Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
vendredi 24 janvier 2014
Au cœur de la nuit (Alberto Cavalcanti, Basil Dearden, Charles Crichton et Robert Hamer, 1945)
L'architecte Walter Craig (Mervyn Johns) est invité à une soirée ou il ne connait personne. Une fois arrivé, il révèle aux convives qu'il a rêvé d'eux, et que son rêve lui permet d'anticiper le déroulement de la soirée. Devant le scepticisme d'un psychanalyste, les autres invités commencent à raconter des histoires surnaturelles dans lesquelles ils furent impliqués.
Les studios Ealing, bien plus connus pour leurs comédies absurdes (Noblesse oblige, Tueurs de dames) se montrèrent doublement originaux avec ce Au cœur de la nuit puisqu'il s'agit de la combinaison de deux genres assez inhabituels pour eux : le film d'horreur et le film à sketchs. La crème des metteurs en scène du studio se partage la tache, avec comme seul absent notable Alexander MacKendrick qui ne rejoindrait Ealing qu'en 1946.
- Le cocher du corbillard, segment réalisé par Basil Dearden, est un très court récit d'un pilote automobile rescapé d'un accident et dont une hallucination sauvera de nouveau la vie. Concis et efficace, il a le mérite de donner efficacement le ton avant les sketchs suivants plus longs et plus travaillés ; on notera qu'il anticipe avec près de soixante ans d'avance la série Destination Finale.
- La fête de Noel, premier des deux sketchs d'Alberto Cavalcanti, raconte comment une jeune fille fut confrontée à un enfant étrange semblant venir d'une autre époque. Malheureusement, la postérité cinématographique autour des enfants fantomatiques est bien plus intéressante que cette histoire dont on devine la conclusion dès le début. Sans être honteux, il s'agit néanmoins du seul segment raté, ni captivant ni effrayant.
- Le miroir hanté fut la première réalisation de Robert Hamer, auteur de deux véritables chefs d'oeuvre pour Ealing : Noblesse oblige et Il pleut toujours le dimanche. Dès cette courte histoire racontant comment un miroir ayant jadis appartenu à un seigneur mégalomane et violent conduit un homme sans histoire à la folie, Hamer déploie tout son extraordinaire talent de cinéaste. Il s'agit d'une des deux pépites d'Au cœur de la nuit, à l'ambiance gothique excellemment rendue (le miroir à la Dorian Gray dans lequel la femme du possesseur n’apparaît pas) et excellemment écrit par John Baines, également scénariste du dernier épisode.
- La partie de golf est un petit peu frustrant car il s'agit du seul sketch fantastique comique, où deux golfeurs (joués par Basil Radford et Naunton Wayne, les amateurs de cricket du Une femme disparaît d'Hitchcock) rivaux pour l'amour d'une femme décident se la jouer sportivement. L'univers de Charles Crichton est plus léger que celui de ses compares d'Ealing mais passé la surprise du décalage, l'aspect comique fonctionne tout à fait et la chute est aussi imprévisible que savoureuse.
- Le Mannequin du Ventriloque est une merveille absolue. Cette deuxième contribution de Cavalcanti au film narre le conflit entre un ventriloque et sa démoniaque marionnette, sans qu'on ne sache si celle-ci a vraiment une volonté autonome ou si le ventriloque est fou. Le pantin est doté d'un visage terrifiant et la chute est d'une ironie aussi noire que bien vue. Michael Redgrave livre une interprétation irréprochable tandis que le sentiment de malaise ne fait que croître, et si la réputation du Mannequin du Ventriloque a peut-être injustement éclipsé les sketchs précédents, il faut reconnaître que Cavalcanti livre ici un classique de l'histoire du cinéma d'horreur.
Au-delà de la qualité de ses sketchs, Au cœur de la nuit surprend surtout par sa construction puisque là ou fréquemment les différents segments autonomes ne sont liés que de manière artificielle, ici la conclusion de l'histoire vient confronter l'architecte à la somme des bizarreries évoquées précédemment, et ce jusqu'à une conclusion géniale bouclant la boucle avec un culot épatant. C'est en cela qu'Au cœur de la nuit vaut plus que la somme des ses parties, car son architecture intègre même les éléments les plus faibles de la narration dans un récapitulatif audacieux et surprenant, achevant de faire de cette tentative originale des studios Ealing l'une de leurs plus belles réussites.
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Je l'a vu, mais je ne me rappelait que de la marionnette, tellement elle m'a traumatisé!!!
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