mercredi 19 mars 2014

I Am Waiting (Koreyoshi Kurahara, 1957)



Shimaki (Yujiro Ishihara), un ancien boxeur désabusé, rencontre une jeune femme suicidaire, Saeko (Mie Kitahara). Ils sympathisent mais Saeko, chanteuse, est sous contrat avec une bande de yakuzas qui refusent de la laisser partir. De son coté, Shimaki rêve de retrouver son frère parti au Brésil.

Ce polar intrigue rapidement du fait de son éloignement de l'univers habituel des studios Nikkatsu. Si certains critiques l'ont rapproché de la Nouvelle Vague, on est en réalité plus proche de ce qu'on appelle encore aujourd'hui " le réalisme poétique " et d'un film comme Quai des brumes de Marcel Carné dont on retrouve le sentiment de fatalité, de poids du passé mais aussi les déambulations au bord de l'eau ; l'influence française est d'ailleurs manifeste puisque l'opéra renvoyant Saeko à son passé de chanteuse n'est autre que Carmen. Mais Kurahara n'a pas son Jacques Prévert et son univers de série B est dénué de la puissance et de la majesté de nos classiques hexagonaux. Les dialogues ne créent pas de mystère mais au contraire explicitent trop les caractères des personnages et rapidement on finit par tout savoir de nos héros, là ou il eut été sans doute préférables de laisser une partie de leur passif dans l'ombre.



Il y a deux films dans I Am Waiting, un film de gangsters et un film d'auteur. La première partie, celle de la rencontre entre Shimaki et Saeko, est à la fois la plus originale et la plus touchante. A partir de l'entrée en scène des malfrats, on retombe dans des schémas beaucoup plus conventionnels typiques des productions Nikkatsu. On devine tout de suite que l'intrigue secondaire - le héros est à la recherche de son frère qui a disparu sans lui donner de nouvelles - aboutira forcément à un conflit meurtrier entre lui et les mafieux qui détiennent la femme qu'il a rencontré. On peine aussi à croire qu'Ishihara, avec son physique de jeune premier au gabarit frêle, fut le redoutable boxeur qu'on nous présente. C'est d'autant plus dommage qu'aidés par des personnages plus intéressants et mieux définis que ceux qu'ils incarnaient dans Rusty Knife, le duo vedette est impeccable lors des scènes de romance et parviennent à émouvoir avec un boy meets girl qu'on a pourtant déjà vu cent fois. De plus, parmi les metteurs en scène ayant réalisé des polars pour le studio, Kurahara est peut-être (excepté Seijun Suzuki dont même les films noirs sont tellement saturés d'outrances psychédéliques qu'ils sortent de ce cadre) le plus rigoureux formellement. La bagarre à coup de poing de fin est un excellent moment de cinéma et globalement, le montage ne souffre d'aucune faille. Quelques idées visuelles font également plaisir aux yeux : les jeux de lumière donnant l'impression que les murs bougent lors du premier flashback " meurtrier ", l'arrivée d'Ishihara dans le bar ou Mie Kitahara semble diviser le cadre entre les deux camps. Pareillement, la présence de quelques moment muets passe bien.



Ainsi, I Am Waiting est juste légèrement meilleur que Rusty Knife et voit sa partie romance pâtir de la faiblesse de son envahissante intrigue policière. Le maniérisme de la mise en scène ne suffit pas à le faire décoller et curieusement, un film comme A Colt is my passport, pourtant beaucoup moins rigoureux formellement, laisse une trace plus forte après visionnage. En revanche, il témoigne comme Rusty Knife de l'influence occidentale sur le polar nippon (I Am Waiting est parfaitement suivable pour une personne n'ayant jamais vu le moindre film japonais), ce qui peut faire sourire lorsqu'on repense aux sempiternelles querelles opposant Kurosawa l'occidentalisé à Mizoguchi le cinéaste si purement national, querelles réactualisés inévitablement au fil des générations - John Woo contre Tsui Hark par exemple - et dont la stérilité doit beaucoup à l'image fantasmée que peuvent avoir une poignée de critiques du cinéma japonais. On dira peut-etre un jour ici quelques mots des muets d'Ozu dans lesquels celui-ci n'hésitait pas à télescoper des extraits de films d'Ernst Lubitsch, mais en attendant ce polar de Kurahara aura eu, faute d’être pleinement convaincant, la mérite de tenter de sortir du carcan Nikkatsu. Toujours ça de pris.

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