelow se différencie d'un Paul Greengrass qui filme chaque scène de la même manière heurtée : dans Démineurs, il y a une réelle harmonie entre la manière de filmer et l'état d'esprit des personnages.


Le scénario est signé Mark Boal, un journaliste qui fut correspondant de guerre en Irak. Il s'avère extrêmement intéressant par de nombreux aspects ; en premier lieu, il trouve une belle cohérence dans sa narration de " série télévisée " (le film peut être décomposé en une dizaine de séquences pratiquement indépendantes) qui n'empêche pas une réelle progression narrative : des liens s'instaurent progressivement que ce soit entre le sergent James et le jeune Beckham, ou entre le soldat Eldrige et le colonel Cambridge. Ensuite, il y a ce parti-pris de se focaliser sur le point de vue des démineurs qui fait que le film échappe à la fois à la justification de l'intervention américaine en Irak et au pensum politique : il ne s'agit pas de condamner ou de glorifier les soldats mais d'étudier leur quotidien. A ce propos, on se doit de louer la variété des types de déminage présentés et on n'est pas prêt d'oublier certains très grands moments de tension comme celui où James suit le fil d'une bombe pour en déterrer subitement une demi-douzaine d'autres, ou la scène dans la voiture lorsque les essuie-glaces se mettent en marche. Démineurs est un film qui tient en haleine deux heures durant et dont les péripéties demeurent imprévisibles (il suffit de voir la manière dont sont traités les membres les plus connus de la distribution comme Guy Pearce ou Ralph Fiennes).


Il y a quelque chose de très beau dans le fait de partager l'incertitude des soldats : dans Démineurs, on ne sait jamais si un passant est un banal père de famille irakien ou un terroriste. Les civils présentés vont du kamikaze malgré lui au lettré pro-américain en passant par un grand nombre de visages presque sereins, comme si la guerre ne les concernait pas. Certaines séquences sont ainsi plus longues chez Bigelow qu'elles ne le seraient chez aucun autre cinéaste - notamment celle des snipers - mais cette dilatation temporelle fait écho au mental des soldats qui sont encore sur le qui-vive, à attendre la fin d'une action en réalité déjà résolue. Et si le film n'échappe pas tout à fait à certains travers sur-signifiants (James qui prend sa douche en tenue de démineur, sa manie de dormir avec des composants de bombe sous son lit), l'interprétation excellente, la richesse thématique du scénario et la manière dont la cinéaste a su se réapproprier une esthétique ultra-nerveuse font de Démineurs un grand retour en forme de la réalisatrice après deux films moins convaincants ; rarement succès public et critique de ces dernières années ne fut aussi mérité.

vendredi 27 mars 2015

Mélodie de la rancune (Yasuharu Hasebe, 1973)



Sasori (Meiko Kaji) est traquée par l'inspecteur Kodama (Toshiyuki Hosokawa). Elle parvient à lui échapper et trouve refuge chez Kudo (Masakazu Tamura), un militant gauchiste ayant été tabassé par la police durant sa jeunesse. Sasori noue une relation avec lui mais lorsque Kudo est arrêté par Kodama, il craque et la dénonce.

Quatrième Sasori mais premier sans le réalisateur emblématique Shunya Itô, ce volet marque une régression évidente après trois très bons opus. Pourtant, le choix de Yasuharu Hasebe semblait tout à fait pertinent : ancien assistant réalisateur auprès de Seijun Suzuki (certainement l'un des cinéastes dont l'esthétique est la plus proche de celle d'Ito), il s'évertuera souvent à marcher sur les traces de son mentor mais avait aussi été le premier metteur en scène à révéler Meiko Kaji. Pourtant, Hasebe parait ici en pilotage automatique et délivre une réalisation la plupart du temps fonctionnelle, sans grande inspiration. Seul le dernier quart d'heure lui permet de confectionner deux beaux moments de cinéma : la pendaison de Sasori avec ses filtres colorés et les retrouvailles entre l'héroïne et son amant Kudo. Mais on peinerait à voir dans cette Mélodie de la rancune des équivalents à la course de relais d'Elle s'appelait scorpion ou à l'introduction de La Tanière de la bête. Il arrive que surgisse une idée sympathique (le générique, le flashback sépia) mais le surréalisme incandescent de la série n'aura guère survécu au changement de réalisateur.


