vendredi 14 février 2014

Le Combat dans l'île (Alain Cavalier, 1962)



Clément (Jean-Louis Trintignant), un jeune militant d'extrême-droite, prévoit d'assassiner à l'aide de son ami Serge un député de l'opposition. L'attentat rate, Clément et sa femme Anne (Romy Schneider) prennent la fuite et se réfugient chez Paul (Henri Serre), un ami de gauche de Clément.

Premier long-métrage d'Alain Cavalier, Le combat dans l'île s'inscrit formellement dans sa période " classique " avant que Cavalier ne prenne ses distances vis-à-vis des studios. Comme l'Insoumis qui lui fera suite, Le combat dans l'île est surtout un film qui vient démontrer la fausseté des lieux communs selon lesquels le cinéma français n'oserait aborder les sujets politiques ; le groupuscule auquel Clément appartient rappelle fortement l'OAS qui fut crée un an seulement avant la sortie du film de Cavalier. Sur ce plan, il s'agit d'une vraie réussite car le personnage est pris dans toute sa complexité, à la fois sincère, amoureux et droit mais aussi raciste, possessif et manipulé. Les critiques reprochant une soi-disant complaisance à Cavalier se heurtent à un scénario qui est très loin de glorifier Clément, surtout lors de ses face-à-face avec le sympathique et détaché Paul qui incarne une certaine gauche républicaine. En refusant autant de diaboliser que de justifier son personnage principal, Cavalier permet une réflexion trop souvent absente du cinéma politique dans lequel le message tend à primer sur le reste.



Pour se faire une idée de la mise en scène de Cavalier, il suffit d'imaginer une austérité à la Bresson appliquée à un canevas policier. Il faut louer la rigueur des quelques moments d'action (rappelons que sur ce plan, l'Insoumis sera un véritable modèle de précision de la mise en scène et du montage) comme lors de l'affrontement éponyme, ou des entraînements au sein de la cellule d'extrême-droite filmés avec une véritable objectivité documentaire. Sur un plan plus rythmique, Le combat dans l'île accuse en revanche le poids des années et fait preuve d'une baisse de régime assez visible lors de la vengeance de Clément en Amérique du sud (durant laquelle Anne et Paul parviennent à recréer une dynamique de couple dont Clément est incapable). Globalement, les volontés de mise à distance du cinéaste aboutissent parfois à un jeu guindé des acteurs (Trintignant notamment) qui semblent peiner à exprimer avec un véritable naturel les dialogues signés Jean-Paul Rappeneau, trop descriptifs et théoriques. En revanche, le charme de Romy Schneider est intact et l'histoire exploite remarquablement intelligemment son accent, qui témoigne ici d'une difficulté à s'adapter et à vivre en dehors de la tutelle de Clément ; on peut aussi apprécier une certaine liberté de ton (Schneider et Henri Serre font mention d'un avortement à mots couverts) et la capacité de Cavalier à éviter le pathos tant vis-à-vis de Clément que de Paul.



Entendre Clément et ses amis pérorer sur le déclin de l'Occident et la nécessité d'une refondation du pays autour de valeurs morales a quelque chose d'étrange aujourd'hui, car si la forme a évolué le fond du discours trouve malheureusement des résonances contemporaines. On se demande toutefois quel est le cœur du conflit selon Cavalier : une affaire purement politique - Paul est syndiqué -, un combat pour une femme ou les deux. C'est cette articulation convaincante entre les deux facettes du scénario, la politique et le drame amoureux, qui fait le prix du Combat dans l'île et qui lui permet d'éviter de devenir un pensum ou une romance à l'eau de rose. En revanche, le fait d'avoir pour personnage principal un être incapable d'évolution ou de réflexion rend son itinéraire moins captivant que celui d'Alain Delon dans l'Insoumis, dont Le Combat dans l'ïle semble parfois être le brouillon plus inégal formellement. L'un comme l'autre ayant le mérite, loin de la posture dandy d'un Jean-Luc Godard renvoyant tous les partis dos-à-dos, d'assumer une vision de gauche de la situation politique de l'époque.

Comme pour beaucoup de cinéastes français, l'indisponibilité d'une bonne partie de l'oeuvre de Cavalier en DVD et Blu-Ray relève du scandale, et on regrette amèrement d'être dans l'incapacité de découvrir son Mise à sac porté par une excellente réputation.


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