mercredi 12 mars 2014

La Résidence (Narciso Ibáñez Serrador, 1969)




Teresa (Cristina Galbo) rejoint l'orphelinat pour jeunes filles dirigé d'une main de fer par Mme Fourneau (Lilli Palmer), directrice autoritaire qui couve son jeune fils Luis en lui interdisant de parler avec les pensionnaires. Petit à petit, des jeunes filles disparaissent tandis que Teresa est maltraitée par la surveillante Irene (Mary Maude).

Pour de nombreux cinéphiles, le cinéma fantastique espagnol serait l'un des derniers bastions d'un cinéma de genre résistant encore et toujours aux diktats hollywoodiens, souvent opposé artificiellement aux laborieux essais hexagonaux. En réalité, les tentatives ibériques ne se sont que rarement révélées concluantes et une fois épuisées les filmographies de Guillermo Del Toro et d'Alejandro Amenabar pré-Mar Adentro, les motifs d'enthousiasme disparaissent comme neige au soleil, ce qui est d'autant plus le cas lorsque l'on constate que la quasi-totalité des caractéristiques récurrentes du film d'orphelinat espagnol se trouvaient déjà dans cette Résidence sans que sa postérité ne soit parvenu à le dépasser (une exception toutefois : l’Échine du diable).

Serrador, cinéaste ayant œuvré essentiellement pour la télévision, n'aura réalisé que deux films : Les Révoltés de l'an 2000, dans lequel les enfants se décidaient à exterminer les adultes, et cette Résidence ; deux films novateurs aux thématiques fortes dont l'influence se fait encore ressentir aujourd'hui et qui valurent à leur réalisateur un statut de patriarche dans son pays. A priori, tout pour faire de cette Résidence un classique incontournable ; a priori...



Commençons par évacuer une polémique assez stérile : l'influence du film sur le Suspiria de Dario Argento. Si les similitudes concernant le cadre sont très nettes, La Résidence est un film de jeunes filles en proie à des émotions de femmes (désir sexuel, besoin d'émancipation, sadisme) là ou Suspiria voyait son héroïne déambuler dans une sorte de maison de poupée géante telle une version moderne d'Alice au pays des merveilles. D'un coté une esthétique gothique à la Terence Fisher, de l'autre un univers aux couleurs saturées et à l'architecture flamboyante ; aux meurtres furtifs et pratiquement relégués hors-champ du Serrador, Argento répondra par une démesure baroque n'ayant rien à envier aux maîtres Hitchcock et De Palma.

La Résidence est un film à la mise en scène plus rigoureuse que celle des Révoltés de l'an 2000 et brasse toute une gamme de thématiques liées au conservatisme franquisme : lesbiannisme de la surveillante (qui anticipe les futurs matonnes des women in prison), inceste sous-jacent entre la directrice et son fils voyeur, personnages masculins pervers ou métaphoriquement castrés... Le problème réside surtout dans un montage étonnamment hasardeux qui enchaîne les séquences sans souci de cohérence. Par exemple, lors de la scène des douches, le jeune voyeur appelle l’héroïne, qui hésite à lui répondre ; tout de suite après, la surveillante la réprimande pour ses rendez-vous réguliers avec le voyeur, et ce alors que l'on n'a jamais vu les deux personnages ensemble dans le cadre ! De même, la relation pourtant intéressante entre la directrice et la plus rebelle des pensionnaires - qui, une fois n'est pas coutume, n'est pas notre trop sage héroïne - est abandonnée en cours de route comme si Serrador ne savait pas comment conclure les multiples intrigues mises en place (le dénouement de la trame principal est d'ailleurs d'un grotesque achevé). Une confrontation aussi réussie que celle entre Teresa et Irene en devient gâchée par le fait qu'elle soit gratuite car dénuée d'utilité dans le récit.



