dimanche 7 décembre 2014

Le Flambeur (Karel Reisz, 1974)



Axel Freed (James Caan), un professeur d'anglais, contracte une dette de jeu de 44 000 dollars auprès de son bookmaker habituel, Hips (Paul Sorvino). Il tente de contacter un usurier mais abandonne ; sa mère accepte finalement de lui donner 20 000 dollars, que Freed s'empresse de miser à La
s Vegas dans l'optique de se refaire.

Fedor Dostoievski est présent trois fois dans Le Flambeur. Il est l'auteur d'une des œuvres lues par Axel Freed à ses étudiants (Les Carnets du sous-sol) ; il est également celui du livre dont s'inspire le scénario de Toback : le Joueur. Enfin, certaines réflexions mises dans la bouche d'Axel sortent directement de Crime et châtiment notamment tout ce qui concerne le fait que Freed est convaincu d'être " protégé " par sa bonne étoile et que rien de bien grave ne peut lui arriver. C'est donc une sorte de néo-film noir atypique, au canevas très conventionnel (un joueur ruiné cherche à se refaire) mais dont le déroulement multiplie les impasses, les fausses évidences et les pieds de nez aux mécaniques trop bien huilées. Ainsi, Freed se rend chez un prêteur sur gages après une longue traversée mais, énervé par son ton, préfère rentrer chez lui sans argent. Les bookmakers sont menaçants mais Axel ne subit jamais de châtiment physique ; les mafieux puissants évoqués ici et là n'apparaissent finalement jamais et en cela, le Flambeur est un pur film des années 70, décennie durant laquelle de nombreux films mirent en scène des héros déphasés au sein d'un monde incompréhensible ou absurde (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon en Italie, Conversation secrète ou The Nickel Ride aux Etats-Unis). Et si il ne procure pas le vertige métaphysique de ce trio de grandes réussites, Le Flambeur mérite toutefois le plus grand intérêt.



L'un des grands points forts du film de Reisz réside dans ses acteurs. Le charismatique James Caan fait merveille en intellectuel monomaniaque capable de parier sur tout et n'importe quoi, mais la galerie de seconds rôles est l'une des plus éclatantes de l'époque : Lauren Hutton en femme aimante mais dépassée, Burt Young en brute épaisse, Antonio Fargas en maquereau, Paul Sorvino en bookmaker et même M. Emmet Walsh en parieur texan et James Woods en guichetier ! Si Reisz avait déjà une expérience importante au sein du free cinéma anglais, l'identité du Flambeur est aussi fortement tributaire de son scénariste James Toback. En effet, celui-ci réalisera quatre ans plus tard un superbe Mélodie pour un tueur très proche thématiquement de sa collaboration avec Reisz. Sa méthode est extrêmement déroutante puisqu'elle rompt souvent avec les trajectoires " en droite ligne " de la plupart des polars. Freed perd, tente de se faire prêter de l'argent, y parvient enfin, rejoue, gagne, rejoue, perd, puis regagne... Les circonvolutions souhaitées par Toback rendent le film plus imprévisible et donc plus réaliste mais conduisent à un rythme parfois bancal ainsi qu'à des séquences dont on ne perçoit que difficilement l'utilité : les disputes conjugales entre Caan et Lauren Hutton n'apportent pas grand chose à l'histoire.



Axel Freed est un personnage atypique car son démon du jeu s'accompagne pourtant d'une éducation privilégiée (sa famille est relativement riche) et d'une grande culture. Comme dans Mélodie pour un tueur, il s'agit d'un personnage doté d'une âme d'artiste qui tente de s'affranchir de la triste réalité quotidienne ; lorsqu'il double sur un 18 au black jack, ce n'est pas tant parce qu'il est convaincu de sa nécessité que parce que le geste est a priori voué à l'échec et donc artistique. Il compare son action à celle d'un sportif " illuminé " avant l'action, quand bien même cette action serait inefficace ou contre-productive, et il est d'ailleurs manifeste que le seul remord manifesté par Freed intervient lorsqu'il corrompt le jeune basketteur noir. Dommage que la mise en scène de Reisz soit quelque peu fonctionnelle comparativement aux Scorsese de l'époque dont les thématiques étaient par ailleurs assez proches (au point que le remake sorti dernièrement devait à l'origine réunir le tandem Scorsese/Di Caprio) mais Le Flambeur est l'une des belles réussites cinématographiques sur l'addiction au jeu.

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