mardi 6 janvier 2015

Si tu étais jeune (Kinji Fukasaku, 1970)

 
Cinq amis fauchés décident d'acquérir un camion pour devenir entrepreneurs indépendants. Mais les difficultés se succèdent et bientôt, seuls Kikuo (Tetsuo Ishidate) et Asao (Gin Maeda) continuent l'aventure. Si les deux compères parviennent petit à petit à s'enrichir, l'évasion de l'un de leurs anciens camarades va semer la discorde.

Le capitalisme a souvent été un thème présent chez Fukasaku, notamment dans ses films de yakuzas où les valeurs libérales avaient pris la place de l'ancien code d'honneur. Mais Si tu étais jeune est l'un de ses rares films purement sociaux, où la violence physique est moins présente que d'habitude et où les personnages ne sont plus des révoltés mais des agents du système. Le camion représente l'objet de toutes les convoitises ; la lutte pour sa possession conduit à un mort au sein de la bande et au départ en prison d'un deuxième. Un troisième verra ses efforts réduits à néant par la naissance d'un enfant qui l'oblige à abandonner ses projets pour travailler immédiatement, et si la première partie du film semble faire de Kikuo et Asao des vainqueurs, la seconde détruit leurs illusions en présentant un conflit qui ne se règlera que lorsqu'Asao (le plus instinctif et le plus fragile des deux, de toute évidence le favori du cinéaste) mettra le feu au véhicule. Tout ceci n'est pas d'une extraordinaire finesse mais peu de metteurs en scène japonais ont aussi violemment confronté leur pays à l'envers du décor, aux laissés pour compte du miracle économique nippon. Et si il se termine sur une amorce de réconciliation, il n'en demeure pas moins un cruel constat d'échec ; des années plus tard, Takeshi Kitano (qui a souvent revendiqué l'héritage Fukasakien) conclura son Kids Return par une fin similaire, avec deux amis revenus à la case départ mais heureux d'être en vie.


Formellement, on retrouve toute la grammaire visuelle déjà déployée notamment dans Kamikaze Club (les arrêts sur image, les cadrages penchées, les zooms, les filtres) mais encore plus accentuée ici ; un an avant Guerre des gangs à Okinawa, on constate que tous les éléments visuels qui rendront célèbres ses films de yakuzas sont bien présents et si plusieurs films antérieurs voyaient pointer occasionnellement quelques audaces stylistiques (Le Caïd de Yokohama, Hommes, porcs et loups, Kamikaze Club) on est ici face à un cinéaste arrivé à maturité. Malheureusement, les acteurs n'ont pas l'intensité d'un Bunta Sugawara ou d'un Tetsuya Watari ; Tetsuo Ishidate surjoue régulièrement et si Gin Maeda est convenable, il n'offre pas de performance mémorable. Mais Fukasaku aura su utiliser son indépendance (le film est produit en dehors des studios, son échec le poussera d'ailleurs à rejoindre de nouveau la Toei) et n'aura pas hésité à montrer la répression policière, les ententes entre le patronat et les indépendants qui n'hésitent pas à abandonner la cause ouvrière lorsque leur intérêt personnel est en jeu ou encore la dureté du travail infligé aux enfants, Kikuo et Asao ayant partagé une enfance misérable.

 
Subjectivement, on préfère quand la critique est plus sous-jacente chez Fukasaku, quand ses films divertissent tout en reflétant l'état d'une société plutôt que lorsqu'ils sont plus frontaux comme c'est le cas ici. Mais il ne faudrait pas croire qu'en dépit de quelques symboles un peu appuyés (le camion nommé Indépendance numéro 1) on soit face à une œuvre théorique ; non seulement l'énergie bouillonnante du metteur en scène tempère énormément le côté fiction sociale, mais qui plus est les personnages sont intéressants car humains. En dépit de leurs défauts, de leur avidité et de l'égoïsme dont ils font souvent preuve, il est évident que l'empathie du cinéaste va pour eux comme elle allait pour Hirono dans les Combat sans code d'honneur. Kikuo et Asao ne sont d'ailleurs pas plus méritants que leurs camarades, seulement plus chanceux dans la mesure ou les nombreux efforts consacrés par ceux-ci n'ont jamais rien pesé face à un instant d'égarement, à une erreur commise au pire moment. Rare sont les œuvres à mettre en avant le hasard entrant en jeu dans la concrétisation d'une réussite, réussite qui sera ici bien éphémère.

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