dimanche 30 novembre 2014

1974, une partie de campagne (Raymond Depardon, 2002)



Le documentariste Raymond Depardon suit Valéry Giscard d'Estaing, candidat à l'élection présidentielle de 1974, de l'annonce de sa candidature à sa victoire face à François Mitterand.

Paradoxe amusant : le film de Depardon aura connu des difficultés de conception dues à sa perception comme film de droite (le premier monteur auquel il fut présenté refusa de s'approcher d'un " film giscardien ") tandis que la censure opérée par le président lui donnera plus tard une réputation d'oeuvre de gauche. En réalité, il peut sembler quelque peu absurde de chercher du militantisme chez Depardon qui s'intéresse davantage aux hommes qu'aux idées et dont le sujet est ici plus proche de la stratégie que de la politique : on n'apprendra quasiment rien sur le programme de Giscard ou de ses opposants, pas plus que sur les réelles oppositions idéologiques entre Chaban-Delmas et lui, par exemple. Seules les stratégies semblent compter ici et on assiste moins à un débat sur le fond qu'à une partie d'échecs. Il y a toutefois très peu d'intérêt de la part de Giscard pour les personnalités de ses adversaires : Mitterand et Chaban ne semblent pas provoquer chez lui le moindre énervement. Il est en revanche prompt à mettre en valeur sa famille (ses filles qui font les titres du journal), à organiser des meetings particulièrement axés sur la communication " à l'américaine ". A l'époque, cette vision d'un Giscard cynique et manipulateur pouvait peut-être choquer, mais il est difficile pour le spectateur de 2014 de s'en émouvoir, sans doute parce que les méthodes employées sont devenues une norme et que l'austérité gaulliste ou mitterandienne a pratiquement disparu.



Quoi qu'on pense de sa politique - il est extrêmement difficile de chroniquer un documentaire de ce type en mettant de côté ses opinions personnelles - il faut reconnaître à VGE son impressionnante faculté de contrôle. Si le film de Depardon est évidemment une manière pour lui de mettre en scène sa jeunesse et sa modernité (on l'oublie parfois, mais il fut le plus jeune président de la Vème République), il ne semble pratiquement jamais oublier la présence de la caméra et reste mesuré y compris dans l'intimité. La séquence " problématique ", qui aboutira à la censure, apparaît aujourd'hui bien quelconque comparativement aux excès des hommes politiques en place. Elle est d'ailleurs plus drôle que polémique : on y voit Giscard, attendant les résultats du second tour, s'insurger contre la présence à la télévision de Michel d'Ornano. Il appelle Michel Poniatowski pour s'en plaindre, raccroche, constate à la télé qu'il devance François Mitterand et rappelle immédiatement Poniatowski pour critiquer d'Ornano. Qui plus est, il ne faudrait pas oublier que Giscard et d'Ornano furent des amis politiques de longue date et que cette dispute ne révèle rien politiquement (d'Ornano sera ministre sous l'ensemble du septennat giscardien).



1974, une partie de campagne est quelque peu frustrant. Souvent longuet (nombre de séquences n'apportent presque rien), parfois drôle (le tic de VGE de se repeigner), il possède les qualités et les défauts de la méthode Depardon : l'absence de voix-off, le montage qui saute d'une étape à l'autre sans crier gare évitent toute lourdeur démonstrative, toute idée de reportage à thèse. Mais nous devons faire avec un son de mauvaise qualité qui rend certaines discussions inaudibles et avec une chronologie parfois très difficile à suivre. Quelques beaux moments ou Depardon parvient à capter quelque chose de fort, comme les manœuvres d'immobilisme de l'entre-deux tours ou la nervosité devant l'attente des résultats, surnagent dans un ensemble trop disparate. Autant qu'un témoignage historique sur un changement de mode de communication, il s'agit également d'un type de reportage résolument aux antipodes des normes médiatiques contemporaines, sans humour factice et sans connivence avec le spectateur, le tout aboutissant à un documentaire plus intéressant que réellement enthousiasmant.

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