dimanche 28 septembre 2014

Le Baron Gregor (Roy William Neill, 1935)



La baronne de Berghman accouche de jumeaux, Gregor et Anton (Boris Karloff). Une prophétie indique que le cadet tuera l’aîné et causera la fin de la lignée. Vingt ans plus tard, Anton rentre voir son frère et découvre que celui-ci est un despote autour duquel courent d'inquiétantes rumeurs.

Boris Karloff est l'un des plus grands acteurs de l'histoire du cinéma fantastique et du cinéma tout court. Sa filmographie est extrêmement généreuse en classiques, plus (les deux Frankenstein de James Whale, La Momie de Karl Freund, Le Chat noir d'Ulmer) ou moins (ses collaborations avec Nick Grinde ou ses incursions chez le producteur Val Lewton) connus dans lesquels sa présence se révèle systématiquement décisive pour ce qui est de tirer vers le haut les œuvres sus-citées. On en vient parfois à penser qu'il faudrait être un cinéaste exécrable pour rater totalement un film avec Boris Karloff dans le rôle titre ; il faudrait l'être encore plus quand l'acteur tient un double rôle. Et Roy William Neill, artisan aussi sympathique qu'inégal, est loin d'être un manchot. L'on peut même lui savoir gré de sa gestion intelligente d'un budget de série B (peu de plans d'extérieurs, des décors parfois un peu factices) et de tenter à l'occasion de sortir sa mise en scène d'un certain statisme. Sa principale qualité est certainement à chercher du côté de sa science du rythme : les événements qui se succèdent en moins de 70 minutes seraient aujourd'hui étirés sur deux heures par une bonne partie des metteurs en scène hollywoodiens.



Mais la raison pour laquelle Le Baron Gregor se doit d'être vu, c'est bel et bien Karloff qui survole une distribution par ailleurs médiocre. La complémentarité entre les deux frères, le sadique et le bienveillant, lui permet d'exprimer une gamme extrêmement étendue d'émotions ; si le film n'a évidemment pas l'ambition du Faux-semblants de David Cronenberg, Karloff comme Jeremy Irons parvient à nous faire totalement dissocier ses deux personnages. Mais c'est lorsque Gregor joue le rôle d'Anton devant ceux qui le haïssent que l'acteur touche au génie, non sans un humour noir (Gregor semble se délecter d'apprendre qu'il est unanimement détesté) qui annonce certaines de ses compositions ultérieures telles que Le Récupérateur de cadavres de Robert Wise ou La Maison de Frankenstein d'Erle C Kenton, films dans lesquels il incarne également une sorte de folie sardonique. Il faut noter la qualité des trucages : les nombreuses scènes de confrontation entre les frères donnent vraiment l'impression d'avoir des acteurs différents l'un en face de l'autre. Une fois de plus, Karloff prouve l'inanité des critiques le réduisant au stade de " porteur de masque " du fait de la célébrité acquise grâce à Frankenstein.



Le scénario présente un digest acceptable de thématiques shakespeariennes : Gregor fait tout ce qu'il estime nécessaire pour lutter contre la prophétie (interdire l'accès à la pièce maudite, tuer son frère qui doit l'assassiner) et comme Macbeth découvrira qu'on peut interpréter celle-ci de diverses manières... Il élimine tout le monde sur son passage, famille, amis et animaux sans le commencement d'un remord et l'absence de justification psychologique (c'est son frère qui est infirme et qui est écarté de la succession) le rend d'autant plus effrayant. La chute finale, prévisible mais amenée de manière exemplaire, devrait plaire aux amateurs d'Edgar Poe (on est d'ailleurs plus proche de l'univers de l'écrivain que dans certaines adaptations officielles de l'époque, notamment Le Chat Noir ou Le Corbeau... tous les deux avec Karloff).
Le Baron Gregor est une bonne surprise qui faute d'égaler les chefs d'oeuvre Karloffiens permet à l'acteur de livrer une de ses performances les plus impressionnantes. Indispensable pour les amateurs donc - et pour les autres, on leur conseillera de visionner l'intégralité des films de monstres avec Lon Chaney Jr histoire que, une fois plongés dans l'obscurité totale, la lumière leur semble d'autant plus brillante.

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