mardi 17 février 2015

Le Poids de l'eau (Kathryn Bigelow, 2000)


Jean (Catherine McCormack) et son mari Thomas (Sean Penn) sont invités par Rich (Josh Lucas), le frère de Thomas, à prendre des vacances sur son bateau. Durant la traversée, Jean se découvre une véritable fascination pour un fait divers ayant eu lieu en 1873 : deux immigrantes norvégiennes avaient été assassinées et le témoignage de Maren (Sarah Polley) avait conduit à la condamnation d'un marin, Louis Wagner.

L'un des films les plus méconnus de Kathryn Bigelow, sans doute son plus personnel et de loin le plus raté. On peut louer le courage de la réalisatrice pour s'être attaquée à un sujet qui rappelle plus Jane Campion que ses polars testostéronés, mais on se rend rapidement compte que Bigelow n'est absolument pas la femme de la situation et qu'elle se révèle extrêmement mal-à-l'aise dans ce registre plus intimiste. Tout le film est monté en parallèle entre les deux intrigues : d'une part celle des quatre personnes sur le bateau où l'on constate la déliquescence du couple formé par Catherine McCormack et Sean Penn, et d'autre part celle en 1873 durant laquelle la jeune Maren accuse Louis Wagner d'avoir assassiné sa sœur et sa belle-sœur. Ces deux parties auraient déjà été pénibles montées séparément (surtout celle au présent qui semble sortir d'un roman de gare), mais en étant sans cesse interrompues l'une par l'autre, elles vident leurs personnages respectifs de toute force émotionnelle. A peine commence t-on à s'intéresser aux relations entre Maren et son entourage que l'on doit retourner sur le voilier où la pauvre Catherine McCormack en est réduite à regarder son mari loucher sur la dernière petite amie de son frère.


Au-delà de la lourdeur du procédé, l'autre problème de la narration vient du fait que le parallélisme entre les deux récits n'est guère évident. Si les deux femmes partagent quelques points communs (jalousie, frustration, une certaine passivité) il est difficile de comprendre l'obsession que voue Catherine McCormack à l'histoire de Mabel ; et si les deux segments se rejoignent lors des cinq dernières minutes, leur fusion est très loin d'apporter une conclusion satisfaisante. De manière générale, il y a un énorme déficit d'écriture des personnages secondaires qui ne sont que d'écrasants stéréotypes : Louis Wagner est un obsédé sexuel brutal, Sean Penn un poète tourmenté dépressif, Elizabeth Hurley une playmate aguicheuse tandis que le mari, le frère ou la sœur de Maren sont effroyablement plats, dénués de relief. Certains aspects intéressants sur le papier sont amputés par leur traitement : le double meurtre dans l'histoire de Mabel, d'abord présenté dans sa version " officielle " puis sa version " réelle " est plutôt bien mis en scène mais on est loin de l’utilisation virtuose des versions alternatives dont faisait preuve Brian De Palma pour Mission : Impossible, par exemple. Il y a ici et là de beaux plans, de belles images mais qui ne parviennent jamais à former un tout un tant soit peu cohérent et harmonieux.


Au moins l'histoire de Maren, peu captivante au départ, gagne en intérêt au fur et à mesure et bénéficie de la belle performance de Sarah Polley. L'autre s'embourbe dans un symbolisme lourdaud (Elizabeth Hurley qui matérialise l'amour de jeunesse disparu de Sean Penn, la scène ou celui-ci tente de faire l'amour à sa femme au milieu des archives qui " parasitent " l'acte), d'autant plus que Penn n'est guère crédible en poète mystérieux. S'ajoute à tout cela une insupportable - d'autant plus qu'omniprésente - soupe auditive signée David Hirschfelder qui mérite sa place au panthéon des bande-originales les plus irritantes. En résumé, si certains des premiers films de la réalisatrice méritent d'être réévalués (The Loveless et surtout Blue Steel sont rarement perçus à leur juste valeur) ce Poids de l'eau constitue bel et bien l'unique vrai ratage de la cinéaste, le film où son style s'avéra dramatiquement inadapté à son histoire. Son échec combiné à celui de K-19 : Le piège des profondeurs conduira Bigelow à une longue traversée du désert dont elle sortira brillamment avec Démineurs.

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