Si le montage freine malheureusement l'efficacité narrative, c'est dans les instants de pure mise en scène ou Serrador est le plus à l'aise. Ainsi de ce superbe moment de cinéma durant lequel une pensionnaire couche avec un homme dans une grange, la mise en scène de Serrador et le travail sur le son nous faisant comprendre que toutes les jeunes filles sont au courant ; c'est la frustration sexuelle de tout un orphelinat qui s'exprime lors de ces quelques secondes portées par un découpage proprement impeccable. On peut ainsi voir la Résidence comme un film fondateur et doté de fulgurances indéniables, mais trop relâché narrativement pour convaincre entièrement. Serrador corrigera ce défaut pour Les Révoltés de l'an 2000, également imparfait mais ayant le mérite d'assumer plus efficacement son idée initiale.

Note : dans la mesure ou le DVD René Château est non seulement d'une qualité ignoble mais se paye en plus le luxe d'inventer une " restauration " qui n'a de toute évidence jamais eu lieu, je vous conseille amicalement de dépenser votre argent chez des éditeurs un peu plus scrupuleux.

5 commentaires:

  1. Bonne critique, comme toujours.Rien a voir, mais est ce que je pourrais avoir ton avis(ou une critique soyons fous) sur la saga Baby Cart, je n'en n'ai vu aucun ( et aucun Misumi)et l'intégrale de Wild Side me regarde de travers quand je vais en magasin, qu'en pense-tu?

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  2. Merci du compliment, c'est un des rares cas ou j'ai écrit quasiment la critique d'une traite quitte à faire un peu trop long à mon gout. C'est souvent le cas avec les films sur lesquels j'ai un avis un peu intermédiaire.

    J'ai vu les 6 Baby Cart à l'époque ou ils sont passés sur arte (rien que pour ça, respect éternel pour la chaine allemande). Pour moi il s'agit de la meilleure saga japonaise, plus délirants que les Zatoichi et au niveau qualitatif très constant : j'aime tout excepté le sixième qui est vraiment le film de trop. Mes préférés sont le second, saturé d'outrances graphiques, et le cinquième dont la première demi-heure me semble exemplaire. Mais vraiment, rien à jeter jusqu'au cinq et je pense que si on doit voir une saga japonaise c'est celle-là (avec les Lady Snowblood dont je parlerai un de ces quatre mais il n'y en a que deux). Reste que mes Misumi favoris sont plutot La Lame diabolique et surtout le monumental Tuer, mais ses Baby Cart et ses meilleurs Zatoichi sont le haut du panier dans ce registre.
    Par contre, je ne chroniquerai pas les Baby Cart pour l'instant car une fois que j'aurais terminé les Brutal tales of chivalry (n'en reste plus qu'un) je compte enchainer avec les Lady Snowblood et surtout les 8 Lady Yakuza. J'hésitais aussi à faire les Nemuri Kyoshiro avec Raizo Ichikawa mais 14 épisodes ça me semble un peu trop pour moi tout seul ^^

    Sinon je possède le coffret Wild Side, j'ai revu un ou deux épisodes pour les montrer à un ami et j'ai trouvé les copies très bonnes ; après, je n'ai pas pu juger comparativement aux anciennes copies HK Video mais dans l'état des choses, l'acquisition du coffret WS me semble un très bon choix. Le seul gros " défaut " des Baby Cart c'est que si tu découvres les autres sagas après, tu risquerais de les trouver fades comme quelqu'un qui voit Rio Bravo après avoir enchainé les Sergio Leone.

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  3. Ok, merci beaucoup pour ta réponse exaustive, et j'ai hate de lire les critiques à venir.

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  4. Dis voir, Augustin, tu aurais une adresse mail ? Histoire de pouvoir discuter un de ces quatre sans passer par les commentaires.

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  5. Oui, c'est augustin.lesaule@gmail.com. J'oublie souvent de la vérifier, mais je vais faire un effort .J'ai réussi à trouver les Baby Cart sauf le 2, Tuer, et La lame diabolique en médiatheque, mon porte-feuille est heureux ( je m'y mets demain!)

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