Sur le plan du scénario, le film se révèle plus intéressant. Si l'on retrouve des éléments déjà vus auparavant (le policier acharné comme celui de La Tanière de la bête, une vengeance finale de Sasori très La Femme scorpion) cet épisode ne donne pas le sentiment de tomber dans la redite totale comme ses successeurs. Kudo est le premier personnage masculin positif rencontré par Meiko Kaji et leur rencontre est aussi la synthèse de deux luttes contre le pouvoir, celle des femmes et celle des étudiants gauchistes. L'histoire n'est pas exempte de sadisme, parfois acceptable (la mort de la femme de l'inspecteur qui pousse celui-ci aux pires excès), parfois complaisante (le viol de la gardienne). En revanche, si l'idée de renvoyer Nami en prison fonctionnait dans l'épisode précédent, ici non seulement elle est amenée de manière maladroite mais surtout elle ne donne lieu qu'à des scènes inintéressantes : la relation entre Nami et la prisonnière condamnée à mort ne fonctionne pas du tout tandis que l'idée de la prison " matriarcale ", à l'inverse du système carcéral brutal et masculin vu auparavant dans la série, est trop peu exploitée. Sans le brio, ne reste parfois que l'impression de contempler un cinéaste remplir machinalement son cahier des charges.


La Mélodie de la rancune est également le premier Sasori à connaitre un tel déficit de rythme. Une bonne moitié des séquences tire en longueur à l'image de l'interminable capture de Nami par les policiers ou de l'interrogatoire de Kudo. Et si Meiko Kaji se démène tout autant que d'habitude pour ce qui sera sa dernière incarnation de Sasori, le reste de la distribution peine à faire exister des personnages mal écrits, y compris Kudo et Kodama pourtant très présents à l'écran. Il faut également noter une grosse déception sur le plan musical : non seulement le nouvel arrangement du thème principal est très inférieur au premier mais surtout, les ajouts se révèlent parfois inappropriés comme lorsque l'exécution d'une prisonnière qui aurait pu posséder une belle force dramatique se voit accompagnée d'un thème guilleret absolument hors de propos.
Certes, le réalisateur n'est pas seul responsable de cette baisse de niveau brutale puisque les studios avaient imposé de fortes restrictions budgétaires. Néanmoins, on comprend à la vue de cette Mélodie de la rancune pourquoi Meiko Kaji a préféré partir tourner les Lady Snowblood avec la réussite que l'on connait ; car même si il demeure plus regardable que les futurs films de Yutaka Kohira, La Mélodie de la rancune n'est qu'un film d'exploitation relativement anecdotique.

mardi 24 mars 2015

Milan calibre 9 (Fernando Di Leo, 1972)


Ugo Piazza (Gastone Moschin) sort de prison. Il est accueilli avec brutalité par Rocco (Mario Adorf), un homme de main de l'Américain qui accuse Ugo d'avoir dérobé de l'argent à l'Organisation avant d'être arrêté. La police est également convaincue de la culpabilité d'Ugo qui, acculé de part et d'autre, demande de l'aide à son ami Chino (Philippe Leroy).

