vendredi 13 février 2015

Elle s'appelait scorpion (Shunya Itô, 1972)




Nami (Meiko Kaji) alias Sasori a été de nouveau capturée. Le directeur de la prison (Fumio Watanabe) exhibe une Sasori soi-disant mâtée à un officiel lors d'une visite, mais elle tente d'assassiner celui-ci. Peu après Sasori s'évade en compagnie de six autres prisonnières mais la mauvaise entente entre les femmes rend leur fuite extrêmement difficile.

Le plus connu des Sasori est certainement l'un des plus beaux films d'exploitation nippons des années 70, aux côtés du premier Lady Snowblood et de Baby Cart 2 : L'enfant massacre. Toutes les qualités du premier volet sont encore amplifiées, que ce soit sur le plan visuel ou scénaristique. Il ne s'agit donc plus d'un pur film de prison puisque les prisonnières s'échappent rapidement, mais d'un survival dans lequel les évadées échouent du fait de leur incapacité à faire front commun. Alors que Nami la rebelle devrait mener le camp des insoumises, elle est au contraire systématiquement mise de côté ou violentée par les autres. Le fait que les femmes ne soient pas idéalisées renforce le propos féministe qui comme pour le premier opus s'exprime parfois de manière originale : un ancien militaire vante ainsi les mérites de la guerre pour pouvoir violer sans subir de conséquences, récit qui motivera un trio de voyageurs à s'en prendre à l'une des évadées. Itô fait ainsi preuve d'une radicalité politique évidente - rappeler les atrocités commises par le Japon lors de l'invasion de la Chine est quelque peu tabou au sein de l'archipel - tout en montrant la difficulté des femmes à s'unir lorsque leur situation le nécessite (il est symptomatique que la seule prisonnière qui semble apprécier Nami soit tuée rapidement).


Sur le plan visuel, Itô a encore progressé depuis La Femme scorpion et c'est un festival d'idées formelles qui nous est proposé. L'histoire des prisonnières est ainsi contée par une sorcière qui semble sortie du Château de l'araignée de Kurosawa ou d'un film de fantômes japonais (on se rend d'ailleurs compte qu'en dépit du fait que les femmes ont commis des crimes abominables, la plupart d'entre eux découlent de la cruauté masculine). L'évasion finale de Nami contient un plan gore absolument saisissant dans lequel un gardien empalé sur une roue fait tourner celle-ci et si le film n'est pas avare en effets sanglants, le caractère surréaliste dans lequel il baigne transforme la gratuité en poésie - voir la jeune femme tuée symbolisée par la transformation de l'eau du fleuve en sang -. La conclusion touche d'ailleurs au sublime : là ou le film aurait pu se terminer par la confrontation entre Nami et le directeur de la prison, Itô vient rajouter une dernière scène où des dizaines de prisonnières courent dans les rues d'un Tokyo désertifié, le relais qu'elles se passent l'une à l'autre étant le poignard de Nami dans ce qui demeure l'une des plus belles séquences d'appel à l'insoumission. On notera également la mort de la chef des rebelles sur un tas d'ordures qui apparait comme une déclinaison exploitationniste de la fin du Cendres et diamants d'Andrzej Wajda.


Il serait injuste de ne pas mentionner la fabuleuse prestation de Meiko Kaji, certainement l'une des plus abouties de sa carrière. De peu loquace dans le premier épisode, la belle devient ici pratiquement muette et n'aura en tout et pour tout que deux répliques dont la première est prononcée au bout d'une heure, scellant la condamnation à mort de ses comparses. Plus que jamais l'actrice dégage une force, un charisme qui n'ont guère d'équivalents ; une cuillère devient entre ses mains (ou plutôt entre ses dents) un instrument de mort et un simple regard peut faire vaciller ses plus farouches ennemis. Il y a dans la mise en scène d'Itô une synthèse inédite et pourtant très efficace entre l'horreur gothique représentée par Mario Bava ou la Hammer (au Japon, leur cousin le plus évident semble Nonuo Nakagawa qui réalisa en 1960 un L'Enfer ultra-stylisé) et l'univers du women in prison. Parce qu'il s'agit d'un de ces quelques films qui est tout aussi audacieux dans sa mise en scène que dans son discours, Elle s'appelait scorpion doit impérativement être vu, y compris par les spectateurs les plus sceptiques envers le cinéma d'exploitation.

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