mercredi 8 octobre 2014

Quand les tambours s'arrêteront (Hugo Fregonese, 1951)


Le chef indien Victorio attaque la petite ville de Spanish Boot, prévenue in extremis par un joueur, Sam Leeds (Stephen McNally) que le maire Joe Madden (Willard Parker) avait expulsé peu de temps avant. Après une fusillade, les survivants se barricadent dans une église d'ou ils tentent de repousser les assauts ennemis.

En dépit de ce que peut laisser penser son sujet, Quand les tambours s'arrêteront est un western résolument pro-indien. Un carton initial vient justifier les attaques apaches, le personnage le plus positif du film est finalement Pedro Peter - l'indien qui se bat avec les assiégés - et les assaillants se voient attribuer de nombreuses qualités (courage, discrétion, respect de la parole donnée). Chez les blancs, la situation est contrastée : on oscille entre Sam Leeds, un héros roublard, peu apprécié de la communauté mais sympathique (il est le seul, avec l'officier, à respecter Pedro Peter) et efficace, et des représentants des institutions (le maire, le pasteur) pleins de bonne volonté mais englués dans leurs préjugés et leurs certitudes. Ainsi, Quand les tambours s'arrêteront s'articule autour d'une série d'oppositions non-manichéennes (Leeds/le maire, Pedro Peter/le pasteur, Leeds/le pasteur) résolues lorsque chacun accepte de faire un pas vers l'autre ; si l'on apprécie l'humanisme du scénario, ces rapprochements apparaissent parfois quelque peu forcés, à l'image de la pourtant belle séquence durant laquelle l'indien et le protestant prient leurs dieux respectifs côte à côte, le personnage de l'officier étant quant à lui un relais de l'opinion du metteur en scène souvent didactique : il n'est pratiquement là que pour commenter ou justifier les actions apaches.




Pour autant, Quand les tambours s'arrêteront touche au génial lors de sa seconde partie durant laquelle les apaches attaquent l’église. Fregonese et son producteur Val Lewton multiplient les expérimentations sur la lumière, plongent les combattants dans le noir complet et produisent des plans-tableaux d'une beauté stupéfiante compte tenu de leurs limites budgétaires. L'art de la litote, que Lewton sut manier comme personne d'autre - on se souvient de la fin de La Septième victime, d'un minimalisme absolu - est tout aussi abouti dans ce western que dans les films fantastiques signés Tourneur, Robson ou Wise. Même la première partie, plus conventionnelle, n'est pas exempt de fulgurances telles que la découverte du cadavre dans le puits que nous ne voyons jamais, ou la scène du noir scalpé sans que la moindre goutte de sang n'apparaisse à l'écran. Même l'arrivée d'un élément extérieur durant les dernières minutes, regrettable et peu crédible, passe mieux du fait de sa présentation ultra-rapide que lui donne une dimension fantasmagorique. Quand les tambours s'arrêteront opère une synthèse rare entre le minimalisme (de l'histoire, de la figuration, du nombre de décors) et l'expérimentation, souvent aussi discrète qu'intelligente (l'indien projeté derrière la caméra, et abattu directement sans contourner le code Hays puisqu'on ne ne voit plus).



Il est dommage qu'aucun des acteurs ne soit de la trempe d'une Simone Simon et ne parvienne à tirer le film vers le haut, Lewton et Fregonese se contentant d'un casting de deuxième ordre. Stephen McNally et les autres ne sont certainement pas mauvais mais peinent à donner corps à des figures pourtant largement développées par le scénario. Néanmoins, Quand les tambours s'arrêteront est un film marquant sur la durée qui sans égaler les chefs d'oeuvre passés de Val Lewton le montre avec brio accaparer l'univers de l'ouest, a priori guère connecté à ses obsessions. A l'instar de certaines œuvres de Budd Boetticher ou d'Edgar Ulmer, il s'agit d'une série B exemplaire dans sa faculté à tirer le meilleur parti d'un faible budget ; voir des indiens aux peintures rouges, vertes ou jaunes surgir tels des démons dans une lumière rappelant les peintres espagnols constitue un spectacle cinématographique inoubliable et pour ça, comme pour tout le reste, on pardonnera aisément les quelques défauts évoqués ci-dessus.

dimanche 5 octobre 2014

The Triad Zone (Dante Lam, 2000)



Ren Yin-jiu (Tony Leung Ka-fai) est un puissant chef de triade qui aux côtés de sa femme Sol Fa (Sandra Ng) dicte sa loi. Il échappe de peu à une tentative d'assassinat qui l'oblige à reconsidérer ses rapports avec son entourage, qu'il s'agisse de son garde du corps Hu (Roy Cheung) ou de sa maîtresse Jojo.

