dimanche 7 septembre 2014

Hommes, porcs et loups (Kinji Fukasaku, 1964)




Jiro (Ken Takakura) sort de prison et décide de se venger du clan responsable de son incarcération, clan pour lequel travaille Ichiro (Rentaro Mikuni), le frère aîné de Jiro. Le plus jeune de la fratrie, Sabu (Kin'ya Kitaôji) est quant à lui le leader d'une bande de jeunes désœuvrés et considère que Jiro et Ichiro sont responsables de la mort de leur mère ; Jiro demande de l'aide à Sabu...

Après un décevant Du Rififi chez les truands, Hommes, porcs et loups montre une très nette amélioration de Fukasaku, pourtant encore sous le signe d'un certain classicisme formel. Mais ce classicisme n'empêche pas de voir apparaître ici et là des effets plus caractéristiques de ses films de yakuzas à venir (une introduction avec des arrêts sur image, des cadrages penchés et un changement de format très déroutant lors de la fusillade finale) ; qui plus est, si son premier polar possédait un détachement pratiquement parodique, Hommes, porcs et loups est au contraire d'une noirceur de ton qui n'a rien à envier aux futurs Guerre des gangs à Okinawa ou Combat sans code d'honneur. Il s'agit pratiquement d'un huis clos (la plupart du temps, l'action est concentrée dans une cabane au milieu d'un bidonville) ou la tension ne fait que s'accentuer et dans lequel le scénario réserve suffisamment de surprises pour qu'on ne s'ennuie jamais : les personnages sont attachants et le portrait des trois frères est particulièrement réussi.



Comme dans l'un de ses films les plus personnels, le très réussi Si tu étais jeune, Fukasaku se fait peintre de la jeunesse japonaise en perdition. Mais son portait est nuancé, complexe et la sympathie du cinéaste va certainement plus du côté de l'insoumis Sabu que de ses frères qui, de part leurs connexions au milieu, sont soumis à une forme d'autorité. La bande de Sabu, en revanche, suit un fonctionnement anarchique ou l'absence d'autorité directe n'empêche pas chacun de trouver sa place. Les personnages féminins sont d'ailleurs curieusement forts : qu'il s'agisse de la compagne de Jiro ou de l'unique femme de la bande de Sabu, elles sont toutes deux des meneuses d'hommes qui n'ont rien d'innocentes victimes ou de pleurnicheuses. Tel un Sam Peckinpah japonais, Fukasaku aime les hommes contre les groupes, et les groupes contre d'encore plus gros groupes ; la séquence la plus saisissante du film montrera ainsi celui des trois frères ayant abandonné les siens marcher, le regard vide, tandis que la population du bidonville - absolument impassible depuis le début - lui lance des pierres au visage, pierres qui ne semblent même plus blesser celui qui s'est déjà condamné. La révolte est passée d'un personnage - Sabu - a un groupe, puis à la foule entière comme l'indique le titre japonais, dont la traduction littérale ("loups, porcs puis hommes") montre une idée de progression absente dans le titre français.



Les trois acteurs principaux sont impeccables. Ken Takakura, enfin dans un rôle de brute épaisse violente et sadique, est impeccable à contre-emploi de ses personnages chevaleresques des sagas Brutal tales of chivalry et Lady yakuza. Rentaro Mikuni, l'un des acteurs japonais les plus sous-estimés, livre une prestation tragique et enfin Kin'ya Kitaôji brûlait déjà d'intensité dans un rôle d'insoumis des années avant Combat sans code d'honneur 2 : Qui sera le boss à Hiroshima ?
Le seul défaut d'Hommes, porcs et loups réside dans le fait que la mise en scène n'est pas (encore) aussi explosive que le scénario le nécessitait. Il devient clair ici que Fukasaku devra inventer sa propre manière de filmer pour être en adéquation avec le chaos ambiant du monde des yakuzas ; mais Hommes, porcs et loups montre que même un Fukasaku " conventionnel " peut éclipser une bonne partie de la concurrence, tout comme dans Le Lézard Noir il montrera son talent au sein d'un univers plus pop et plus esthétisant. Une très belle réussite.

4 commentaires:

  1. Sur le style de Fukasaku, la scène de l’échange à la gare m'a fait forte impression, on a vraiment des plans penchés et un peu de caméra à l’épaule (je crois) et c'est très bien géré.
    Un des meilleurs Fukasaku des années 60, (top 5 dans le désordre:Le dragon sauvage de Hokkaido, Hommes, porcs et loups, Le Lézard Noir, Jakoman et Tetsu, La cérémonie de dissolution du gang)

    Le bidonville est promis à une longue carrière, puisqu'on le revoit dans La cérémonie de dissolution du gang, Le Caïd de Yokohama, Sous les drapeaux,l'enfer , Combat sans code d'honneur 2...

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  2. J'ai malheureusement raté le dragon sauvage..., Jakoman et Tetsu et la cérémonie de dissolution du gang lors de la rétrospective ; que veux-tu, mon assiduité fut loin d'égaler ton stakhanovisme !

    Mes Fukasaku 60's favoris sont celui-ci, le Lézard Noir et Kamikaze Club/Blackmail is my life que je t'encourage à revoir à l'aide du DVD Wild Side vu ce que tu m'avais dit sur l'état déplorables des copies de la cinémathèque.

    Autrement, j'ai trouvé " Tombe de yakuza et fleur de gardénia ", est-ce que tu avais fini par le voir ? Si oui, qu'en as-tu pensé ?

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  3. J'en avait parlé sur le topic Cinéma:C/C de ma critique:

    Tombe de yakuza et fleur de gardénia(Yakusa Graveyard): Un flic (Tetsuya Watari), en enquêtant de manière violente sur les clans yakuzas, se retrouve opposé à sa hiérarchie. Il finit par se lier avec la comptable du clan (Meiko Kaji) et un sous-chef impulsif (Tatsuo Umemiya) dégoûté par les alliances entre sa hiérarchie et la police.
    Ce film est à Police contre syndicat du crime ce que Le cimetière de la morale est à Okita le Pourfendeur: on change Bunta Sugawara pour l'incroyable Tetsuya Watari (aussi bon que dans Le cimetière...), on radicalise le propos (les chefs de la police sont joués par les acteurs qui jouent les chefs yakuzas dans les autres films, notamment Yamamori de Combat sans code d'honneur , tout un symbole) et on filme ça de manière exemplaire: les scènes de baston sont parmi les plus classes de toute la filmo de Fukasaku.
    Niveau propos, c'est aussi noir que dans Le Cimetière, pas individuellement mais au niveau du système: la police et les yakuzas sont main dans la main, l'individu est écrasé par la violence ou la drogue, l’amitié ou l'amour n'aboutissent nul part. Chef d'oeuvre.
    T'en a pensé quoi?Il est probablement dans mon top 5 de Fukasaku (je dit probablement parce que parmi les meilleurs Fukasaku j’arrive pas à les classer entre eux, donc dans le top 5 y a au moins 15 films :-) )

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  4. Je ne l'ai pas encore vu, quand ce sera le cas je l'ajouterai aux critiques de ceux vus à la rétro. Merci pour ton point de vue, ça laisse présager de l'excellent.

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