samedi 28 février 2015

Le Samouraï et le Shogun (Kinji Fukasaku, 1978)


A la mort du shogun Tokugawa, un conflit oppose ses fils Iemitsu (Hiroki Matsukata) et Tadanaga (Teruhiko Saigô). Le maître d'armes d'Iemitsu, Tajima (Kinnosuke Nakamura) décide de faire assassiner le chambellan Doi, principal soutien de Tadanaga ; pour accomplir cette mission, il envoie son fils Jubei (Sonny Chiba) recruter les gens de Negoro, des guerriers auxquels Tajima promet un territoire.

Si des cinéastes comme Eiichi Kudo ou Hideo Gosha ont pu s'attaquer aux travers de la société féodale nippone avec une grande force contestatrice, Fukasaku aura prouvé ici qu'il n'avait rien à leur envier en signant ce qui est peut-être son plus beau film hors yakuza-eiga. Le Samouraï et le Shogun possède un scénario étoffé, foisonnant qui tout en faisant vivre une bonne quinzaine de personnages demeure toujours limpide et le metteur en scène télescope avec génie les points de vue divergents, passant d'un personnage à un autre avec une rare aisance. Des films comme Le grand attentat ou Goyokin montraient la lutte entre les représentants des autorités et un petit groupe d'individus déterminés ; Le Samouraï et le Shogun propose une situation assez différente puisque l'on y assiste à un combat entre deux groupes aux forces sensiblement équivalentes, celui de l'héritier légitime Iemitsu et celui de son cadet Tadanaga. Chacun des frères n'est en réalité qu'un outil entre les mains des courtisans, et il n'y aurait aucun conflit (Tadanaga ne souhaitant pas régner) si divers protagonistes n'agissaient pas en sous-main ; de plus, la situation est volontairement envenimée par les dignitaires impériaux qui jouent sur les deux tableaux afin de provoquer une guerre pour faciliter la mainmise impériale. Cette importance des structures sociales et la manière dont les décisions prises à haut niveau se répercutent inévitablement sur les plus faibles est ici d'autant plus marquante que chaque personnage sert même involontairement l'un ou l'autre des belligérants, faisant d'eux des pions manipulés au gré des intérêts du moment.


Si l'on comprend aisément les motifs initiaux de Iemitsu, méprisé par la cour et par ses propres parents, ses méthodes pour régner sont de plus en brutales et ce qui apparaissait en premier lieu comme une tentative légitime de repousser les odieux conseillers de son frère aboutit finalement à un monstrueux despotisme. Les humbles sont représentés par diverses factions : les samouraïs errants, le peuple sans terre de Negoro ou encore le joueur de flute amoureux se retrouveront tous engagés dans un conflit qui ne les concerne pas pour être sacrifiés en temps voulu. Les tentatives de résistance sont vouées à l'échec ou contre-productives (la mort du dignitaire impérial instrumentalisée par Tajima, la rébellion finale de Sonny Chiba qui restera ignorée par l'histoire) et les massacres produisent un sentiment de dégout proche de la boucherie finale de Kagemusha. Qui plus est, le film n'est pas avare d'idées surprenantes : le comédien de théâtre déguisé en courtisane pour attaquer Iemitsu, l'étonnant duel entre Tajima et Ginsisai, l'usage de l'arrêt sur image lors du sacrifice de Shinzaemon... Fukasaku montre sa capacité à varier sa mise en scène, alternant entre un classicisme rigoureux lors des scènes d'intérieur et un filmage plus heurté (zooms brutaux,recadrages, caméras portées) lors des combats.


Il serait injuste d'oublier le brio de la distribution puisqu'on n'y trouve rien de moins que Sonny Chiba - qui crève l'écran dans l'un de ses rôles les plus aboutis -, Hiroki Matsukata, Hideo Murota, Kinnosuke Nakamura, Tetsuro Tamba, Isuzu Yamada (la Lady Macbeth du Château de l'araignée) et même Toshiro Mifune ! Leurs excellentes prestations permettent au cinéaste de livrer un film triplement réussi puisqu'il est aussi abouti comme film historique que comme chambara et comme mélodrame - les dix dernières minutes sont bouleversantes -, prouvant qu'il est possible de charger une œuvre d'une forte dimension politique sans tomber dans le manichéisme ou la lourdeur didactique. Une grande réussite.

2 commentaires:

  1. Rien d'autre a ajouter (a part que c'est pas le meilleur F. hors yakuza-eiga mais chut... :-) )

    J'avais vu un autre chambara de Fukasaku, La vengeance du samouraï, c’était un film tiré d'une série Tv sur un vieux samouraï qui est genre Maigret le jour et tueur a gage la nuit, qui résolvait une histoire de meurtre politique avec ses potes. Le film avait une poignée de très bonnes scènes de combat, et un scénario pas dégueulasse avec des personnages bien construits, jusqu’à un certain point, après tout partait en sucette et ils finissaient par aller tabasser le putain d’héritier du trône, qui se marrait en mode "rien a foutre, tu m'as démasqué, ben allons nous entre-tuer au naginata" :o.

    C’était pas très ambitieux, mais sympathique.

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  2. Oui j'en avais entendu parler - en mal - mais je n'ai pas eu l'occasion de le voir. Je ne louperai pas l'occas' si j'en ai une étant donné que j'ai globalement fait le tour de Fuka' chez les yakuzas et que par contre je n'ai vu que celui-ci rayon chambara.

    (sinon ça devrait te faire plaisir, le prochain chroniqué sera Triple Cross)

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