lundi 2 juin 2014

La Maison de lave (Pedro Costa, 1994)



Au Portugal, Leao (Isaach de Bankolé), un ouvrier africain, est gravement blessé lors d'un accident. Tombé dans le coma, il est rapatrié dans son village natal par l'infirmière Mariana (Inês de Medeiros) qui s'attache au corps silencieux de Leao. Elle tente de découvrir les liens unissant celui-ci à une femme blanche agée, Edith (Edith Scob) dont le fils est quant à lui très intéressé par Mariana.

La Maison de lave est une preuve de la fragilité de l'équilibre qui portait miraculeusement le Sang. Car si il s'inscrit dans le sillage de son prédécesseur, ce second film de Pedro Costa se révèle d'un ennui total ou l'hermétisme du style de son metteur en scène empêche toute vie, tout éclat, tout relief. Voir des actrices aussi talentueuses qu'Edith Scob ou Inês de Medeiros tenter sans succès de se débattre avec des personnages insignifiants donne un énorme sentiment de gâchis et les 105 minutes passent avec une lenteur qui n'a que peu d'équivalents cinématographiques.

Le Sang tirait un grand partie de son esthétique en noir et blanc qui privilégiait les gros plans sur les visages et les jeux sur les placements des personnages dans un cadre relativement dépouillé. Ici, la couleur semble être le prétexte à une forme de renoncement esthétique et Costa emballe son film avec un naturalisme plat. La photographie est terne, les couleurs semblent délavées et durant plusieurs scènes de nuit il faut s'arracher les yeux pour comprendre quels personnages sont présents. Les meilleurs films de Costa (Le Sang, Ne Change rien, Dans la chambre de Vanda) sont tous dotés d'une recherche sur le cadre et d'une précision dont cette Maison de lave est extrêmement éloignée, si ce n'est opposée.



En souhaitant s'affranchir à ce point du récit, le réalisateur échoue sur à peu près tous les plans. Il échoue d'abord narrativement puisque les différentes pistes alternent entre l'inintéressant (le chien, la relation entre Scob et Bankolé) et le totalement opaque (le fils de Scob et Inês de Medeiros). Chacun pourra l'espace d'un dialogue abscons se faire son propre film en y trouvant une portée symbolique mais en l'état, rien ne vient constituer une histoire intéressante, même défragmentée. Par conséquent, lorsque Costa tente à quelques occasions des effets un peu plus visuels comme le long plan suivant Inês de Medeiros, il échoue de nouveau ; contrairement à un Andrei Tarkovski, par exemple, qui dans Stalker faisait durer très longtemps un plan qui symbolisait l'entrée des personnages dans un monde s'affranchissant de leurs règles de vie usuelles, Costa ne relie sa mise en scène à aucun élément thématique un tant soit peu consistant. Les personnages se parlent ou plutôt monologuent chacun de leur côté sans s'écouter et tout cela finit par ressembler dangereusement à une compilation des travers les plus énervants d'un cinéma d'auteur réservé aux festivals. De plus, il est extrêmement difficile de croire dans le personnage d'Inês de Medeiros, simple infirmière qui pourtant part en Afrique pour une durée visiblement assez longue sans se poser la moindre question. Si les justifications psychologiques sont accessoires dans des films plus grand public ou l'action prime, dans un contexte aussi réaliste que celui de La Maison de lave ce traitement d'un personnage qui plus est désincarné et froid nous empêche totalement d'éprouver de l'empathie pour elle, et a fortiori d'y croire.



Que reste t-il au final de cette Maison de lave ? Peu de choses. Un orchestre dont les apparitions ont le mérite d'égayer un film par ailleurs laborieux, une actrice tout à fait agréable à regarder et quelques jolis plans de paysage. Mais ceci ne pèse pas lourd face à la pénibilité du visionnage et par l'immense déception de voir les promesses du Sang ne pas être tenues. La fin ne résout évidemment aucun des enjeux disséminés ici et là et ne statue même pas précisément sur le retour ou non d'Ines au Portugal. Même les œuvres les plus lentes d'Antonioni ressemblent à un James Bond une fois découverte La Maison de lave, et suivre la vie de personnages sans éléments contextuels, sans personnalités claires et dont les interactions se résument à se disputer lors d'une scène pour subitement flirter lors de la suivante tient quelque peu du calvaire de spectateur.

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