mercredi 5 novembre 2014

En avant, jeunesse (Pedro Costa, 2006)



Ventura, un immigré noir vivant au Portugal, est abandonné par sa femme Clotilde. Il décide de passer du temps avec ses nombreux enfants du quartier et projette d'acheter un appartement dans lequel il pourra vivre avec ceux qui en auront besoin.

On retrouve ici la veine la plus fréquente chez Costa, celle de l'étude d'un quartier pauvre de Lisbonne qu'on avait déjà côtoyé dans Ossos et Dans la chambre de Vanda, deux films dans lesquels jouait déjà l'actrice Vanda Duarte (qui a beaucoup changé physiquement). La destruction du quartier, largement évoquée dans Dans la chambre de Vanda, est ici pratiquement terminée et a achevé de déloger les plus défavorisés. L'histoire est un peu plus claire que d'habitude puisque pratiquement toutes les scènes consistent en un dialogue entre Ventura et l'un de ses enfants ; en revanche, elle ne précise pas si il s'agit d'enfants adoptés ou non (Ventura et Clotilde sont noirs, Vanda et son bébé sont blancs), d'autant plus qu'on entend parler ici et là d'une mère morte et que les fils et filles de Ventura semblent pratiquement ignorer l'existence les uns des autres. Ainsi Vanda est convaincue que Nhurro est décédé, Nhurro qui côtoie l'un de ses frères sans qu'aucun ne sache que l'autre a Ventura pour père. Tout cela laisse plutôt penser que Ventura est un père de substitution pour tous les malheureux du quartier, figure amicale superbement incarnée par l'acteur du même nom auquel l'étrange charisme vient donner une très forte présence.




Formellement, En avant, jeunesse est sans doute l'un des films les plus radicaux de Costa : on n'y trouve que des plans fixes, d'une durée encore accentuée par rapport à Dans la chambre de Vanda. Si Ossos possédait encore une certaine ligne narrative (avec notamment la lutte pour la possession de l'enfant) et si un peu de romanesque se mêlait parfois à son documentaire, En avant, jeunesse est en revanche asséché à l'extrême. Le travail esthétique lié au cadre est toujours présent, mais l'aspect " réel " ne fonctionne pas et à l'instar de Ossos, l'ennui s'installe ici très rapidement tant l'ensemble a parfois l'air d'une caricature de film d'auteur. On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence d'une certaine critique, prompt à critiquer l'usage intempestif du zoom ou d'un montage ultra-rapide mais qui ne remet jamais en question la nécessité du plan fixe et de la lenteur : quel est l'intérêt de faire durer une minute de plus un plan ou Ventura et son fils se tiennent la main ? Il ne crée pas d'émotion - les personnages sont trop abstraits -, n'est certainement pas hypnotisant, seulement long. Le misérabilisme d'Ossos est légèrement atténué (Vanda par exemple a réussi à se sortir de sa dépendance à la drogue), mais il y a toujours quelque chose de problématique dans le fait que Costa semble considérer que le hors-champ est la solution à toutes les problématiques liées à la représentation de la misère ; ainsi de l'enterrement ou l'on ne voit que Ventura, ou encore de ses discussions avec un ami ou ils évoquent la rudesse de leurs conditions de travail. Certes, l'on peut savoir gré à Costa, dans un monde ou l'image domine, d'éviter le didactisme, mais l'alternative qu'il constitue ici n'est guère séduisante.



Il faut savoir que l'image, souvent sombre, a été retravaillée en post-production par Costa pour noircir l'environnement ; si ce type de procédé ne pose pas de problème dans une oeuvre de pure fiction, on peut se demander si il n'est pas symptomatique ici d'un ascétisme aussi artificiel que le cinéma hollywoodien dont il est l'exact contraire : l'un magnifie le réel, l'autre le ternit. A l'occasion de quelques séquences durant lesquelles Ventura et l'un de ses fils répètent inlassablement une lettre qui doit être envoyée à une femme retournée au Cap-Vert, le metteur en scène atteint son but et l'effet de répétition fonctionne aussi bien que lors des scènes de chant de Ne Change rien. De même, le moment ou les habitants délirent sur ce que représentent les taches sur les murs ou la visite du musée par Ventura sont chargés d'une belle force poétique. Mais tout cela fait bien peu pour un film de 150 minutes où la neurasthénie domine et ou l'apurement voulu par le cinéaste apparaît comme quelque peu factice.

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