samedi 5 avril 2014

Lady Snowblood Blizzard from the Netherworld (Toshiya Fujita, 1973)


En prison, Sayo Kashima couche avec les gardiens dans le but de tomber enceinte. Elle y parvient mais meurt lorsque sa fille Yuki (Meiko Kaji) nait. Yuki ne fut conçue que dans un seul but : venger sa mère d'un quatuor de bandits qui violèrent Sayo et assassinèrent son mari ainsi que ses deux premiers enfants. Adulte, Yuki est devenue un tueuse impitoyable.

Le cinéma d'exploitation japonais a donné un bon nombre d’œuvres marquantes durant les années 60 et 70 avec en tête de ligne les passionnantes sagas Zatoichi et Baby Cart. Pour autant, si l'on devait dégager un chef d'oeuvre là-dedans, un film que l'on conseillerait avant tous les autres, ce serait ce premier Lady Snowblood - il en existe un deuxième sur lequel on reviendra bientôt - qui s'affirme comme un diamant brut exploitationniste. En réalité, le terme est sans doute excessif : adapté d'un manga de Kazuo Koike, l'auteur des Lone wolf and cub, le film échappe aux situations les plus scabreuses d'un manga inventif, captivant mais au trait souvent forcé (par exemple, le passage ou Yuki était séquestrée par un simplet au pénis si énorme qu'il tuait les femmes avec qui il faisait l'amour n’apparaît pas ici). Fujita élimine toutes les digressions inutiles et resserre son récit autour de la traque des quatre assassins par Yuki - en réalité trois puisque le premier a déjà été éliminé -. Ce qu'on perd en péripéties délirantes et en variété est gagné en concision et en efficacité, d'autant plus que Fujita use de la déconstruction narrative avec brio. On alterne sans cesse le récit de vengeance avec des flashbacks, qu'il s'agisse de présenter les origines de Yuki, son entrainement ou les motifs de sa vengeance, avec une irréprochable fluidité.



L'une des idées narratives les plus modernes, qui ne doit rien à Koike - celui-ci déplore d'ailleurs ce choix dans un interview qu'on peut trouver en postface du tome 2 du manga - est la création du personnage joué par Toshio Kurosawa, romancier écrivant au fur et à mesure les aventures de Yuki pour pousser ses ennemis à sortir de leur cachette. Il semble pratiquement prendre la place du réalisateur et dicter l'action, comme lorsque le changement de chapitre au sein du récit est suspendu car il n'a plus rien à écrire. Il donne une très curieux dimension méta-fictionnelle au récit en faisant de Yuki une héroïne populaire dont l'histoire révèle au peuple les dessous de l'ère Meiji. En effet, Lady Snowblood Blizzard from the Netherworld est à mi-chemin entre le chambara - qui à cette époque a également donné quelques œuvres gauchistes, notamment les films écrits par le scénariste Shinobu Hashimoto - et le récit politique. L'assassinat de la famille de Yuki n'est pas un acte gratuit mais la conséquence indirecte des mesures de conscription imposées par le gouvernement ; moins directement féministe que la Sasori qu'elle incarnait dans les films de Shunya Ito, Kaji incarne ici la conscience des opprimés qui refuse l'oubli.



Meiko Kaji, l'une des actrices les plus fascinantes du cinéma nippon, compose après Sasori son deuxième personnage emblématique. Légèrement plus douce et moins mutique, Yuki est en revanche tout aussi déterminée contre ses ennemis et les combats sont filmés avec une brutalité parfois à la limite du sadisme (l'insistance sur les chairs tranchées, l'afflux de sang). Moins distants que ceux de la majorité des chambara, ils sont filmés au plus près du corps de Yuki, la mise en scène épousant d'ailleurs son point de vue et la grammaire cinématographique assez riche du film étant toujours en accord avec son contexte - les zooms lorsqu'elle est surprise par un ennemi, les arrêts sur images durant les souvenirs, les cadrages penchés lors des combats -. Si on ajoute à tout cela un excellent score dont le superbe thème chanté par l'actrice elle-même (comme celui des Sasori, Urami-Bashi, ce Flower of carnage sera réutilisé dans le Kill Bill de Quentin Tarantino), une très belle photographie jouant superbement avec les décors enneigés et quelques seconds rôles intéressants comme la fille d'un des tueurs, on obtient une oeuvre qui demeure aujourd'hui le sommet indépassable du cinéma d'exploitation nippon et l'un des films japonais majeurs des années 70.

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