Ce petit film noir japonais est une déception qu'on ne saurait entièrement justifier par le fait que la majorité des productions Nikkatsu nous étant parvenues jusqu'ici étaient réalisés par le déjanté Seijun Suzuki, dont les audaces formelles sont ici aux abonnés absents. Non, que Toshio Masuda s'inscrive dans une tradition classique n'est pas suffisant pour expliquer la relative absence d'implication du spectateur. En réalité, il s'agit d'une série B correcte sur tous les plans (interprétation, mise en scène, montage, rythme) mais sans la moindre originalité et dont aucune séquence n'est suffisamment réussie pour en devenir mémorable. D'où un film qui se suit avec un certain plaisir mais qui ne laisse aucune trace, d'autant plus que les thèmes abordés (la destinée malheureux du mafieux, l'inutilité de la vengeance, la réinsertion, le véritable pouvoir caché derrière les hommes de paille) ont tous été traités avec bien plus d'impact notamment par Hideo Gosha (Le Sang du damné, Les Loups, Quartier Violent... ). On pense également à un polar " nouvelle vague ", français celui-là : Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville, dont la relation filiale entre les deux personnages masculins est quasiment identique à celle unissant Ishihara et Kobayashi chez Masuda. Mais celui-ci n'a ni la fraîcheur du français ni la rigueur formelle de Gosha et en l'absence de brio, les archétypes peinent à devenir autre chose que des clichés de cinéma de genre.
On retrouve donc d'impitoyables mafieux sadiques, des policiers dépassés par les événements ainsi qu'une jeune fille téméraire et déterminée tombant amoureuse de notre criminel hanté par sa conscience. L'identité de " l'homme de l'ombre " est d'une flagrante évidence et on regrette que contrairement à Quartier Violent ou le " twist " amenait des éléments thématiques (la volonté de remplacer un système par un autre qui transformait les personnages en pantins manipulés par une organisation) il ne s'agisse ici que dans élément de surprise assez banal, a fortiori du fait qu'il ne soit pas du tout surprenant. Globalement, le film est extrêmement linéaire et on anticipe toujours les événements des cinq prochaines minutes ; de plus, tout cela n'est pas exempt de facilités (on l'aura deviné, les responsables de la mort de la compagne d'Ishihara sont également les assassins de Shimabara).
Pour autant, malgré cet aspect ultra-prévisible et l'absence de génie de la mise en scène de Masuda, Rusty Knife est un film plutôt plaisant qui remplit tout à fait son contrat de série B divertissante. Le duo vedette Ishihara-Kitahara fonctionne bien, d'autant plus que le personnage féminin est plus développé que d'habitude. Dans les rôles secondaires, on retrouve avec un grand plaisir deux immenses acteurs pas encore starifiés : Jo Shishido, futur icone chez Suzuki dont l'étrange charisme fait déjà merveille ici, et Akira Kobayashi, qui trouvera quelques très beaux rôles chez Fukasaku ou Gosha, étonnant en jeune insouciant très Nouvelle Vague. Quelques belles séquences - les amoureux en moto, la traque de Shishido, le plan final - émergent ici ou là mais au final, Rusty Knife demeure une curiosité intéressante qui pâlit un peu du fait que d'autres réalisateurs sauront transcender un matériel avec lequel Toshio Masuda ne parvient pas à donner une oeuvre marquante. Reste une certaine modernité qui détonne par rapport aux grands cinéastes japonais des années 50 (Kurosawa, Mizoguchi, Ozu...) faute de produire quelque chose approchant un tant soit peu leur grandeur.
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