Il y a dans Milan calibre 9 deux films qui peinent à cohabiter : dans le premier (qui occupe l'essentiel de sa durée) Gastone Moschin fait face à la bande de l'Américain qui tient à tout prix à lui faire admettre un vol, dans le second (constitué de trois scènes seulement) les deux policiers joués par Frank Wolff et Luigi Pistilli confrontent leurs points de vue sur la délinquance et la société italienne. Si le discours a le mérite d'être autrement plus intéressant et ambigu que l'auto-défense promue par Umberto Lenzi ou Sergio Martino, ces dialogues donnent l'impression de parasiter l'action et d'y être plaqués de manière très artificielle ; Fernando Di Leo a d'ailleurs admis a posteriori qu'il aurait probablement du s'en passer. Le paradoxe est que si le personnage qui a de toute évidence les faveurs du réalisateur, celui de Luigi Pistilli, représente une pensée de gauche ouvrière, du côté des bandits le cinéaste s'attache avant tout aux conservateurs incarnés par Chino et son ancien Don réduits à l'impuissance par l'arrivée des organisations internationales. Des deux côtés de la loi, les moins corrompus sont ceux dont le pouvoir d'action est le plus limité et les tentatives de Chino comme du commissaire Mercuri seront vouées à l'échec ; on retrouve le metteur en scène d'Avere vent'anni qui sans tomber dans la complaisance envers ses marginaux ne leur offrait aucun contrepoint représentant une alternative valable.


La partie centrée autour de Moschin et de Mario Adorf est largement plus convaincante. Si Moschin fait un très bon héros taciturne dont les pensées sont aussi mystérieuses aux yeux du spectateur qu'à ceux des divers protagonistes, le personnage que l'on n'est pas prêt d'oublier est celui du gangster Rocco, fou furieux aux incroyables excès de violence (il taillade un barbier et tue un serveur en le cognant contre un coin de table) qui figure certainement parmi les hommes de main les plus mémorables de l'histoire du cinéma. Mario Adorf possède un charisme titanesque et les seconds rôles impeccables (Barbara Bouchet passant de l'ange au démon en une remarquable séquence, Philippe Leroy, Lionel Stander) forment une partition dénuée de fausse note. La mise en scène de Di Leo est également d'une rigueur largement supérieure à la moyenne du cinéma d'exploitation italien et si il manque peut-être une scène d'action aussi haletante que la poursuite centrale de Passeport pour deux tueurs (il y a bien un règlement de comptes généralisé ici, mais il est assez conventionnel) l'ensemble est bien emballé avec quelques très sympathiques scènes de night club étrangement filmées.


Il est étonnant de voir certaines critiques parler de scénario conventionnel pour Milan calibre 9 tant il s'agit probablement au contraire d'une des histoires les plus atypiques du polar italien, notamment grâce à son double retournement de situation final. Si ceux-ci sont extraordinairement frustrants sur le coup et donnent pratiquement l'impression de se moquer du spectateur, ils s'inscrivent en réalité avec cohérence dans une démarche du cinéaste, celle de refuser à tout prix l'idéalisation de la pègre et de brouiller totalement les repères moraux du public pour provoquer un malaise. Ainsi, Milan Calibre 9 n'est pas le polar explosif parfois décrit ici et là, il est bien moins un film d'action jubilatoire qu'un film d'auteur déguisé en œuvre de genre dotée d'une remarquable ironie puisqu'elle se conclue par un acte totalement désintéressé ayant lieu de la part du personnage a priori le plus détestable. Si on y ajoute à tout cela l'excellente musique de Luis Bacalov, on espère que Di Leo nous pardonnera de le paraphraser quand - en dépit des défauts déjà mentionnés - à l'instar de Rocco on lui tirera notre chapeau.

lundi 23 mars 2015

The Triple Cross (Kinji Fukasaku, 1992)


Trois vieux gangsters, Shiba (Sonny Chiba), Kanzaki (Kenichi Hagiwara) et Imura (Renji Ishibashi) ont l'habitude d'effectuer des braquages. Ils sont contactés par Kadomachi (Kazuya Kimura), un jeune rockeur endetté qui leur propose d'attaquer un convoi. L'opération se passe bien mais le butin se révèle plus faible que prévu et Kadomachi abat Shiba et Imura avant de s'enfuir avec l'argent.

