Un couple de touristes hollandais est en vacances en France. L'homme, Rex Hofman (Gene Bervoets) s'inquiète de ne pas voir revenir la femme, Saskia (Johanna ter Steege). Trois ans plus tard, Rex est toujours à sa recherche. On découvre l'identité du kidnappeur, Raymond Lemorne (Bernard-Pierre Donnadieu), un professeur de chimie à la vie bien rangée.
Si il y a bien un genre autour duquel le cinéma américain s'est souvent cassé les dents, c'est le film de serial killer. Les psychopathes à la Se7en sont en effet des créatures purement cinématographiques et sans lien avec le réel, des représentations totalement fantasmagoriques ; et lorsqu'il s'agit de présenter un tueur plus réaliste, les scénaristes hésitent souvent entre la psychologie de bazar, la parabole biblique grossière ou la grandiloquence. A ce jour, le meilleur portait qu'on ait pu voir outre-Atlantique est certainement l'excellent Henry, portrait d'un serial killer de John McNaughton, mais l'Henry en question était un paumé, un marginal. Ici, le tueur est un homme parfaitement intégré à la société comme pouvait l’être un Ted Bundy, par exemple. L'intelligence de George Sluizer - et du scénariste-romancier Tim Krabbé dont l'ouvrage à la base du film est malheureusement introuvable - est de ne jamais chercher d'explication à la conduite de Raymond Lemorne. Certes, il nous détaille quelques épisodes de sa vie au sein desquels ses tendances ont progressivement émergé mais rien ne vient répondre à la question essentielle : pourquoi ? Nous ne le saurons jamais et L'Homme qui voulait savoir est d'autant plus glaçant qu'il se dérobe à l'analyse comportementale.
De bout en bout, le film est porté par Bernard-Pierre Donnadieu dans le rôle de sa vie ; non pas que Gene Bervoets ou les seconds rôles n'aient aucun mérite mais l'incroyable aura du tueur ne serait rien sans la prestation tétanisante du comédien, sorte de Benoit Poelvoorde plus massif aux manières délicates, au langage soutenu dont on suit le parcours d'apprenti tueur apprenant à dissimuler de plus en plus brillamment sa folie. On pourrait penser au Joker de The Dark Knight pour son obsession autour du hasard et du chaos (il ne respecte d'ailleurs Rex que parce qu'il le trouve aussi obsessionnel que lui) mais quoi qu'il en soit, il est une figure maléfique extrêmement marquante. La scène de rencontre sur l'ère d'autoroute est un très grand morceau de cinéma qu'on observe avec fascination, et la séquence finale jouant sur une des peurs primitives que nous partageons probablement tous est un superbe moment de terreur. Il n'a d'ailleurs pas survécu à l'exportation et dans le remake américain qu'il réalisera quelques années plus tard, Sluizer édulcorera violemment sa conclusion dans ce qui ressemble très fortement à un renoncement cinématographique. Parmi ses qualités les plus étranges, le film n'est pas complètement exempt d'humour et parfois (notamment lors des tentatives ratées de Donnadieu) un rire jaune vient s'insérer en nous, et si la référence du titre à Alfred Hitchcock ne se justifie pas vraiment, le point commun le plus évident entre le cinéaste anglais et George Sluizer consiste sans doute dans le fait de placer le spectateur à coté de quelqu'un cherchant à accomplir un acte immoral - Norman Bates cherchant à couler la voiture dans Psychose par exemple - au risque de nous laisser fasciner.
Alors, un chef d'oeuvre que cet Homme qui voulait savoir ? Non, loin s'en faut. La photographie est assez quelconque, la mise en scène ne transcende que rarement son sujet et le scénario est loin d’être dépourvu de lourdeurs. La première partie autour du couple de hollandais voit ainsi de manière pataude la jeune femme arracher à Rex la promesse qu'il viendra la chercher si quoi que ce soit lui arrive (moment à partir duquel on est forcément certain que son avenir s'annonce très compromis) et la dimension onirique autour de l'oeuf d'or et du couple uni par-delà la mort n'est guère convaincante. Mais faute d’être le grand thriller des années 80, l'Homme qui voulait savoir est une oeuvre marquante qui assume jusqu'au bout son parti pris radical et qui permet au sous-employé Donnadieu de montrer toute l'étendue de son talent. D'une certaine manière, le fait d'avoir pour héros un étranger coincé dans un autre pays rappelle certains films de Polanski (Le Locataire et surtout Frantic sorti la même année et dans lequel un Harrison Ford dépaysé cherchait à résoudre l'enlèvement de sa femme).
Note : beaucoup plus conventionnel mais réussi en temps que thriller, on recommandera aux plus curieux le Breakdown, point de rupture de Jonathan Mostow, dénué d'originalité mais à la mise en scène nerveuse et efficace.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire