lundi 28 avril 2014

Dressé pour tuer (Samuel Fuller,1982)



Julie Sawyer (Kristy McNichol) percute un chien en voiture. Elle le conduit chez le vétérinaire et décide finalement de l'adopter. Le chien, un large berger allemand, s'attache à Julie et la sauve d'une agression commise par un sadique, mais il apparait également qu'il a été conditionné par son précédent propriétaire pour attaquer les personnes de couleure noire. Julie demande de l'aide à un spécialiste, Carruthers (Burl Ives) qui la redirige auprès d'un dresseur noir, Keys (Paul Winfield).

La scène antiraciste la plus mémorable de l'histoire du cinéma se trouve peut-être déjà dans la filmographie de Samuel Fuller, dans Shock Corridor ou un noir enfermé dans un asile se lance dans une diatribe du Ku Klux Klan comme si il n'avait plus conscience de sa propre couleur de peau. On retrouve cette thématique dans Dressé pour tuer à travers le chien dont le conditionnement l’entraîne, là encore, à attaquer les personnes de couleur, mais il y a toujours chez Fuller cette tendance à faire le contraire de ce que l'on pourrait attendre. Le salaud de l'histoire n'y est pas un pauvre type hargneux mais un grand-père tout sourire accompagné de ses deux petites-filles ; la personne insistant le plus pour reconditionner le chien n'est pas sa maîtresse mais Keys, le dresseur noir qui en fait une véritable affaire personnelle, et enfin là ou l'évidence serait de nous pousser à l'empathie absolue avec l'animal, c'est le contraire qui se produit : en étant témoin de sa violence, on serait plus enclin à pencher du côté de Julie (qui souhaite le faire piquer) que de Keys. Là ou les habituelles productions animalières reposent souvent sur des solutions simplistes - si on est gentils, les problèmes se règlent d'eux-mêmes - Fuller propose une situation ou les conduites les plus humanistes en apparence aboutissent aux plus grands désastres, ce qui n'empêche pas d'éprouver une immense compassion pour le malheureux chien. C'est d'ailleurs dans la scène ou Julie est confrontée au propriétaire initial que les intentions de Fuller apparaissent le plus clairement, clarification qui se fait au prix d'un certain didactisme mais qui s'avère sans doute nécessaire dans un monde ou des spectateurs jugèrent le film raciste avec un a-propos qui pourrait faire passer Spike Lee pour un apôtre de la nuance.



La mise en scène de Fuller est plus sèche, moins stylisée qu'habituellement mais elle n'est pas exempt de moments virtuoses : le meurtre hors-champ tétanisant, l'attaque du chien dans le studio de cinéma ou le " film dans le film " et ses transparences donnent un sentiment d'irréalité saisissant et surtout cet incroyable travelling circulaire autour du chien, ou celui-ci passe dans le même plan de la bête calmée à l'agresseur féroce. Le travail de dressage accompli est extraordinaire et toute sa désorientation liée aux diverses tentatives de conditionnement est parfaitement rendue. Dressé pour tuer serait une sorte d'Orange mécanique animalier à ceci près que là ou Alexander était un être humain naturellement mauvais que les lobotomies ne pouvaient guérir, ici le chien est la victime de divers dressages qui se contredisent plus que de son tempérament initial. La beauté de la conclusion est justement qu'elle réussit un grand écart saisissant : tout en refusant le happy-end, elle est suffisamment floue en ce qui concerne l'attaque pour laisser le spectateur se faire sa propre opinion sur les motifs de son comportement.



A deux films de la retraite et après une décennie 70's très peu productive, Fuller prouve à la concurrence qu'il est encore un grand cinéaste, et non dénué d'humour (Burl Ives jouant aux fléchettes sur un portrait de R2D2). L'excellent thème de Morricone donne une puissance rare aux ralentis même si certains spectateurs pourraient être incapables de passer outre une publicité de funeste mémoire...
Dressé pour tuer n'est ni un film d'horreur ni un film d'exploitation. Il s'agit d'une tentative aussi risquée que réussie de traiter un sujet social comme une fable gore. Ce qui pourrait aboutir à un pamphlet aussi lourdaud que Mississippi Burning se révèle en fin de compte une des grandes réussites d'une filmographie en comptant un bon nombre, et en dépit de quelques micro-lourdeurs Dressé pour tuer est l'un des plus beaux films sociaux des années 80.

2 commentaires:

  1. Je me rend compte que je n'ai vu aucun film de Fuller. Bon ben ça fait ça de plus sur la liste:) . Des conseils?

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  2. J'adore Fuller, c'est un cinéaste que je trouve extraordinairement brillant. Donc mon trio de tête :

    - Le port de la drogue, un chef d'oeuvre du film noir ou l'anti-communisme n'est qu'un prétexte à montrer l'envers du décor américain avec deux superbes personnages de marginaux. Richard Widmark au top.
    - Shock Corridor, un film dans un asile qui est une sorte de pré-Shutter Island mais en BEAUCOUP plus convaincant selon moi. Pour le coup l'asile représente la société et c'est génial de voir Fuller exploser tout ce qui névrose son pays.
    - J'ai vécu l'enfer en Corée est un formidable film de guerre de série B, très violent et encore une fois très autocritique. Pas revu depuis un moment mais très gros choc à sa découverte.

    Mais j'aime aussi énormément The Naked Kiss (qui commence en mélo assez conventionnel pour mieux terminer en explosant toutes les conventions), J'ai tué Jesse James (western psychologique contenant quelques grands moments de bravoure), Les Bas-fonds New-Yorkais (autre superbe film noir sur le thème de la vengeance) et 40 tueurs (son western le plus original et le plus abouti).

    Le seul qui m'avait vraiment déçu même si là encore il mériterait un revisionnage, c'est Au-delà de la gloire.

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