mercredi 19 novembre 2014

Le Lézard Noir (Kinji Fukasaku, 1968 )



Le détective Akeshi (Isao Kimura) est chargé de veiller sur la jeune Sanae (Kikko Matsuoka), la fille d'un bijoutier qu'une mystérieuse organisation cherche à enlever. Akeshi parvient à la sauver mais la chef du gang, surnommée le lézard noir (Akihiro Miwa) lui échappe. La criminelle et le détective ne sont d'ailleurs pas sans éprouver une forte attirance l'un pour l'autre.

Première et plus connue des deux collaborations entre Fukasaku et le célèbre travesti Akihiro Miwa (viendra l'année suivante une Demeure de la rose noire plus mélodramatique et moins convaincante), Le Lézard Noir tient une place tout à fait singulière dans la filmographie du maître. Là ou ses polars 60's, faute d'être totalement aboutis, annonçaient par à-coups le style de ses futurs grands films de yakuza, le Lézard Noir est au contraire un film stylistiquement aux antipodes de son univers brutal et chaotique, finalement plus proche des œuvres délirantes tournés par Seijun Suzuki pour la Nikkatsu. L'ambiance est on ne peut plus kitsch, les couleurs vives et on n'hésite pas à s'envoyer des serpents à la figure ou à remplacer des jeunes femmes dans leur lit par des poupées. On se déguise en bossu, on s'affronte dans une galerie de poupées humaines au sein de laquelle on retrouve l'écrivain Yukio Mishima statufié après un duel au couteau et le scénario adapté de Rampo ressemble à un mélange détonnant de Fantomas et de Sherlock Holmes qui n'aurait guère qu'un équivalent qualitatif par ailleurs sorti la même année : le génial Danger : Diabolik ! de Mario Bava. Si la mise en scène est plus sage que d'habitude, Fukasaku nous gratifie d'un bon nombre de zooms brutaux qui mettent en valeur la délicieuse photographie colorée.



Evidemment, le fait d'avoir pour personnage principal une femme jouée par un homme autour de laquelle gravitent tous les personnages masculins n'est pas sans conférer au Lézard Noir un érotisme quelque peu inhabituel. Il faut dire qu'Akihiro Miwa est un acteur (une actrice ?) au charisme évident et au charme atypique. Le récit contient d'ailleurs quelques fulgurances notables telles que la jeune femme nue enfermée dans la valise, la première confrontation Akeshi-Miwa ou la visite durant laquelle le spectateur découvre les poupées humaines ; on n'oubliera pas non plus la scène durant laquelle le policier amputé d'une main sort d'une baignoire rictus aux lèvres dans un grand moment d'excès surréaliste. Le couple de jeunes amoureux suicidaires est également l'un des plus étranges et originaux rencontrés au cinéma : la doublure de Sanae et l'adjoint du lézard noir s'accordent sur le fait qu'ils ne peuvent pas s'aimer sur terre mais deviennent joyeux en constatant qu'il n'y aura plus aucune barrière entre eux par-delà la mort. Le lézard noir parvient à trouver un équilibre difficile entre ses différentes dimensions : la comédie, le morbide, le décoratif et l'érotisme. Jamais l'une de ses facettes ne vient occulter les autres et le dosage opéré par le cinéaste est plus harmonieux que celui de La Demeure de la rose noire.



Le Lézard Noir porte esthétiquement la marque de son temps, mais ses outrances restent tout aussi agréables à l’œil aujourd'hui. Si il n'atteint pas tout à fait la hauteur des sommets suzukiens de l'époque (La Marque du tueur, Le Vagabond de Tokyo ou La Barrière de la chair), le film de Fukasaku est tout à fait à la hauteur de son statut culte et montre un cinéaste capable de se fondre dans une esthétique radicalement opposée à celle qui constituait sa marque. Aux côtés du Samouraï et le Shogun et de Battle Royale, il demeure l'une de ses réussites les plus marquantes en dehors du film de yakuza. Il est évidemment nécessaire d'avoir une certaine réceptivité au pop'art et à un visuel surchargé pour l'apprécier, mais il peut également constituer une initiation à l'univers du metteur en scène pour des spectateurs peu enclins à apprécier les cadrages penchés et les histoires de conflits entre clans. Quoi qu'il en soit, Le Lézard noir est un film immanquable et l'une des meilleures adaptations de Rampo au cinéma.

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