samedi 8 mars 2014

Le Sixième sens (Michael Mann, 1986)



Will Graham (William Petersen), un agent du FBI vivant reclus, est contacté par son supérieur Jack Crawford : un tueur en série s'en prend à des familles sans histoire et le prodigieux don d'empathie que possède Will, et qui lui a permis de mettre Hannibal Lecktor (Brian Cox) sous les verrous pourrait être décisif. Cependant, Will craint de basculer dans la folie.

Troisième film de Mann et formidable retour en forme après le demi-ratage La Forteresse Noire. Le Sixième sens est le plus beau Mann des années 80 dans lequel s'affinent ses futures orientations esthétiques - le film marque la rencontre entre Mann et son futur chef opérateur fétiche Dante Spinotti -, un des meilleurs polars de l'époque et la plus réussie des adaptations de Thomas Harris, la sobriété de Brian Cox en Lecktor/Lecter étant autrement plus convaincante que le cabotinage d'Hopkins dans Le Silence des agneaux.

Comme dans Le Solitaire, on retrouve la famille comme bouée de sauvetage empêchant le personnage principal de céder à ses pulsions, avec ici le risque d'une déconnexion de la réalité (extraordinaire séquence dans l'avion, ou Will Graham s'endort en pensant à sa femme, laissant des photos de meurtre bien en vue et à portée d'enfants) avec comme miroir le serial killer rêvant exactement de la même chose. Contrairement à Lecter, encore personnage de second plan, " La Dent Vicelarde " est capable d'empathie et éprouve d'ailleurs un amour sincère pour une jeune aveugle, amour violent et possessif mais réel. De même, au fur et à mesure de sa traque, Graham se coupe petit à petit de son humanité et l'utilisation du journaliste racoleur comme appât montre bien le policier capable de méthodes douteuses pour arriver à ses fins ; le suspens distillé lors des moments d'embuscade est d'ailleurs exemplaire.




Le Sixième sens fait partie de ces films dont l'originalité est diffuse, tapie derrière des archétypes souvent réutilisés mais rarement avec autant de pertinence. Par exemple, lorsque le fils de Graham lui demande des explications sur son rapport aux serial killers, celui-ci lui répond avec une honnêteté totale et l'enfant d'une dizaine d'années est pour une fois traité en adulte capable de comprendre la dure réalité du monde. La confrontation Lecter-Graham est formidable de non-dits et de subtilité, les deux agissants tels des joueurs d'échecs tentants de briser la défense adverse ; il faut d'ailleurs louer la mise en scène de Mann (on y trouve un de ses rares emplois de la caméra subjective), la rigueur de ses cadrages et sa maîtrise parfaite du rythme qui éclatent ici encore plus que dans ses films précédents. Il prouve également son talent pour les moments de creux, de pauses dans le récit (le long plan sur Graham se regardant dans le miroir à la cafétéria, la surprenante séquence ou la Dent Vicelarde séduit l'aveugle en la mettant en contact avec.... un tigre ! ) qui devraient rappeler à certains réalisteurs qu'il ne suffit pas de pétarder de manière ininterrompue pour être un grand cinéaste d'action. De même, l'absence totale de complaisance envers les crimes (on ne voit pas les meurtres, les dialogues et la vue des scènes de crime suffisent pour que le spectateur ressente l'horreur) peut surprendre tant le spectateur contemporain est habitué à ce qu'on lui jette tout en pleine figure là ou ici Mann fait confiance à son intelligence.


William Petersen nous fait regretter qu'après avoir rayonné dans deux des plus beaux polars 80's (celui-ci et le Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin) sa carrière cinématographique n'ait pas eu l'éclat qu'elle méritait. De Dennis Farina à Kim Griest en passant par Stephen Lang, tous les seconds rôles sont impeccables mais on reste particulièrement admiratif devant les deux psychopathes de service joués par Brian Cox et Tom Noonan. On eut été en présence d'un chef d'oeuvre si quelques choix musicaux douteux et un usage du ralenti lors du final, certes un peu mieux amené que celui-du Solitaire mais néanmoins incongru, ne venaient apporter un minuscule bémol à ce qui demeure une date de l'histoire du thriller et un grand film supportant parfaitement le revisionnage.

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