lundi 15 septembre 2014

Où gît votre sourire enfoui ? (Pedro Costa, 2001)



Jean-Marie Straub et Danièle Huillet montent la troisième version de leur film Sicilia ! sous l’œil de la caméra de Pedro Costa.

Il est délicat de séparer l'appréciation critique d'un documentaire de l'intérêt qu'on porte à son sujet ; ainsi, observer durant une heure quarante les Straub exercer leur métier n'est pas une partie de plaisir si l'on est réfractaire à la conception du cinéma du couple. Mais ceci ne saurait tout expliquer : même quelqu'un n'éprouvant aucun intérêt particulier pour la carrière de chanteuse de Jeanne Balibar peut trouver dans Ne Change rien de belles choses, des moments ou Costa parvient à capter avec brio la lassitude et l'épuisement au point de nous attacher finalement à sa figure d'artiste. Le résultat est beaucoup plus mitigé ici, car les Straub ne sont pas uniquement filmés comme des artisans mais aussi comme des théoriciens du cinéma. Jean-Marie Straub, véritable moulin à paroles, n'a de cesse de disserter sur Tati, Cocteau ou Eisenstein et sa logorrhée dans laquelle pointe régulièrement la fierté d'être un artiste, un vrai - par opposition aux cinéastes hollywoodiens et à leurs films de consommation courante - a quelque chose de réellement pénible. A cet égard, les moments ou l'on sort de la salle de montage pour pénétrer dans un cinéma ou Straub donne une sorte de masterclass sont clairement de trop : ce contrechamp, qui sera également utilisé dans Ne change rien (l'on suit la préparation de la chanteuse d'un côté, ses concerts de l'autre) tourne ici à la leçon de cinéma dogmatique et arrogante, d'autant plus que comme à son habitude Costa s'attache à son sujet au point de ne jamais filmer d'intervenants extérieurs.



Ce qui sauve Où gît votre sourire enfoui ? de l'ennui qui condamnait La Maison de lave et Ossos, c'est qu'il ne montre pas un cinéaste mais un duo. Une heure quarante sur le bavard Straub userait les nerfs, tout comme une heure quarante sur la sèche et cassante Huillet atteindrait un niveau d'austérité inégalable même comparativement au reste de la filmographie de Costa. En l'état, leurs disputes, leur complémentarité et la fausse distance avec laquelle ils s'adressent l'un à l'autre (ils se vouvoient) a quelque chose de parfois comique, comme lorsque Huillet s'énerve ("taisez-vous Straub !") à propos du fait qu'après trente ans de collaboration, Straub est toujours incapable de se taire cinq minutes pendant qu'elle s'occupe du montage ou lorsqu'ils se disputent pour savoir si ils avaient acheté ou volé la chemise que porte un des acteurs du film. Le documentaire alterne ainsi régulièrement entre l'amusant - les anecdotes de tournage, les disputes -, l'énervant - les grandes déclarations marxisantes, l'idée d'un cinéma qui bannirait pratiquement la notion de plaisir - et l'intéressant lorsque les deux cinéastes sont véritablement au travail.



Quoi qu'on pense de leurs films, il est évident que les Straub sont le contraire de dilettantes et que tout est extrêmement réfléchi chez eux ; on les verra ainsi chercher la trace d'un sourire dans l'expression d'un acteur avant de se rendre compte que cela induira un faux-raccord, ou vouloir faire durer un plan jusqu'à ce qu'une portière de voiture ne les force à l'interrompre. Dans ces moments là, Où gît votre sourire enfoui ? est bien plus réussi car il montre, derrière les intentions théoriques, la difficile rencontre entre des intentions cinématographiques et la réalité du matériau filmique (Straub se compare non sans pertinence à un sculpteur). Toutefois, il est souvent difficile de comprendre le pourquoi du comment et si l'on perçoit ce que recherchent les cinéastes concrètement, il nous est presque impossible de comprendre la pertinence de leurs choix dans la mesure ou l'on ne peut distinguer comment ces éléments s’intégreront dans l'ensemble du film.
Si ce documentaire de Costa n'égale pas Dans la chambre de Vanda ou Ne change rien, il reste un film immanquable pour les fans du couple Straub-Huillet... et une curiosité pour les autres.

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