mercredi 28 janvier 2015

La mort a pondu un oeuf (Giulio Questi, 1968)

 
Marco (Jean-Louis Trintignant) assassine une prostituée avant de rejoindre l'élevage de poulets qu'il gère en compagnie de sa femme Anna (Gina Lollobrigida). Ils vivent tous deux aux côtés de leur nièce Gabrielle (Ewa Aulin) avec laquelle Marco a une liaison. Celui-ci apparait de plus en plus perturbé psychologiquement par le productivisme acharné auquel il est contraint.

Giulio Questi est un réalisateur rare (trois films seulement) et l'un des personnages les plus singuliers du cinéma italien. Si son inaugural Tire encore si tu peux ! pouvait encore s'apparenter au western en dépit de son aspect expérimental, ici nous ne sommes clairement plus dans le giallo et si certaines critiques le mentionnent comme appartenant au genre, force est de constater que ses codes sont soit absents (la recherche du coupable, l'enquête policière, les séquences de paranoïa) soit totalement détournés de leur sens habituel (les meurtres). Quelque part, le film de Questi serait un lointain cousin du Sweet Sweetback's Baadasssss Song de Melvin Van Peebles, tous deux partageant une charge politique féroce et une mise en scène chaotique proche des travaux de Jean-Luc Godard. En effet, le réalisateur use et abuse d'effets de montage ultra-rapides (le plan sur le cadavre dans l'accident de voiture répété une dizaine de fois) afin de provoquer le dégout du spectateur. Si l'effet fonctionne, sa systématisation est très pénible d'autant plus que tout le film est accompagné d'une musique dissonante de Bruno Maderna qui devient franchement insupportable à la longue.


Ce qui est de loin le plus intéressant ici réside dans la manière dont les rapports de production sont envisagés. Lorsque Marco découvre la mutation de ses poulets, devenus des sortes de boules répugnantes sans tête ni aile, il est le seul à s'alarmer là où tout le monde s'enthousiasme de cette réduction des couts de production. Habituellement, un héros entrepreneur fait face à une menace (pour lui et pour la société) dont l'élimination permet un retour à la norme. Ici, Questi présente l'exact contraire : c'est Marco qui apparait comme étant l'individu indésirable, ses réserves morales étant assimilées à de la puérilité par l'ensemble des protagonistes. Au contraire, Marco est le dernier obstacle à un libéralisme abject qui assimile l'homme à du bétail (les ouvriers renvoyés) et le héros le plus moral sur le plan entrepreneurial est donc la personne que l'on voit assassiner des prostituées au cours du film. D’où une gène, un malaise qui parcourt le spectateur jusqu'à ce que le twist final vienne éclairer le propos. Et si cet aspect se révèle parfois un peu trop théorique, il n'en reste pas moins que La mort a pondu un œuf est une œuvre dont le contenu politique est malheureusement totalement actuel (on peut se souvenir de la manière dont le romancier Jonathan Coe traitait du même thème dans son formidable Testament à l'anglaise).


Si le propos n'est donc pas daté, la forme l'est considérablement plus. Les zooms brutaux, les cadrages improbables, les transitions abruptes, les gros plans répétés sur des têtes de poulets apparaissaient peut-être comme une audace durant les années 60 mais donnent aujourd'hui a La mort a pondu un œuf un aspect quelque peu prétentieux dans la mesure ou ils surchargent le film de procédés modernistes lourdingues. Il y a également un énorme problème de rythme tant tout le monde semble faire du surplace, l'essentiel de l'action se concentrant durant les dix premières minutes et les dix dernières. Enfin, si les comédiens sont loin d'être mauvais, ils n'échappent pas à une certaine raideur probablement souhaitée par Questi et au final, La mort a pondu un œuf apparait comme un film à thèse beaucoup trop désincarné. Certes, le propos est novateur est qui plus est traité avec une réelle intelligence, et il serait mensonger de prétendre que Questi ne parvient pas occasionnellement à provoquer une sorte de fascination, mais celle-ci est uniquement intellectuelle et jamais charnelle. La mort a pondu un œuf est une curiosité originale et atypique, mais n'atteint malheureusement pas la force de Tire encore si tu peux ! , l'un des plus saisissants westerns italiens.

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