lundi 7 avril 2014

Le Dernier des mohicans (Michael Mann, 1992)



Oeil de faucon (Daniel Day-Lewis) est un blanc adopté par le mohican Chingachgook (Russell Means). Les mohicans sont engagés dans la guerre des sept ans aux cotés des anglais, contre les français alliés aux indiens hurons. Oeil de faucon et les siens sauvent un officier et deux jeunes filles anglaises d'une attaque des hurons ; l'une d'elles, Cora (Madeleine Stowe) noue une relation avec Oeil de faucon.

La plus belle des finalement rares incursions de Mann en dehors du film policier. Non pas que tout soit irréprochable et qu'on atteigne ici le niveau de maîtrise d'un Heat ou d'un Révélations ; tout en étant bien plus à sa place ici que dans l'héroic fantasy de La Forteresse Noire, il ne trouve pas dans la fresque épique la plénitude de ses meilleurs polars, la faute à un classicisme parfois longuet et à un score musical certes éloigné des habituelles musiques planantes façon Tangerine Dream (et franchement bien meilleur) mais dont l'emploi très répété fait parfois doublon avec les images. En revanche, Mann se montre pratiquement aussi doué pour filmer des affrontements à l'arme blanche que des fusillades en pleine rue, et on peut sans problème préférer les batailles du Dernier des mohicans à celles de Braveheart par exemple, d'autant plus que loin du manichéisme pénible dont Gibson se fit une spécialité, Le dernier des mohicans cultive une galerie de personnages complexes dont aucun n'est fondamentalement mauvais. Le colonel Munro et le major Heyward sont des victimes de la raison d'état plus que des salauds - Heyward aura d'ailleurs l'occasion de prouver sa bravoure en se sacrifiant -, les français du camp opposé ne sont guère plus diabolisés et Magua, le chef des hurons, est profondément marqué par le massacre des siens par les anglais expliquant assez logiquement l'étendue de son ressentiment.



Le scénario est handicapé par quelques détails un peu embarrassants servant à maintenir l'intrigue à flots : l'abandon des femmes par Oeil de faucon ou la décision soudaine de Magua de faire des prisonniers sont assez difficiles à digérer. En revanche, la superbe photographie de Dante Spinotti ou l'interprétation excellente - Daniel Day-Lewis en tête - sont à porter au crédit du film. Comme souvent, le couple est au cœur de l'histoire est en plus du triangle amoureux Oeil de faucon-Cora-Heyward ou trouve une relation tout en non-dits entre Alice, la sœur de Cora, et Uncas, le frère adoptif d'Oeil de faucon. La manière dont celle-ci s'illustre uniquement en jeux de regards sans que le moindre dialogue ne vienne l'expliciter renvoie aux séquences similaires dans le Barry Lyndon de Kubrick, l'ironie en moins. Il démontre toutefois qu'avec une mise en scène adaptée et des acteurs un tantinet expressifs, il n'est pas besoin de dialogues psychologisants pour que le spectateur comprenne les enjeux - message dont devraient se souvenir bon nombre de réalisateurs de fresques plus ou moins épiques.



Mais surtout, il y a ces incroyable climax de fin, ce quart d'heure de conclusion qui s'inscrit parmi les plus belles scènes jamais filmées par le réalisateur. Quasiment muet et porté par le superbe thème musical de Trevor Jones (Promentory), il est d'une intensité émotionnelle absolument remarquable et renoue avec le rythme si étrange des grands films de Mann - la séquence avec la jeune fille sur la falaise très étirée dans le temps, le hiératisme de Magua après avoir été blessé - qui lui permet de filmer des séquences déjà vues cent fois avec une grâce presque inédite. La magnificence des paysages n'est sans doute pas pour rien dans le sentiment de voir enfin le grand film attendu se réaliser. Et si tout n'est pas à la hauteur de cette formidable fin, Le Dernier des mohicans reste l'un des plus beaux films d'aventure des années 90 qui prouverait la compétence d'un homme moins habitué aux grands espaces diurnes qu'aux grandes cités américaines de nuit ; on en vient même à regretter qu'il n'ait pas récidivé dans un registre similaire.

4 commentaires:

  1. Juste pour dire que j'adore cette rétrospective Michael Mann, et que j'attend le panégyerique pour Heat avec déléctation.

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  2. Merci, je t'avoue que j'appréhende un peu pour Heat parce que l'air de rien c'est beaucoup plus facile de chroniquer un film auquel je trouve des défauts qu'un chef d'oeuvre comme ça... là, je ne sais absolument pas par quel angle je vais l'attaquer.

    J'avais eu dès le début l'idée de fonctionner en rétro de certains cinéastes, Mann me semblait correspondre assez parfaitement (filmo ni trop longue ni trop courte, quelques titres pas très connus mais tous trouvables, niveau qualitatif excellent sur l'ensemble) ; en parallèle je vais faire Jiang Wen - lui c'est plus facile il n'y a que quatre titres - et bientôt je compte entamer Pedro Costa. Après, dans les autres cinéastes dont j'aimerai bien faire l'intégrale, il y a Kathryn Bigelow, Andrei Tarkovski et Sam Peckinpah notamment. Mais j'ai le temps de voir venir d'autant plus que je ne sais pas si j'arriverai à tenir ce blog aussi régulièrement lorsque j'aurais commencé ma vie professionnelle.

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  3. Pedro Costa, connait pas du tout, j'attend avec impatience.
    Tarkovski ça me permettrait de me lancer,j'ai vu que L'enfance d'Ivan que j'ai adoré,mais j'ai un genre de blocage avant de lancer Andrei Roublev,ça fait depuis 6 mois qu'il est sur ma télé et j'ai l'air d'un con, parce que je sais que je vais aimer mais je n'arrive pas à m'y mettre, et j'ai envie de les voir dans l'ordre donc pas me mettre devant Stalker direct,je sens la propagande d'ici ;)
    Et Peckinpah ce serait génial,j'apprendrais la différence entre un vrai ralenti de bonhomme et les vulgaires contrefaçons opportunistes:)

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  4. Relecture tardive pour corriger l'hérésie : d'où le thème du Dernier des Mohicans arrive a la cheville des B.O. de Tangerine Dream pour Mann? Les synthés vaincront !

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