vendredi 23 janvier 2015

Metade Fumaca (Riley Yip, 2000)



Mountain Leopard (Eric Tsang), un caïd, rentre du Brésil. Témoin d'un incident durant lequel le jeune Smokey (Nicholas Tse) révèle son courage, il décide de l'engager pour tuer Nine Dragons, l'homme qui a volé sa femme il y a trente ans et l'a contraint à l'exil. Mais Mountain Leopard est âgé et sa mémoire contredit parfois la réalité.

En voilà un très drôle de film, davantage centré sur ses personnages plutôt que sur l'intrigue qui les lie. Par exemple, les scènes avec Anthony Wong en vieux mafieux racontant ses exploits imaginaires n'ont aucun intérêt narratif ; ce qui pourrait sembler ailleurs un défaut rédhibitoire n'est absolument pas problématique ici dans la mesure ou Metade Fumaca semble systématiquement vouloir prendre le contre-pied des clichés et des attentes du spectateur. On s'attend forcément à un lien entre Eric Tsang, parti depuis trente ans, et la mère de Nicholas Tse, tombée enceinte trente ans auparavant ; il n'y en a aucun. Tout comme on s'attend à une confrontation entre Mountain Leopard et Nine Dragons, tout comme on espère un minimum de développement dans la relation entre Nicholas Tse et Dee Dee. La structure de Metade Fumaca semble s'articuler uniquement autour de transitions ou d'inversions par rapport aux productions habituelles, et il est systématiquement impossible d'anticiper la prochaine scène, le tout gardant miraculeusement une cohérence propre. En ce sens, tout comme Jiang Hu - the triad zone sorti la même année, Metade Fumaca est l'un des derniers restes venant rappeler l'inégalable talent des cinéastes hongkongais en ce qui concerne le maniement de la rupture de ton tant l'un comme l'autre savent bifurquer de la comédie au drame avec beaucoup d'aisance.


Au programme donc de cette galerie de personnages déjantés : une mafieuse aux ambitions littéraires qui convoque les auteurs pour les faire dédicacer ; un petit truand minable revenu de Los angeles s'exprimant dans une sorte d'anglo-chinois totalement grotesque ; deux anciens bouchers au passé outrageusement idéalisé, et quelques jeunes se battant sans savoir pourquoi. Si la plupart d'entre eu ont d'abord une fonction comique (et le film est très réussi sur ce point, la plupart des gags font mouche) on trouve aussi une mère attendant le père de son fils depuis trente ans, ou une Shu Qi en femme ultra-fantasmée qui obsède Eric Tsang. Évidemment, la succession de saynètes ne va pas sans donner au film un aspect quelque peu inégal, mais très régulièrement arrive une situation délirante ou un moment touchant pour le relancer : Tsang et Tse se cachant sous un piano pour éviter la pluie, leur rencontre initiale ou l'un perd un hachoir et l'autre un pistolet, ou encore la fabuleuse séquence digne d'un wu xia pian durant laquelle Sam Lee et Stephen Fung se battent à coups de machette.


Sur le papier, la distribution a de quoi faire rêver ; et pour une fois, le résultat est à la hauteur des espérances. Eric Tsang trouve l'un de ses meilleurs rôles, ridicule, amusant, bougon attachant, tout comme Nicholas Tse en petit frappe désintéressée. Anthony Wong, Sandra Ng et Shu Qi arrivent à imposer leurs personnages malgré un temps de présence à l'écran réduit tandis que la photo de Peter Pau est également à mettre au crédit du film. On sera un petit peu plus réservé quant à une mise en scène parfois maladroite (les bagarres caméra à l'épaule un peu brouillonnes) et parfois pompière (les moments à la Wong Kar-wai), sur une fin quelque peu frustrante ainsi que sur une musique qui ne semble coller à l'action qu'une fois sur deux. Il n'en demeure pas moins qu'on sort de Metade Fumaca avec le sentiment d'avoir découvert une œuvre très originale, une de celles dont les singularités balayent d'un revers de la main ses petites imperfections et dont le capital sympathie est très fort en ce qui nous concerne. Metade Fumaca est donc bien à la hauteur de sa flatteuse réputation, et doit être redécouvert de toute urgence.

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