jeudi 18 décembre 2014

A mort l'arbitre ! (Jean-Pierre Mocky, 1984)


Maurice Bruno (Eddy Mitchell) arbitre un match de football sous l’œil de sa fiancée Martine (Carole Laure) et de l'inspecteur Granowsky (Jean-Pierre Mocky). Après avoir sifflé un penalty litigieux, il est attaqué par des supporters et s'enfuit avec Martine. A la tête des poursuivants, Rico (Michel Serrault) et Albert (Claude Brosset). 

Plus que le sympathique mais surévalué Coup de tête, A mort l'arbitre demeure trente ans après sa sortie la plus violente charge réalisée contre le football. En réalité, c'est surtout la foule qui intéresse le cinéaste et la manière dont celle-ci échappe progressivement à tout contrôle ; contrairement à ce qu'on peut lire parfois, les supporters ne sont pas tous mis dans le même panier. Eddy Mitchell et Carole Laure parviennent d'abord à prendre la fuite grâce au soigneur de l'équipe perdante ( " moi aussi, j'ai hué le penalty " ) et parmi les lyncheurs, le sourd Teddy semble doté d'un minimum de raison et tentera vainement de s'interposer. Il est plutôt bien vu de la part de Mocky d'avoir développé deux individualités à la tête du groupe : Rico, véritable salaud rempli de frustrations, et Albert, brute manipulable qui frappe avant de réfléchir. Rico ordonne, Albert obéit et leur dynamique ne laisse aucune place à l'hésitation : ceux qui tentent de s'interposer sont évacués du récit comme Albert le sera lui-même après avoir (trop tardivement) compris la situation. Ce sont donc évidemment les supporters qui constituent les personnages les plus intéressants, le couple principal ou le flic joué par Mocky constituants des archétypes moins captivants que l'armée de dégénérés hystériques formant sans doute la plus belle bande de zombies vue dans le cinéma français.



Mocky n'est certainement pas le plus rigoureux des réalisateurs mais à son échelle, A mort l'arbitre contient assez peu de véritables scories de mise en scène. Le match de football est bâclé, la musique trop répétitive d'Alain Chamfort finit par énerver (c'était également le cas de celle de Ferré dans l'Albatros) mais on sera admiratif devant la nervosité du montage, la constance du rythme et la très bonne utilisation de certains décors tels que l'usine, la galerie marchande ou encore les immeubles au sein desquels le cinéaste organise une formidable poursuite qui culmine lors de l'affrontement entre Eddy Mitchell et Claude Brosset sur une planche au-dessus du vide. La charge contre l'inaction de la population fait également mouche et la fin tournée sur l'insistance de Serrault est bien meilleure que celle initialement prévue dans le script. Si très peu de temps est consacré à la psychologie des supporters, les dialogues lors du coupage de la ligne téléphonique ( " quand on fabrique des téléphones toute la journée, en démolir un de temps en temps, ça fait du bien " ) les caractérise comme un groupe d'ouvriers rendus à moitié fous par leur travail ; en ceci Mocky ne se contente pas d'un pénible " l'homme est un loup pour l'homme " à La Lars Von Trier mais effectue une intéressante critique de gauche de l'aliénation des masses (il se termine d'ailleurs sur Serrault hurlant " allez les cons ! " en déambulant dans l'usine).



Evidemment, c'est le survolté Michel Serrault qui tire le plus brillamment son épingle du jeu et sa prestation furibarde est l'une des plus convaincantes de sa carrière. Eddy Mitchell et Carol Laure sont bons même si leurs personnages plus fades ne leur permettent pas de réaliser des interprétations aussi marquantes. Si quelques seconds rôles font parfois un peu tache (le présentateur de télévision, certains supporters) on peut aussi s'étonner de la prestation trop nonchalante de Mocky lui-même, infiniment moins convaincant en flic qu'il l'était en individualiste romantique dans Solo ou l'Albatros. Pour autant, A mort l'arbitre est aussi réussi comme thriller social que comme comédie noire ; le fait que Mocky soit parfois brouillon et n'ait pas la maîtrise d'un Chabrol par exemple se révèle moins problématique dans un film qui s'attache à décrire une situation chaotique. Peu de films français auront réussi à trouver l'alliage de férocité et de conscience politique des grandes comédies italiennes, et A mort l'arbitre en fait indéniablement partie.

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