On peut voir The Triple Cross de deux manières : en le comparant aux chefs d’œuvre réalisés par Fukasaku dans les années 70 et le juger mineur face à cette concurrence, ou au contraire en rappelant les commandes impersonnelles alignées par le cinéaste durant les deux décennies suivantes au milieu desquelles se serait donc glissé ce petit polar punk, surexcité qui faute de tutoyer les cimes se révèle redoutablement efficace dans sa rock and roll attitude. The Triple Cross est handicapé par une esthétique de téléfilm - il faut rappeler qu'il a été réalisé pour la télévision - qui n'empêche toutefois pas le cinéaste de retrouver son univers furieux (caméras portées, cadrages de travers) d'autant plus adapté que ses personnages de jeunes sont ici totalement enragés. C'est bien cette vitalité qui force ici l'admiration et on peut pardonner de nombreux excès cabotins, des carambolages plus proches des Blues brothers que de Combat sans code d'honneur tant on est heureux de retrouver un metteur en scène aussi énergique que Fukasaku livrer ses adieux au monde du polar avec autant de vigueur.


Une originalité de The Triple Cross est que sur un thème très utilisé au sein du polar (la lutte entre les anciens et la nouvelle génération) il ne cède pas à l'habituelle rengaine du code d'honneur bafoué et du manque d'éducation des jeunes. Si Fukasaku semble plus proche du trio de cinquantenaires, son binôme composé d'un chanteur de heavy metal et d'une hystérique en manque d'attention réussit à être attachant malgré la caractérisation totalement excessive des personnages. Kanzaki lui-même admet à Kadomachi qu'il lui trouve du cran et l'un des plans les plus formidables du film confronte un jeune rocker agonisant à un policier de son âge, le premier déclamant au second " t'as pas honte de porter cet uniforme, connard ? ". Le conflit de génération n'exclut pas le respect mutuel et la conclusion jouissive montre un héros blessé, ruiné, fatigué et défiguré qui reprend soudainement des forces à la vue d'une banque dont on devine qu'elle sera rapidement attaquée. Les marginaux jeunes ou vieux ne sont jamais à bout de souffle ; à 62 ans Fukasaku parvient encore à faire preuve d'une insolence jeunesse dans son état d'esprit (rappelons qu'il réalisera son magnifique Battle Royale à près de 70 ans !) et comparativement à l'académisme quelque peu suranné de La Maison des geishas, The Triple Cross a pour lui un rythme tenu de bout en bout, une énergie à l'opposé des polars contemplatifs réalisés par Takeshi Kitano à l'époque.


Pour revenir un instant sur la manière dont les personnages sont décrits, The Triple Cross réussit à trouver un juste milieu dans son humour qui ne cède jamais à la parodie facile en dépit de l'énormité de certaines situations (la nymphomane avec sa mitraillette, la coupe de cheveux du rockeur, le mutisme exagéré de Kenichi Hagiwara, les yakuzas totalement incompétents et les policiers inefficaces). Le bon casting n'est sans doute pas pour rien dans cet aspect avec notamment cet excellent trio Sonny Chiba-Renji Ishibashi-Kenichi Hagiwara mais aussi Yoshio Harada en yakuza héroïnomane capable de tuer quelqu'un a trente mètres sans même regarder sa cible. Et faute de retrouver ce parfait mélange de force politique et de viscéralité d'un Cimetière de la morale, The Triple Cross correspond à cette expression souvent galvaudée de feel good movie parfaitement divertissant. On mettra un minuscule bémol sur l'utilisation d'un hard-rock nippon inaudible qui si il est justifié lors des scènes de concert se révèle assez inapproprié lors de la très bonne poursuive en voiture.

samedi 21 mars 2015

Salaud (Michael Tuchner, 1971)


Un croupier rentre chez lui où l'attendent des hommes de Vic Dakin (Richard Burton) ; accusé d'avoir mouchardé, il est cruellement défiguré. Dakin compte monter un gros casse en dépit des réticences de son entourage mais souhaite également renouer avec son amant Wolfe (Ian McShane) qui a souhaité prendre ses distances.

