mardi 10 février 2015

L'opération diabolique (John Frankenheimer, 1966)


Arthur Hamilton (John Randolph) reçoit de mystérieux coups de téléphone d'un ami décédé, qui le conduit à contacter une étrange organisation. On propose à Hamilton, contre une certaine somme d'argent, de simuler sa mort et de lui offrir un nouveau visage et une nouvelle vie sous le nom de Tony Wilson (Rock Hudson). Lassé de sa détresse conjugale, Hamilton accepte.

On a parfois critiqué L'opération diabolique comme étant un long épisode de La Quatrième dimension, et force est de constater que l'assimilation est fondée. On ne dévie jamais du concept initial (un quidam se voit offrir la " chance " d'une nouvelle vie), au départ quelque peu nébuleux avant qu'un scénario malin ne vienne progressivement égrener les détails significatifs jusqu'à une conclusion sidérante de noirceur. Peu de précisions sont données à propos du rôle des personnages secondaires ou de la mystérieuse entreprise, mais une surcharge psychologique aurait sans doute diminué l'efficacité d'un récit qui fonctionne beaucoup grâce à la paranoïa et à la perte de repères qu'il installe : très rapidement, Rock Hudson apparait comme incapable de s'intégrer dans sa nouvelle vie et se rend compte que celle-ci est totalement illusoire, façonnée par l'Organisation selon ce qu'elle croit que Hamilton souhaitait intimement. Les confrontations entre l'homme et l'entreprise sont par ailleurs parsemées d'un humour à la fois noir et absurde qui rappelle les meilleurs écrivains d'Europe de l'est.


Frankenheimer livre avec L'opération diabolique un film par moments presque expérimental, qui multiplie les effets de montage ultra-rapides, les angles de caméra improbables, les courtes focales sur des visages en perdition et même une surprenante snorricam quelques années avant que Scorsese ne l'utilise dans Mean Streets. Le problème réside dans le fait que la majorité des choix de mise en scène les plus audacieux sont concentrés durant la première partie, à l'image de l'extraordinaire générique de Saul Bass que tout cinéphile se doit de visionner ou de la séquence de l'étranglement cauchemardesque - par ailleurs assez artificiellement liée au reste du film -. Or, le propre d'un film paranoïaque est de créer un sentiment de menace qui s'accentue au fur et à mesure, là ou Frankeneheimer apaise légèrement sa mise en scène petit à petit et donc diminue quelque peu la pesanteur de l'ambiance ; le réalisateur admit d'ailleurs plus tardivement que l'excès de procédés formalistes avait nui à sa cohérence interne. La séquence beaucoup plus sobre durant laquelle Hamilton/Wilson rend visite à celle qui fut sa femme est ainsi un beau moment d'émotion, d'autant plus que le réalisateur a le courage de ne pas idéaliser rétroactivement la vie passée d'Hamilton. Il semble que pour Frankenheimer, la réalité aussi triviale et répétitive puisse t-elle être vaudra toujours mieux que les fantasmes de jeunesse éternelle promus par l'industrie.


Une des séquences les plus connues et les plus emblématiques de L'opération diabolique est certainement l'orgie durant laquelle Wilson et un groupe de hippies nus écrasent du raisin. En plus de sa longueur clairement excessive, elle est surtout assez nébuleuse quant au sens que le réalisateur souhaite lui donner. Wilson est initialement réticent à participer, puis finit par se joindre à la foule en délire et semble ainsi accepter sa nouvelle vie ; seulement à peine quelques minutes après, une scène de cuite - par ailleurs très réussie - vient au contraire exprimer frontalement le malaise du personnage, d’où un enchainement quelque peu confus. Au final, L'opération diabolique est un drôle d'objet hétérogène, parfois absolument génial et parfois laborieux ou frustrant. La radicalité de son propos et l'effort extraordinaire consenti par les collaborateurs de Frankenheimer (le vétéran James Wong Howe délivre une photographie absolument magnifique tandis que la musique de Jerry Goldsmith accentue le climat d'angoisse) tirent le film vers le haut et achèvent de faire de L'opération diabolique un film au capital sympathie certain, un précurseur inégal mais atteignant par instants une force peu commune.

2 commentaires:

  1. Très bonne critique, je serais plus enthousiaste, mais j'ai l'impression d'être plus bon public que toi, je pardonne beaucoup à un film intéressant.
    Pour l'intégrale Maciste, je ne sais pas si tu est au courant, mais Cabiria, le film ou Maciste apparait pour la première foi, est disponible depuis peu en dvd. Apparemment, c'est le film qui a inventé le traveling. Y a un respect.

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  2. Oui il est clair que je ne suis pas très bon public et que j'ai une certaine sévérité (ce qui ne m'empêche pas ici de trouver le film largement recommandable bien sur, c'est une œuvre que je suis presque certain de garder en mémoire un bon moment). J'ai du me repasse dix fois le générique.

    Pour ce qui est des péplums, je vais rester dans la période 55-65 en gros, donc pas de muets pour l'instant. Il faut dire qu'il y a une kyrielle de Maciste muets aux noms plus effrayants les uns que les autres (Maciste en vacances, Maciste et la javanaise, Maciste amoureux ! ) qui ne me font pas trop envie ; de manière symétrique je ne ferai pas les Hercule plus tardifs de Luigi Cozzi, et encore moins les films récents de Rattner ou Harlin dont je me fiche totalement pour le coup.

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