mardi 30 décembre 2014

La légende du scorpion noir (Feng Xiaogang, 2006)


Dans la Chine du Xème siècle, l'empereur Li (Ge You) a fait assassiner son frère pour usurper son trône et épouser sa femme Wan (Zhang Ziyi). Il envoie des assassins trouver le prince héritier Wu Luan (Daniel Wu) mais celui-ci survit et prépare sa vengeance tandis que dans les coulisses, plusieurs personnages attendent le grand banquet donné par l'empereur pour régler leur comptes.

Après le succès du Tigre et dragon d'Ang Lee, plusieurs réalisateurs issus de la Chine continentale se sont lancés avec opportunisme dans de grandes machines académiques à l'esthétique surchargée et à la dramaturgie de bazar. Plusieurs films ont ainsi tourné autour d'Hamlet, mais Feng Xiaogang est le premier à l'adapter officiellement ; sauf qu'il s'agit d'un Hamlet solennel, d'un Hamlet dénué d'humour, d'un Hamlet qui se regarde attendre et qui aux histoires shakespeariennes de " bruit et de fureur " substitue des ralentis pompiers et des personnages à la psychologie absolument inintéressante. On se fiche complètement de leurs motivations car ils n'ont aucun relief (Daniel Wu, Huang Xiaoming) ou sont totalement détestables (Ge You, Zhang Ziyi). La seule chose qui pourrait les racheter est le sentiment d'amour qui, pour être asséné et rabâché durant tout le film, n'est jamais palpable. A tout ceci s'ajoute un rythme qui serait capable de tuer le meilleur scénario du monde étant donné qu'entre les vingt premières minutes d'exposition et les vingt dernières de résolution, il ne se passe absolument rien ; on fait donc face à un mémorable tunnel d'ennui d'une heure et demie ou l'on passe de la gestion des couvertures de Zhang Ziyi à de captivantes scènes de broderie filmées avec une solennité quasi-parodique.


Le combat dans le théâtre, un des très rares moments ou des gens s'agitent un peu, pourrait rehausser l'intérêt général si Feng Xiaogang n'empilait pas les fautes de gout avec une régularité de métronome : giclées de sang numérique atroces, ralentis interminables, musique emphatique, coups montrés trois fois de suite, abus de câbles... Et au-delà de la laideur visuelle et des absurdités techniques, il est aberrant de ne faire intervenir aucun des six personnages principaux lors du combat en question qui oppose donc des assaillants non identifiés à des comédies de théâtre tous revêtus du même masque, d’où une absence totale d'implication (comment trembler pour ces figures abstraites ?). La volonté de faire une œuvre d’esthète transforme n'importe quel moment anodin en chorégraphie de danse inappropriée (les comédiens semblent ainsi plus se préoccuper de l'élégance de leurs mouvements que d'éviter les coups d'épée) avec un sommet lors de l’exécution du traître Pei Hong ou on assistera à un rouage de coups durant un vol plané qui ne dépareillerait pas dans un Jackie Chan et parait totalement incongru ici.


Enfin, là ou un Chow Yun-fat et une Michelle Yeoh parvenaient à tirer leur épingle du jeu chez Ang Lee, la distribution est ici remarquablement faible. Daniel Wu compose un des vengeurs les moins charismatiques vus au cinéma et Zhang Ziyi n'a aucune crédibilité en impératrice froide et cruelle - si Gong Li forçait souvent le pathos dans ce type de rôle, au moins elle ne semblait pas se tromper de film -. Reste un plus convaincant Ge You qui fait ce qu'il peut pour nous intéresser à la figure ingrate qu'il incarne. La fin grandiloquente est totalement aberrante (mention spéciale à la disparition de Zhang Ziyi) et les morts se succèdent sans qu'on ne ressente quoi que ce soit si ce n'est le soulagement de se rapprocher de l'heure de la délivrance. Tout ce qu'on peut mettre au crédit de Feng Xiaogang, c'est que contrairement à Zhang Yimou il ne double jamais son film d'un propos politique irritant mais reste relativement au premier degré.
Bref, La légende du scorpion noir est un film exécrable qui pourtant n'est même pas ce que la vague de néo wu xia pian a pu engendrer de pire ; comparativement au Wu Ji de Chen Kaige ou à la Cité interdite de Zhang Yimou, on est pratiquement chez Kurosawa. Si heureusement une décennie plus tard le temps semble avoir fait son affaire en remettant ces films à leur place légitime, il n'en reste pas moins que l'effet de mode dont ils bénéficièrent à l'époque est encore plus incompréhensible avec le recul.

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