On l'a déjà dit ici, Dante Lam est capable du meilleur comme du pire. The Triad Zone est certainement à l'heure actuelle son oeuvre la plus accomplie - on met de côté Beast Cops, visiblement réalisé par Gordon Chan -, la seule qui soit convaincante sur la longueur. Il faut dire que les idées délirantes se multiplient dans un état d'esprit qui a plus à voir avec les meilleurs films bordéliques des années 80-90 qu'avec le cinéma hongkongais post-rétrocession. Tony Leung porte un gilet pare-balles Versace ou danse après avoir tabassé un rival, basculant du polar à la comédie musicale en passant par la parodie (le braquage mutuel à la John Woo ou les deux protagonistes se tirent finalement dessus, la scène du sniper façon The Mission qui est un grand moment de n'importe quoi). D’où un film particulièrement hétérogène, ou il est toujours impossible d'anticiper le prochain rebondissement et qui aurait mérité une mise en scène un peu plus soignée : Dante Lam abuse des effets de style (zooms, arrêts sur image, ralentis) qui sont la plupart du temps assez lourds. L'usage de la musique lors du combat final est particulièrement maladroit, et certaines ruptures de ton qui conduisent le film dans une dimension tragique sont mal amenées.



Si il faut reconnaître une chose à The Triad Zone, c'est l'excellence de sa direction d'acteurs. Tony Leung et Sandra Ng sont irréprochables mais la galerie de seconds rôles est impressionnante, qu'il s'agisse de Roy Cheung, d'Ann Hui tout comme des vétérans Richard Ng, Eric Tsang, et Lee Lik-chi (réalisateur favori de Stephen Chow). Mais l'apparition la plus mémorable reste sans contestation possible celle d'Anthony Wong en dieu Guan qui exauce une prière de temps en temps pour maintenir la croyance humaine et ne cesse de prodiguer aux mafieux des conseils moralisateurs que personne n'écoute. Ces quelques minutes, les plus délirantes de toutes, suffisent à faire de The Triad Zone une oeuvre unique. Il y a également un jeu très drôle sur les archétypes du film de triades : Tony Leung, sous des dehors virils et dominants, est écrasé par sa femme. Ses deux adjoints Hu (Roy Cheung) et Zhuo (Eric Tsang) peuvent apparaître comme des facettes positives des héros traditionnels - l'efficacité et la loyauté - qui complètement grossies en deviennent contre-productives (le zèle de Hu cache en fait une homosexualité refoulée envers son chef, tandis que le dévouement de Zhuo le rend totalement aveugle sur sa condition, même une fois emprisonné). Derrière l'humour, il y a une vision finalement très corrosive mais aussi très lucide du monde des triades ; le seul personnage normal, celui de l'avocat de Tony Leung, est d'ailleurs déjà un pied hors du gang comme si avait conscience de n'y avoir aucun avenir.



Parmi les dernières idées loufoques qu'on évoquera : la conférence de mafieux pour deviner qui a commandité l'assassinat de Tony Leung ou la caméra se resserre sur un suspect, qui finit par annoncer qu'il a un cancer et détourne totalement l'attention générale ; le pervers qui déshabille Sandra Ng pour envoyer à son mari des photos.... de ses vêtements ; les changements de voix-off qui, moins virtuoses que chez Scorsese, fonctionnent toutefois très bien, ou encore la tentative de réanimation d'un rival proche de celle du chien dans Mary à tout prix. Il y a des longueurs dans The Triad Zone, et le duo de scénaristes aboutit à une fin un petit peu étrange qui contredit la thématique de rédemption autour de Tony Leung, mais l'on est obligé de défendre cette pépite d'humour noir ou aucun rebondissement n'est trop stupide, ou aucune règle narrative ne peut être dynamitée. On espère en tout cas revoir un jour Dante Lam à ce niveau.

samedi 4 octobre 2014

Le Triomphe d'Hercule (Alberto de Martino, 1964)



Le roi de Mycènes est assassiné par son neveu Milo (Pierre Cressoy) contre lequel une révolte se forme, menée par Euristeo (Piero Lulli). Celui-ci demande l'aide d'Hercule (Dan Vadis) pour lutter contre le régicide ; Hercule tombe amoureux d'Ati (Marilù Tolo), la cousine de Milo que celui-ci manipule tout en arrangeant son mariage avec l'un de ses complices.

