mercredi 11 février 2015

Tombe de yakuza et fleur de gardénia (Kinji Fukasaku, 1976)

 
Kuroiwa (Tetsuya Watari), un policier aux méthodes brutales, arrête deux jeunes yakuzas puis sympathise avec eux. Il devient un allié du clan Nishida, un rival pour l'impulsif Taureau (Tatsuo Umemiya) et plus tardivement l'amant de Keiko (Meiko Kaji), la femme d'un yakuza emprisonné. Mais la police a décidé la fin du clan Nishida.

Tombe de yakuza et fleur de gardénia est un bon film qui fut malheureusement réalisé en 1976, immédiatement après que Fukasaku a enchainé les merveilles (Le Cimetière de la morale, la série Combat sans code d'honneur, Police contre syndicat du crime dans une moindre mesure). Il reprend nombre d'éléments déjà vus ici et là dans les précédents films du réalisateur : la trame générale autour de la corruption policière et des liens amicaux avec les yakuzas est également celle de Police contre syndicat du crime. Le personnage de la prostituée soutenant le héros alors que celui-ci lui a fait du mal par le passé renvoie à Okita le pourfendeur et au Cimetière de la morale tandis que le conflit transformé en amitié puissante qui unit Kuroiwa et le Taureau nous rappelle aux bons souvenirs des Gunji et Kudo de Guerre des gangs à Okinawa. Tous ces éléments sont individuellement plaisants mais pratiquement aucun d'entre eux n'est traité avec la même force que par le passé ; à cet égard, la conclusion est décevante dans la mesure ou Kuroiwa ne semble purger aucune rage mais simplement accomplir mécaniquement une vengeance inutile. On ne retrouve pas la dimension sociétale des grands films fukasakiens où les yakuzas venaient représenter l'envers du décor du miracle économique nippon et privé de cette thématique politique, le film apparait ici plus routinier que ses modèles.


Un ratage donc que ce Tombe de yakuza et fleur de gardénia ? Évidemment non. Il n'est pas dénué de grands moments et parvient au moins à créer un personnage fort en plus d'être inédit chez le maître : Keiko, excellemment incarnée par Meiko Kaji, une femme yakuza d'origine coréenne qui devient la maitresse de Kuroiwa après avoir été rejetée par son mari en prison. Keiko est probablement l'une des figures féminines les plus réussies de la filmographie du réalisateur et forme avec Kuroiwa un couple attachant qui se forme autour d'une superbe scène de baiser sur une plage. Même si elle est moins originale, la complicité entre Kuroiwa et le Taureau fonctionne très bien, notamment parce qu'on comprend facilement leur similitude de caractère, chacun d'eux représentant un électron libre au sein d'un système normé (la police ou les yakuzas). L'ouverture durant laquelle le héros se fait passer pour un petit trafiquant pour pouvoir prendre en flagrant délit les truands joue très habilement sur l'image que renvoie Tetsuya Watari, acteur qu'on identifie immédiatement à un yakuza. On peut toutefois regretter que les deux jeunes lampistes que Kuroiwa laisse partir avant de devenir une sorte de grand-frère pour eux ne jouent pratiquement plus aucun rôle dans la seconde moitié du film.


Formellement, l'on fait face à un Fukasaku typique où tous les procédés emblématiques (arrêts sur image, caméra portées, cadrages penchés) répondent présent et sont employés avec le brio habituel du cinéaste. Le première règlement de comptes survient assez tardivement puisque l'on doit attendre une bonne demi-heure, mais son aspect imprévisible et sa sécheresse d’exécution font passer la pilule. Et si la charge anti-police était déjà bien exploitée dans Police contre syndicat du crime, elle est encore plus violente et plus frontale ici dans la mesure ou à l'exception du personnage principal, absolument tous les policiers apparaissent comme des ambitieux uniquement préoccupés par l'argent ou le souci de faire carrière (voir notamment le personnage joué par Hideo Murota détestable de par son opportunisme). D’où un film quelque peu mineur au sein de la riche filmographie de Fukasaku, mais parfaitement recommandable dans l'absolu.

