lundi 17 février 2014

La Forteresse noire (Michael Mann, 1983)




Roumanie, 1941. Un groupe de soldats allemands dirigés par le capitaine Woermann (Jurgen Prochnow) s'empare d'une mystérieuse forteresse. A la suite d'un pillage par les soldats, une brèche est ouverte et une étrange créature commence à s'attaquer aux allemands. Le major Kaempffer (Gabriel Byrne) sollicite l'aide d'un vieux savant juif, Cuza (Ian McKellen) tandis qu'un homme étrange, Glaeken (Scott Glenn) semble très bien renseigné sur le monstre.

Unique tentative de Mann dans le cinéma fantastique à ce jour, La Forteresse noire est de loin son film le moins apprécié des cinéphiles, considéré comme le raté d'une filmographie de haut niveau et un sommet d'esthétique 80's dans le pire sens du terme. Quelques irréductibles y voient en revanche un fascinant grand film malade, invoquant les difficultés connues lors du tournage et un remontage par les studios l'ayant amputé de plus de la moitié de sa durée initiale. Sans chercher à accabler ni à justifier quiconque et en se concentrant sur le résultat fini, on découvre une oeuvre qui n'est ni un insupportable ratage ni une réussite, mais un très curieux film bancal alternant des grands moments de cinéma et les scènes les plus embarrassantes jamais vues chez Mann.



Le scénario opposé ainsi deux figures maléfiques, celle du nazisme et celle du monstre, la première ayant engendré la seconde qui s'en nourrit ; il n'est sans doute pas anecdotique que le démon soit matérialisé par une sorte de golem, mythe protecteur du peuple juif qui dupe ici le professeur Cuza en lui promettant non pas l'immortalité ou l'or mais la destruction du nazisme. C'est donc un film complexe et ambigu sur le plan moral car le mal est produit par des intentions louables, et propagé par les victimes d'un autre mal qui serait son corollaire. Malheureusement, ces belles intentions sur le papier pâtissent d'un traitement pour le moins curieux des personnages. Glaeken sort de nulle part et ses pouvoirs ne sont pas réellement expliqués, d'ou un personnage qui en dépit d'une utilité cruciale dans le récit n'attire pas du tout l'empathie. Au contraire, Woermann est fondamentalement inactif et ne fait jamais quoi que ce soit d'un tant soit peu conséquent, sa disparition du récit donnant franchement l'impression que de nombreuses scènes cruciales ont été coupées au montage. La relation d'amour entre la fille de Cuza et Glaeken comme la rivalité Woermann-Kaempffer pâtissent de ces choix narratifs et on se retrouve malheureusement à observer des personnages désincarnés s'agiter devant nous. A tout ceci s'ajoutent des effets de laser complètement ratés, des ralentis encore bien plus hors de propos que lors de la fin du Solitaire et un design du monstre flirtant avec le ridicule. Certes, mais il n'y a pas que ça.



La Forteresse Noire, c'est aussi un score hypnotique de Tangerine Dream, daté mais se mariant très bien à l'action. C'est une poignée d'excellentes scènes (la confrontation entre le golem Molasar et Cuza, le superbe travelling arrière dans la grotte révélant la présence du monstre, la mémorable tentative de fuite de Gabriel Byrne dans le brouillard), c'est une fin dont la dureté retrouve certains thèmes chers au cinéaste (l'abandon de la figure aimée pour accomplir son devoir), c'est un quatuor d'excellents acteurs et une ambiance onirique que les diverses faut de gout esthétiques n'altèrent pas totalement.

Au final, La Forteresse Noire nous fait rêver moins par ce que le film est que par ce qu'il aurait pu être en bénéficiant d'un montage plus cohérent et de la durée initiale souhaitée par Mann ; en l'état, l'on se sent un peu comme les spectateurs ayant découvert en 1984 un Il était une fois en Amérique " remis en ordre ", ou ceux de la version courte de La Porte du paradis ; il nous faut néanmoins admettre qu'esthétiquement, Mann est ici très en-dessous des œuvres pré-citées. Il n'en demeure pas moins que La Forteresse Noire n'est pas du tout le nanar vilipendé ici et là, et que tout en étant le plus mauvais film de Michael Mann il est loin d'être dénué de grands moments. Bancal, onirique et fascinant.


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