Vous savez ce que j'aime chez Dan Vadis ?

Moi non plus.

Plus sérieusement, le voir camper un second rôle tout à fait convenable dans l'Homme des hautes plaines de Clint Eastwood (il est l'un des trois bandits qui terrifient la petite ville) laissait imaginer que Vadis puisse, bien dirigé, être capable de faire preuve du minimum syndical de charisme. Hélas, après le lamentable Hercule l'invincible, ce Triomphe d'Hercule sorti quelques mois plus tard se charge de prouver de nouveau que l'acteur fut l'un des plus risibles héros de péplums. Ici, il tente quelques expressions faciales à ceci près qu'elles ne semblent jamais convenir à la scène : rieur lors d'un combat, surpris lorsque c'est lui qui apporte des éléments aux autres personnages, il donne même parfois l'impression de s'excuser pour l'idiotie des dialogues qu'il déclame. Son regard bovin est dénué de la moindre majesté mais heureusement pour lui, la distribution est tellement mauvaise qu'il ne dénote guère dans le tableau.



Le personnage féminin est probablement le plus stupide de l'histoire du péplum. Certes, l'on s'est habitué aux ingénues en détresse et aux faibles femmes sans défense, mais celle-ci passe les deux tiers du film à clamer sa confiance totale dans le grand méchant qui ne lui ferait jamais de mal (jusqu'à ce qu'il la mette à mort). Hercule subit également un traitement quelque peu original : après avoir attendu pendant environ une demi-heure (l'on pourra objecter que dans Hercule à la conquête de l'Atlantide, meilleur film du cycle, le personnage était très passif ; mais son calme témoignait d'un pacifisme serein qui s'opposait au fascisme représenté par les atlantes), il tuera ensuite un sbire du méchant - condamné à mort de toute manière - avant de prendre le parti du tyran et de tuer le chef des rebelles. Si le parti pris de rendre Hercule faillible n'est pas dénué d'intérêt, ici on a surtout le sentiment de voir un gros idiot incapable de réfléchir à une situation plus de trois secondes alors que la traîtrise de Milo est plus qu'évidente. Lui faire perdre ses pouvoirs aurait également pu donner quelque chose d'intéressant, en tout cas si il les récupérait en plus de cinq minutes et si la menace adverse était du niveau de celles affrontées précédemment dans la saga (Omphale, les atlantes ou même Moloch) et pas un énième usurpateur sans personnalité.



La touche de fantastique à l'italienne est apportée par la sorcière (dont la mort est là encore très originale puisqu'elle disparaît littéralement sans qu'on comprenne trop pourquoi) qui confie au tyran un poignard lui permettant de faire apparaître des sortes de robots au corps en or contre lesquels Hercule butera parfois jusqu'à huit secondes, permettant quelques bagarres assez grotesques ou la pauvreté du budget devient criante.
Globalement, Le Triomphe d'Hercule ne possède aucune grande qualité qui justifierait son visionnage. Tout ce qu'on peut mettre à son crédit réside dans le fait de ressembler un peu plus à un vrai film que Hercule l'invincible : il y a quelques combats, des décors un chouia moins dépouillés, un scénario très légèrement plus tenu (c'est relatif hein !). Mais il est quasiment impossible de prendre au sérieux ce péplum fauché ou les scènes d'action consistent à montrer deux personnes échanger des coups d'épée pendant que des figurants font - très mal - semblant en arrière-plan. Même les films de Parolini ressemblent à du Mankiewicz en comparaison et on tachera d'oublier rapidement ce navet... Mais soyez rassurés, l'année 1964 n'a pas encore épuisé son stock d'Hercules de quinzième zone.