3 commentaires:

  1. Attention spoilers.

    Je pense que tu est passé à coté de la conclusion, qui m'a justement semblé incroyable par ce sentiment d'inutilité totale. Le champ-contrechamp de Watari qui se rend compte qu'il n'a pas assez de balles est une des scènes les plus fortes de la filmo de Fukasaku, et extrêmement politique: ce ne sont pas des chefs yakusas, mais des policiers qu'il veut descendre!
    Et la scène ou il se fait droguer, et la scène de bagarre dans le club, et Watari qui écoute du rock en envoyant se faire foutre ses voisins! Si celui la est mineur, alors lesquels ne le sont pas? Parce que je le trouve au dessus de Police contre syndicat du crime et Guerre des gangs à Okinawa.

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  2. Alors je crois voir l'idée de faire un film plus posé et moins bourrin que ses grands classiques, mais je dois dire que ça ne fonctionne qu'à moitié chez moi et que pour rester dans ce registre je préfère largement la conclusion déprimée du cinquième Combat sans code d'honneur ou Hirono et Takeda constatent leur échec commun. Ici ça ne me semble pas aussi fort, déjà parce que le lien entre Tetsuya Watari et Hideo Murota n'est pas suffisamment creusé (on sait qu'ils étaient coéquipiers mais jamais il n'y a la moindre trace de complicité entre eux) et ensuite parce que quitte à me faire taper dessus, je trouve que dans ce film là Watari est pas aussi charismatique que mettons Bunta Sugawara ; j'ai aussi regretté l'absence des grands seconds rôles (Hiroki Matsukata, Sonny Chiba, Tomisaburo Wakayama et consorts) qui parvenaient parfois à transcender certaines scènes, là ou ici je les trouve bons sans plus.

    Par contre, c'est vrai que les scènes de shoot sont parmi les meilleurs moments du film, je te l'accorde tout à fait (à ma connaissance, c'est la première fois qu'un personnage fukasakien est drogué à son insu) ; et le moment rock est tout à fait amusant.

    Parmi ses 11 films de yakuza que j'ai pu voir (me manquent les Nouveaux combat sans code d'honneur et Hokuriku Proxy War), c'est celui que j'ai trouvé le plus faible, alors qu'a contrario les deux que tu cites, je les trouve vraiment excellents. Je le mets à peu près au niveau (et même un petit cran en dessous) du Caïd de Yokohama ou d'Okita le pourfendeur, mais Guerre des gangs à Okinawa a pour lui sa rage destructrice, ses acteurs et son fabuleux final, tandis que je préfère le scénar de Police contre syndicat du crime à celui de son successeur, il me semble plus émouvant (l'amitié Sugawara-Matsukata m'apparait plus riche) et plus abouti.

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  3. Spoilers toujours.

    C'est pas tant moins bourrin que complètement déceptif, au final, il a mis 5 balles dans un filc pourri(dernier reste de l'énergie fukasakienne)... et il en voit 10 autres interchangeables, on est plus comme dans Guerre des Gangs ou le 4 contre 200 réussissait à tuer le boss: ici, c'est un échec total, qui coïncide avec les derniers films de yakusas de F.(il a fait que Hokuriku Proxy War après) et le ralentissement de sa carrière.
    Les règles ont changé, et quand Watari sort de l'immeuble, il est déjà mort, juste le temps de dire adieu à Meiko Kaji et c'est la fin, c'est triste, c'est beau.

    Police contre syndicat du crime est décidément le Fukasaku majeur auquel j'accroche le moins, je le mets à la même place que Okita le pourfendeur.(Guerre des gangs est juste en dessous de Combat I et II et de Tombe de Yakuza, eux mêmes juste en dessous du Cimetière de la morale et de Sous les drapeaux, l'enfer)

    Et je trouve Watari ultra charismatique. Je te tape dessus.

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