Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
samedi 1 février 2014
Outrage: Beyond (Takeshi Kitano, 2012)
Attention : cette critique contient de nombreux spoilers relatifs aux événements d'Outrage. Le spectateur désireux de conserver le mystère sur les survivants du premier opus serait bien inspiré d'en éviter la lecture, car il me semblait impossible d'écrire une critique sans les mentionner.
Cinq ans après les événements d'Outrage, Kato (Tomokazu Miura) a pris la tête du clan Sanno. Sa politique interne basée sur la promotion des jeunes yakuzas plus familiers avec le business économique provoque des conflits avec les yakuzas les plus anciens. Parallèlement, le policier Kataoka arrange une rencontre entre Otomo (Takeshi Kitano), qui a survécu au coup de couteau, et son ancien agresseur Kimura (Hideo Nakano).
On retrouve donc nos quatre survivants d'Outrage : Kataoka, Ishihara, Kimura et Kato, auxquels s'ajoute le personnage de Kitano miraculeusement ressuscité et toute une nouvelle galerie de yakuzas prêts à en découdre. Les alliances sont toutefois très différentes de celles du premier volet, ou le boss du clan Sanno créait artificiellement un gigantesque conflit dans lequel tous les personnages n'étaient que des pions ; ici, les victimes collatérales des massacres (Otomo et Kimura) décident d'oublier leur haine mutuelle et de s'allier contre le clan Sanno et ses dirigeants (Kato et Ishihara) arrivés à leurs places par la trahison et l'assassinat. Au milieu de tout cela, Kataoka, désormais affublé d'un adjoint circonspect, semble délibérément pousser les yakuzas à s'entretuer. Si Otomo était dans le premier film un yakuza comme un autre, il a évolué dans une figure à mi-chemin entre le tueur d'Outrage et la figure campée par Kitano dans ses premiers films.
Outrage avait été globalement mal reçu par la presse ; il est vrai que le retour de Kitano au film de yakuzas qui lui avait inspiré quelques merveilles (Hana-Bi, Sonatine) semblait privé de tout ce qui avait pu séduire la critique française à l'époque : plus de jeux de plages, plus de poésie de l'ennui, plus de musique de Joe Hisaishi... Au contraire, l'accumulation de massacres et la surenchère gore furent perçus comme révélateurs d'un cinéaste n'ayant plus rien à dire. Pourtant, Outrage était certainement le Kitano le mieux mis en scène depuis Dolls et sa volonté de ne pas céder devant les attentes du public manifestait un évident courage de cinéaste. Encore une fois, Outrage: Beyond est une sorte de contre-pied par rapport à son prédécesseur : moins gore, moins cynique et moins imaginatif (on retiendra toutefois un meurtre à la perceuse et une séquence prouvant les méfaits du baseball pour la santé), il retrouve aussi une certaine sensibilité que Kitano semblait avoir perdu depuis quelques films. Si tous les personnages d'Outrage étaient détestables, le discours est ici plus nuancé : Otomo, Kimura et le policier Shigeta échappent à la vindicte du cinéaste, de même que les jeunes yakuzas au service de Kimura qui seront victimes de leur volonté farouche de s'attaquer au système. L’ambiguïté de la critique kitanienne, c'est que sous ses dehors réactionnaires (le clan Sanno présenté comme un simulacre d'entreprise moderne obsédée par le profit) elle renvoie en réalité toutes les institutions dos à dos, le clan " traditionaliste " ne valant au final absolument pas mieux que les Sanno et se révélant même supérieur concernant sa capacité à cacher leur jeu.
Outrage: Beyond est doté d'un scénario mieux étoffé et moins cynique que celui de son prédécesseur, mais donne un léger sentiment de redite que celui-ci évitait et produit moins de moments visuellement marquants. Faute de convaincre ceux qui voyaient en un retour au film de yakuza une impasse artistique, il pourra en revanche satisfaire autant les fans d'Outrage que ceux ayant regretté la violence exacerbée du précédent opus.
Il semblerait que Kitano ait achevé d'écrire un troisième Outrage ; étant donné le peu d'attention dont celui-ci a disposé en France - aucune sortie salle, pas de DVD ni de Blu-Ray - il serait temps d'essayer de pousser les spectateurs à lui donner sa chance. Dont acte.
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