dimanche 9 novembre 2014

The Loveless (Kathryn Bigelow et Monty Montgomery, 1981)



Un motard, Vance (Willem Dafoe) attend le reste de sa bande dans un petit restaurant d'une ville perdue. Davis (Robert Gordon) et les autres le rejoignent, mais ils doivent réparer l'une de leurs motos. Le temps s'écoule, Vance rencontre Telena (Marin Kanter), une jeune fille balafrée, tandis que les habitants n'apprécient guère la présence du petit groupe.

Le premier film de la réalisatrice oscarisée Kathryn Bigelow fut de loin son plus difficile à appréhender. Si ses œuvres ultérieures (Point Break, Strange Days) seront souvent orientées vers l'action, il s'agit ici d'un coup d'essai beaucoup plus proche de la contre-culture des années 70. Les bikers qu'elle filme descendent en droit ligne de ceux d'Easy Rider ; la lenteur du rythme et un aspect parfois non-sensique nous renvoient quant à eux aux excellents souvenirs de Macadam à deux voies ou Point limite zéro. La présence de Montgomery, futur producteur de David Lynch, en fut peut-être l'une des causes mais certains plans portent indéniablement la marque de Bigelow. Si le film de bikers fut un genre des plus commerciaux des années 60 sous l'impulsion notamment de Roger Corman, The Loveless ressemble plus à un film d'art et d'essai à la Antonioni qu'à du cinéma d'exploitation et on pourrait résumer l'ensemble du scénario par une suite de situations potentiellement explosives... qui n'explosent pas. Chance se rend dans un magasin tenu par des noirs malgré les mises en garde de Telena, mais n'y trouve pas de conflit, simplement de l'indifférence. Tarver compte tendre une embuscade aux motards mais elle n'aura pas lieu. Chance et Davis s'opposent souvent l'un à l'autre mais il n'y aura jamais de lutte réelle, etc. Cette dramaturgie aussi originale que frustrante est à la fois la force et la faiblesse principale de The Loveless.



Parmi les dons les plus criants de Kathryn Bigelow figure sa capacité à érotiser des corps masculins, à iconiser ses héros en quelques plans. Pour son premier grand rôle au cinéma, Willem Dafoe crève l'écran. Son sourire ironique, l'aisance avec laquelle il porte le costume de cuir, la facilité avec laquelle il déclame des dialogues parfois trop littéraux (" je ne suis pas aussi blanc que j'en ai l'air " aux noirs qui le méprisent) montrent qu'il n'a guère eu à attendre avant de s'affirmer comme un brillant comédien. Le bilan est plus contrasté chez les seconds rôles (Robert Gordon, Marin Kanter et surtout J. Don Ferguson qui cabotine lourdement) qui semblent un peu victimes du hiératisme extrême de la mise en scène, qui fonctionne parfois (le fétichisme des accessoires 50's) mais peut aussi céder au beau plan pour le beau plan (Vance et Telena nus dans une sorte d'imitation d'un tableau d'Hopper).



Peut-être la clé de l'histoire est elle à chercher justement dans l'inaction des motards ; il y a un très fort contraste entre le crainte qu'ils inspirent et la réalité de leur comportement, plus puéril que réellement effrayant. Hurley participe à une course moto contre voiture, Ricky et Davis effectuent un concours d'adresse au lancer de couteau, Vance part en virée avec Telena... Tout ceci apparaît comme bien peu violent. En revanche, il semble que leur arrivée dans une petite ville ou il ne se passe rien agit comme un révélateur des désirs enfouis des gens, qu'il s'agisse de l'envie d'évasion du garagiste et de son fils, de la solitude de la serveuse ou de la haine de Telena pour son père. En ce sens, les personnages les plus fouillées seraient les habitants de la ville, mais Bigelow et Montgomery leur donnent trop peu de relief pour que ceux-ci soient réellement intéressants. De même, la voix-off de Willem Dafoe qui vient expliciter son ressenti ne s'impose sans doute pas puisque quoi qu'il pense au fond de lui, il n'agit jamais. The Loveless est un film atypique, souvent intrigant mais trop auteurisant, trop théorique pour fonctionner aussi bien que ses successeurs au sein de la filmographie d'excellente tenue de Bigelow.

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