jeudi 29 janvier 2015

La Femme scorpion (Shunya Itô, 1972)

 
Nami (Meiko Kaji) a été manipulée par son amant, le policier Sugimi, responsable du viol de Nami par des truands. Elle tente de se venger mais est arrêtée et envoyée en prison, dans laquelle Nami devient l'ennemie attitrée du directeur. Sugimi engage une prisonnière, Katagiri (Rie Yokohama) pour éliminer Nami.

Premier des six women in prison racontant la lutte entre la prisonnière Nami (surnommée Scorpion ou Sasori en VO) et les autorités, cette Femme scorpion reste parfois un peu injustement dans l'ombre de son délirant successeur, Elle s'appelait scorpion. Il faut dire que ce volet introductif montre un Shunya Itô qui n'a pas encore totalement trouvé ses marques, offrant un film plus conventionnel sur le plan du scénario que ses deux suites immédiates. Tous les codes du genre répondent présent : les tentatives d'évasion ratées, les matons libidineux et sadiques, les rivalités entre prisonnières et les tortures se succèdent de manière parfois un peu attendue. Il s'agit pourtant d'une charge féministe extrêmement brutale : les institutions (la police, la justice, l'environnement carcéral), représentées par des hommes, sont inhumaines et corrompues et seules les divisions internes entre femmes (bon nombre collaborant pour en tirer quelque privilège) permettent au système d'être maintenu à flots, système dans lequel la prisonnière est assimilée à une sous-prolétaire (le plan sur l'ensemble des femmes exploitées dans les ateliers comme des ouvriers à la chaine) et humiliée en conséquence. La libération de la femme est en marche, et elle se fera à coups de couteau.



Le succès de la formule Sasori, du moins dans ses premiers temps, vient de la fusion de deux talents rares. L'actrice Meiko Kaji est tout aussi déterminée et charismatique que dans les Lady Snowblood et l'idée d'avoir retiré un maximum de dialogues renforce sa froideur vengeresse ; on comprend en quelques secondes qu'elle sera celle qui ne cède jamais, celle contre laquelle tout le système se cassera les dents. Le réalisateur Shunya Itô quant à lui n'est pas tout à fait un réalisateur de films d'exploitation comme Noribumi Suzuki ou Teruo Ishii, mais une sorte d’esthète baroque dans la lignée de Seijun Suzuki. Si sa mise en scène n'est pas aussi folle que dans Elle s'appelait scorpion ou La Tanière de la bête, on peut noter plusieurs très grands moments de cinéma : le viol de Nami et sa théâtralisation (l'arrière-plan qui se transforme en accueillant des dignitaires abjects alors que Nami reste allongée en état de choc au premier plan), l'attaque de la prisonnière rousse dans les douches tout droit sortie d'un film de fantômes saturé d'éclairages bleutés ou la première tentative de meurtre contre Sugimi par une héroïne à moitié nue sont saisissants. Les audaces visuelles permettent également au film d'éviter une certaine complaisance par le biais de la déréalisation (le directeur qui reste immobile alors qu'une prisonnière vient de lui crever un œil), tandis que la musique chantée par Kaji elle-même, Urami-Bushi, est aussi marquante que le thème principal des Lady Snowblood.


Parmi les choses moins convaincantes, on trouve l'aspect caricatural de la totalité des personnages masculins et le surjeu d'une partie d'entre eux (au premier rang desquels un Hideo Murota qui passe tout le film à hurler). Certaines conventions ne fonctionnent qu'à moitié dans l'univers de Itô : l'amitié entre Nami et Yuki affaiblit la première, d'autant plus que le personnage de Yuki ne présente aucun réel intérêt. Mais La Femme scorpion prouve aux détracteurs qu'il est possible de réaliser au sein de ce qui demeure un des sous-genres les plus graveleux de l'histoire du cinéma une œuvre qui soit à la fois ambitieuse thématiquement et esthétiquement. Une simple comparaison avec les " classiques " américains signés Jack Hill ou Gerardo de Leon montre l'écart entre des films globalement très limités et les fleurons du genre nippons. La Femme scorpion est une belle réponse japonaise aux films italiens stylisés de Bava ou Argento, et qui sans être une réussite majeure a très bien passé l'épreuve du temps

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