Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
vendredi 31 janvier 2014
Le Solitaire (Michael Mann, 1981)
Un braqueur, Frank (James Caan) accepte de travailler pour un caïd, Léo (Robert Prosky). Le casse doit être le dernier pour Frank qui compte s'installer et se marier avec Jessie (Tuesday Weld), en dépit d'une surveillance accrue de la police.
Premier " vrai " film de Michael Mann qui entame sa carrière cinématographique par ce qui deviendra son genre fétiche - le polar -, le Solitaire est un objet dans lequel il est difficile de ne pas voir les prémices de ses œuvres ultérieures, tant de nombreux motifs en seront repris. La fusillade finale au ralenti anticipe celle du Sixième sens, le gangster forcé d'abandonner la femme qu'il aime se retrouvera dans Heat, l'univers très nocturne est très proche de celui de Collatéral. Mais le Solitaire est loin d'être un simple brouillon des chefs d'oeuvre à venir, il est aussi un petit bijou du polar 80's, période souvent critiquée mais qui outre-atlantique donna lieu à un bon nombre de merveilles dans le genre (L'Année du dragon, Police fédérale Los Angeles, Sang pour Sang, Comme un chien enragé, Kill Me Again... ). Avant Heat, Mann convoquait deux personnages dans un café non pas pour exprimer leur respect mutuel mais pour une déclaration d'amour extraordinaire, mélange de violence et de sincérité et dans laquelle éclatent les talents de Tuesday Weld et de James Caan. La solidité du casting est l'un des points forts du Solitaire, y compris dans les seconds rôles épatants qu'il s'agisse de Willie Neson en prisonnier mentor ou de Robert Prosky en salaud, en passant par James Belushi incarnant le fidèle partenaire de Caan, personnages qui au passage révèlent la stupidité du titre français (Thief, alias voleur, en version originale) dans la mesure ou le héros n'est pas du tout un solitaire acharné mais au contraire quelqu'un possédant des attaches sentimentales très fortes.
L'un des aspects les plus singuliers du cinéma de Mann réside dans son travail sur la durée, étirant des scènes que d'autres cinéastes auraient traité en quelques secondes et au contraire insérant des ellipses souvent inattendues. En plus de la déclaration d'amour dans le café, d'une bonne dizaine de minutes, on pense évidemment aux longues scènes muettes de perçage de coffre qui n'ont guère d'équivalent que dans les films de casse français signés Melville ou Jules Dassin. Les mésaventures de Frank et Jessie pour adopter du fait du passé de prisonnier de Frank trouveront un écho discret dans Heat - les conditions précaires dans lesquelles Dennis Haysbert doit accepter de travailler pour ne pas retourner en prison - et placent Mann comme un bel héritier thématique des polars sociaux engagés des années 70 comme Le Récidiviste d'Ulu Grosbard.
Comme tous les héros de Mann, Frank cherche à contrôler son existence en rêvant d'évasion. Chaque tentative de se libérer d'une dépendance - ici financière - l'enchaîne à une autre : l'amitié pour le prisonnier qui lui a tout appris, l'amour pour Jessie et surtout la relation de travail tendue qu'il entretient avec Léo. Là encore, cette fatalité est contrebalancée par la présence de scènes planantes dont le cinéaste a le secret, comme le beau moment entre Caan et Belushi sur la plage.
Si une fausse note s'insère concernant la mise en scène, c'est sans doute l'usage du ralenti dans lequel de nombreux observateurs détectent une influence de Sam Peckinpah (la ressemblance est effectivement frappante) qui détonne dans l'univers plus urbain et réaliste de Mann. Si ce final est relativement bien filmé et monté, il demeure une sorte de hors-sujet esthétique ; en revanche, la musique très 80's du groupe Tangerine Dream est datée mais colle tout à fait à l'univers du cinéaste.
Après un Comme un homme libre réalisé pour la télévision et dans lequel un talent de metteur en scène pointait le bout de son nez, Mann commence sa carrière cinématographique par un coup d'essai/coup d'éclat, qu'il parviendra encore à dépasser par la suite. Sans doute l'un de ses films les plus oubliés, mais pourtant absolument essentiel.
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Je l'avais vu l'année dernière au cinéma dans une rétrospective: absolument génial, comme tu le dis, un des meilleurs polars 80 US,bien qu'en dessous de L'année du dragon (pas vu les autres que tu cites, mais Sang pour sang à une sacrée réputation,je vais essayer de le voir). Effectivement, le talent et les thèmes futurs de Michael Mann crèvent les yeux et j'adore la B.O. Belle histoire d'amour, excellents acteurs, suspense haletant,et malgré le ralenti (dont tu m'as fait réaliser la discordance) le finale est vraiment incroyable (avec la scène ou il brûle les voitures!).Bravo pour cette critique!
RépondreSupprimerL'année du dragon c'est à mon sens le meilleur polar des années 80 avec The Killer de John Woo (dans un registre totalement différent), c'est l'un de mes films favoris de cette période et mon Cimino préféré - j'ai mis du temps avant de voir la version longue de La porte du paradis, cette lacune fut récemment comblée -.
RépondreSupprimerSans pour sang fait moins consensus mais j'y vois l'un des meilleurs films des frères Coen à la construction scénaristique impeccable. J'ai bien du le voir une demi-douzaine de fois. Je le préfère largement à The Barber, par exemple, et il n'a quasiment rien à envier à Fargo ou à No Country for old men à mes yeux.
Merci, sois dit en passant je chronique un western spaghetti ce soir si tout se passe bien.