Sorti juste entre La loi du milieu de Mike Hodges et The Offence de Sidney Lumet, Salaud est l’œuvre la moins connue au sein de cette trinité qui allait apporter un ton nouveau au polar anglais faute de connaitre un réel succès commercial ; il s'agit également d'une adaptation déguisée de la vie du gangster Ronnie Kray qui inspirerait indirectement Du sang sur la Tamise de John Mackenzie et directement Les frères Krays de Peter Medak. Le portrait du criminel incarné par Richard Burton ressemble à une version modernisée de celui joué par James Cagney dans le chef d’œuvre de Raoul Walsh, L'Enfer est à lui ; tous deux partagent une vénération absolue pour leur mère, un sadisme évident, une homosexualité (implicite chez Walsh, affirmée ici) et une grande arrogance vis-à-vis du monde extérieur à la mafia. Burton est remarquable et parvient à rendre son personnage extrêmement crédible en dépit du fait qu'il ressemble à une véritable compilation de tares et de déviances ; son monologue final face à la police est d'ailleurs symptomatique d'un ton propre aux polars anglais qui ne partagent que rarement la fascination de leurs homologues américains pour les truands et ne cessent de renvoyer ceux-ci à leur égocentrisme, à la médiocrité de leur existence. Sa relation sado-masochiste avec Wolfe est intéressante car ambiguë puisque celui-ci possède également un certain ascendant sur Dakin.


Si Salaud est globalement mis en scène sans grande personnalité mais avec une bonne efficacité artisanale (très belle photo de Christopher Challis, chef opérateur attitré du duo Powell-Pressburger) le scénario n'est pas tout à fait à la hauteur. Qu'il y ait un manque de vision sur l'univers mafieux et que les péripéties soient quelque peu prévisibles n'aurait sans doute pas été si dramatique pour peu que l'on parvienne à s'attacher aux personnages, or en dépit de la bonne volonté évidente des (excellents) acteurs, même le policier joué par Nigel Davenport ou le maquereau bissexuel ne retiennent guère l'intérêt. De plus, on peut déplorer un certain manque d'ampleur : toute l'intrigue est résolue avec un simplisme désarmant (les policiers planquent devant la maison de Dakin, parviennent à le prendre sur le fait... et c'est tout !) et certains éléments intéressants mis en place au fur et à mesure semblent avoir été abandonnés en route, comme la corruption du ministre, les rapports hostiles entre Dakin et certains de ses associés ou encore le rôle de la compagne de Wolfe. Du sang sur la Tamise parvenait à exploiter une situation politique précise - les liens entre la mafia anglaise et les terroristes de l'IRA - tandis que La loi du milieu tenait en haleine avec la vengeance méticuleuse de Carter ; ici Tuchner ne parvient pas à s'élever au-dessus d'un script trop avare en moments d'intensité si on excepte la glaçante introduction et les dernières minutes.


Ainsi, Salaud se révèle agréable grâce à ses acteurs, à son efficacité sans fioriture et à la fascination qu'entraine le personnage de Kray/Dakin mais n'est pas le grand polar espéré. Il est l'un de ces films sans énorme défaut apparent mais qui souffrent trop de la comparaison avec leurs contemporains où leurs successeurs pour pouvoir laisser une marque durable dans l'histoire du cinéma si ce n'est dans les mémoires des spécialistes du genre, et qui montrent qu'une somme de qualités ne saurait remplacer la grâce. Il reste toutefois largement supérieur à la majorité des polars anglais récents si l'on excepte les films atypiques d'Hodges (Seule la mort peut m'arrêter) et Glazer (Sexy Beast). Pour la petite histoire, on notera avec surprise que le scénario est cosigné par l'acteur Al Lettieri qu'on a notamment pu voir dans le Parrain (le mafieux Sollozzo qui était tué par Michael Corleone dans le restaurant) ou dans certains films de Richard Fleischer.