mercredi 10 décembre 2014

La Demeure de la rose noire (Kinji Fukasaku, 1969)



Kyohei (Eitaro Ozawa) tient un club isolé ou chacun vient noyer sa déprime. Une mystérieuse femme, Ryuko (Akihiro Miwa) vient troubler les hommes et entraîner des conflits entre eux. Kyohei et son fils Wataru (Masakazu Tamura) succombent bientôt à son charme.

Seconde et dernière collaboration Fukasaku/Akihiro Miwa après Le Lézard Noir, La Demeure de la rose noire n'a en réalité que peu de points communs avec son prédécesseur. Certes, il y avait des aspects mélodramatiques dans Le Lézard noir, mais ceux-ci étaient insérés dans une intrigue à la Arsène Lupin qui faisait la part belle à une esthétique pop aux frontières du surréalisme. Entre ces deux films, le cinéaste avait tourné le très intéressant Kamikaze Club où l'usage de nombreux procédés stylistiques (flashbacks, arrêts sur image, caméra à l'épaule) flirtait avec l'expérimental. C'est justement cette veine qui affleure parfois dans La Demeure de la rose noire mais étonnamment, ce qui fonctionnait dans un univers chaotique et bouillonnant se révèle maladroit dans le cadre d'un mélodrame ; les moments ou le découpage s'accélèrent sont quasiment illisibles, les flashbacks " filtrés " en couleurs sentent l'artifice (en dépit du moment réussi d'affrontement entre le soupirant et le garde du corps de l'héroïne ou la théâtralité assumée se révèle pertinente). On peut en savoir gré à Fukasaku de n'avoir pas cherché à copier Le lézard noir, mais on comprend assez aisément que La Demeure de la rose noire soit resté quelque peu dans son ombre tant l'inévitable comparaison se fait en sa défaveur.



Pour ce qui est du scénario, la " femme fatale " vient donc créer un triangle amoureux entre un père et son fils, tous deux fous amoureux de Miwa. On est d'abord témoin des ravages crées par Miwa au travers le spectacle de ses amants qui s'entre-tuent mais en dépit de sa passivité, elle ne pousse pas volontairement les hommes à la mort. Miwa n'est pas manipulatrice, seulement indifférente au mal qu'elle porte. Il s'agit d'un thème récurrent dans le film noir mais vu également dans un certain cinéma d'auteur (le Théorème de Pasolini, le Jules et Jim de Truffaut) où un personnage vient bouleverser un équilibre amical ou familial par l'amour qu'il provoque chez plusieurs personnes. Ici, Ryuko symbolise un désir d'émancipation et les protagonistes masculins semblent tous plus inerte et apathiques les uns que les autres avant qu'elle n'éveille chez eux le gout du risque et la volonté de changement. Les chansons jouent également un rôle proche puisqu'il s'agit d'opposer la forte personnalité de Ryuko, qui modifie des standards à sa sauce, et le hiératisme de la femme de Kyohei dont l'immobilisme culturel ne fait aucun doute. Alors oui tout ceci est intéressant mais l'est d'avantage sur le papier que devant l'écran ; la figure de Ryuko est tellement déréalisée (que ce soit par la caméra qui l'isole des autres personnages, par son absence de réaction et plus simplement par le fait qu'elle est incarnée par un acteur travesti) qu'on perd pratiquement toute forme de chaleur humaine. Les personnages n'ont pas la densité requise pour être autre chose que des pantins s'agitant sans trop impliquer le spectateur, et on assiste aux lamentations, aux dépressions et aux suicides de ceux-ci plus intrigué que captivé.



Pourtant, La Demeure de la rose noire est un pur film fukasakien en ce qu'il explore son grand thème de prédilection : les laissés pour compte de l'après-guerre, ou comment les valeurs morales traditionnelles se retrouvent inopérantes dans un contexte de frénésie capitaliste. Wataru est un cousin du révolté d'Hommes, porcs et loups et constate avec difficulté le succès de son frère qui a réussi socialement après lui avoir volé sa compagne. La division des personnages, surtout au sein de la structure familiale, conduit soit à la névrose soit à la mort ; un an plus tard, il signera son film le plus explicite sur ce thème : l'excellent Si tu étais jeune. On le voit, tout en demeurant un film relativement correct, La Demeure de la rose noire souffre de la comparaison avec les œuvres plus abouties du cinéaste qui le surpassent tant sur le plan esthétique que thématique.

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