jeudi 26 février 2015

So dark the night (Joseph H. Lewis, 1946)

 
Le détective Henri Cassin (Steven Geray) prend des vacances dans une petite auberge française où il rencontre Nanette (Micheline Cheirel) dont il tombe amoureux. Celle-ci est courtisée par son ami d'enfance, Léon, mais s'intéresse surtout à Cassin. Nanette puis Léon sont découverts assassinés, conduisant Cassin à mener son enquête.

En voilà un film contrariant. Méconnu mais adoré par une partie de la critique spécialisée (Lourcelles, Tulard, Tavernier), So dark the night est tout à fait aussi original que ses laudateurs le prétendent. Sa construction narrative n'a guère d'équivalents au sein de la production de l'époque et pour peu que l'on découvre le film sans rien en savoir, son déroulement est plus que surprenant. Et pourtant, So dark the night est un film qui ne fonctionne pas. Le film se passe en France, dans une de ces France les plus hollywoodiennes et les plus difficiles à prendre au sérieux qu'on ait pu voir au cinéma : seconds rôles affables, aubergiste mangeant pain et fromage, décors champêtres... La grande majorité des acteurs parle avec un épouvantable faux accent français, et la présence de quelques vrais français dans le tas accentue le décalage avec le reste de la distribution. La dimension psychologique énormément exploitée par le scénario se heurte à une distribution qui oscille entre le pittoresque ridicule et un héros interprété sans conviction par Steven Geray. Il y a un véritable manque d'incarnation et le film demeure un objet théorique qu'on regarde trop distancié faute de pouvoir s'impliquer un tant soit peu.


La première demi-heure nous montre comment une sorte de Maigret est poussé à prendre des vacances par ses supérieurs, puis comment il y rencontre Nanette et tombe amoureux d'elle. Ainsi, on croit d'abord faire face à un drame sentimental quand le triangle amoureux s'installe, d'autant plus que l'attitude de Nanette envers les deux hommes est ambiguë. Puis démarre l'enquête policière, d'abord assez classique avant que les dix dernières minutes ne basculent dans une sorte de climat fantasmagorique très audacieux. La greffe ne prend malheureusement pas et le mélange des genres n'empêche pas qu'aucune des parties ne fonctionne : la romance est dénuée d'intensité, l'enquête n'a guère d'intérêt et si la fin est de loin ce que le film contient de plus marquant, elle est relativement incohérente eu égard au reste du film. C'est d'autant plus dommage que Lewis trouve par moments une inspiration visuelle proche de celle de ses grands films noirs Le Démon des armes ou Association criminelle (le cadrage à travers la vitre ou celui derrière le feu de cheminée, le plan fixe sur Steven Geray ou le changement d'éclairage vient illustrer un état d'esprit perturbé) montrant qu'en aucun cas le ratage du film ne saurait s'expliquer par le désintérêt de son réalisateur.


On a l'impression que So dark the night est un grand film sur le papier dont la transposition à l'écran n'est jamais à la hauteur des ambitions affichées. En soi, le thème de l'aliénation et de l'impuissance du personnage principal avaient largement de quoi séduire mais ils se heurtent au traitement bâclé du scénariste et au jeu médiocre de Geray. Certains éléments semblent uniquement présents pour apporter quelque chose de loufoque (le bossu sorti tout droit d'un Frankenstein et n'ayant aucun rôle actif) et la manière dont Cassin résout l'enquête dénote une grande paresse dans l'écriture. On comprend facilement l'emballement autour d'un film réalisé par un des maitres de la série B, cinéaste par ailleurs très intéressant, mais à le juger isolément pour ce qu'il est So dark the night laisse malheureusement une impression de grande déception, d'autant plus qu'il est souvent catalogué parmi les films noirs et qu'il ne saurait s'inscrire dans ce registre (quand bien même il en emprunte certains archétypes ou certains motifs visuels). Reste que le travail visuel est suffisamment intéressant pour nuancer un jugement trop sévère, faisant la différence entre Joseph Lewis et bien des tâcherons hollywoodiens.

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