Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
dimanche 25 janvier 2015
Sous les drapeaux, l'enfer (Kinji Fukasaku, 1972)
Sakie Togashi (Sachiko Hidari) se bat depuis vingt-six ans pour réhabiliter la mémoire de son mari Katsuo (Tetsuro Tamba). Celui-ci est décédé lors de la Seconde guerre mondiale, mais Sakie ne croit pas à la version selon laquelle son mari aurait été un déserteur. En désespoir de cause, elle rencontre ses anciens camarades pour découvrir la vérité.
Sous les drapeaux, l'enfer est aux côtés de Si tu étais jeune l'un des films de Fukasaku les plus personnels. Ils ont en commun le fait d'aborder frontalement une thématique récurrente dans l’œuvre du cinéaste (la guerre ici, le miracle économique nippon dans Si tu étais jeune) avec une grande crudité et l'envie de montrer l'envers du décor. Dans un cas comme dans l'autre, on aboutit parfois à un certain dogmatisme, mais Si tu étais jeune demeure plus constant et un peu plus fin. Le problème de Sous les drapeaux, l'enfer réside en grande partie dans sa structure : il oppose des scènes contemporaines durant lesquelles Sakie contacte les différents témoins de la mort de son mari, et des flashbacks, la plupart du temps en noir et blanc mais où la couleur vient parfois mettre en valeur les moments les plus forts. Le problème, c'est que les confrontations entre Sakie et les anciens militaires ne font qu'alourdir le propos et expliciter les choses déjà évidentes. Ainsi, Sous les drapeaux, l'enfer contient deux films en un : un véritable chef d’œuvre du film de guerre, et une sorte de mélodrame féminin plat et sans relief.
En effet, on peut être énervé face à la grossièreté de certaines métaphores. Tous les témoins portent en eux les séquelles de leur passé guerrier, du professeur qui tente de préserver la mémoire de guerre au commandant qui s'apprête à sortir un livre dessus, en passant par l'aveugle qui se fait symboliquement écraser par le retour de sa mauvaise conscience et le comédien de théâtre qui rejoue sur un mode bouffon une pièce se moquant de l'autoritarisme militaire. Le dialogue avec le commandant amène à un lien avec l'autre grande thématique fukasakienne, celle du boom économique de l'après-seconde guerre mondiale, mais la manière dont celui-ci est relié à la raison d'état et aux sacrifices de soldats est franchement lourdaude. Au-delà de l'aspect très explicatif du scénario, c'est également la partie durant laquelle la mise en scène de Fukasaku est le plus étonnamment académique. Sans doute est-ce lié au fait que le cinéaste est moins à l'aise avec les séquences mélodramatiques qui s'accordent très peu avec ses fulgurances baroques, mais heureusement toutes ces critiques ne s'appliquent pas aux flashbacks guerriers.
Lorsque l'on entre dans le vif du sujet, l'histoire devient autrement plus prenante. D'abord parce qu'on retrouve la mise en scène audacieuse de ses grands films : images d'archives utilisées avec virtuosité, arrêts sur images, cadrages penchés occasionnels... Les quelques moments en couleur sont d'une grande puissance émotionnelle et là ou certains films japonais tendaient parfois à occulter la part de responsabilité de leur pays uniquement vu sous un angle victimaire, le moins que l'on puisse dire est que Fukasaku remet les pendules à l'heure. Gradés fous furieux, exécutions pour l'exemple et cannibalisme sont de la partie et le moment de décapitation ratée d'un soldat égale en intensité les dernières minutes du Cimetière de la morale. Le découpage à la Rashomon est bien utilisé, car même si il aboutit à une vérité finale, non seulement celle-ci n'a rien de glorieux mais en plus elle demeurera ignorée par la version officielle fréquemment remise en question dans le film. Rarement l'obsession nippone de l'héroïsme guerrier n'a été remise en question avec autant de violence, celle-ci étant notamment représentée par l'officier qui tente de lancer une charge (non suivie) avant d'être tué inutilement au bout de quelques mètres. Ainsi, Sous les drapeaux, l'enfer est un film alternant le brillant et le pénible qui eut été une des plus grands réussites de son réalisateur si la partie contemporaine avait égalé en intensité les scènes à l'armée.
PS : la version visionnée durait environ 66 minutes sans qu'il ne semble manquer quoi que ce soit, or la durée mentionnée pratiquement partout est de 96 minutes et ce alors qu'il ne semble y avoir qu'un seul montage. Si quelqu'un possède le fin mot de l'histoire...
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Je ne suis pas du tout d'accord avec toi sur les scènes contemporaines, je trouve qu'elles sont très bien jouées (le premier témoin est bouleversant) et l'aspect métaphorique me semble raccord avec la volonté de montrer une société traumatisée même 20 ans après la défaite, et j'admire le travail de Fukasaku sur la caractérisation des personnages. La scène avec le commandant n'a pas besoin d'une mise en scène baroque pour montrer l'atrocité de l'idéologie militariste, je la trouve plus violente que la plupart des flash-backs, justement grâce au contraste avec la mise en scène.
RépondreSupprimerJe pense à un plan après le témoignage de l'aveugle, ou Sakie trébuche, et ou la caméra l'accompagne, et se relève avec elle, qui m'avait marqué parce qu'on sentait l'empathie totale du cinéaste pour son personnage.
Le fait que le film soit explicite le rend d'au temps plus critique, et tant pis pour la subtilité, c'est un truc de centriste qui écoute du Phil Collins de toute façon! :)
Pour la durée, c'est bizarre, j'ai pas regardé ma montre pendant le film, je sais pas si il durait 96 min, mais 66 ça me parait court quand même...
Ca me parait court aussi mais en même temps j'ai eu le sentiment de voir un film relativement complet (et quand je lis des critiques à gauche à droite sur le net, il n'y a pas de mention d'une scène que je n'ai pas vu ). Dans ma version il y avait sept flashbacks : l'éleveur de porcs, le comédien, l'aveugle, le professeur, le commandant puis de nouveau l'éleveur et l'aveugle.
RépondreSupprimerJe me doutais que tu ne serais pas d'accord vu ta haute estime pour le film ; je trouve les acteurs un peu inégaux justement (OK pour Noboru Mitani qui est très bien, mais le prof ou l'aveugle j'ai eu plus de mal). Je suis d'accord avec toi sur l'intérêt de la thématique sauf que les personnages deviennent un peu des pantins de cette mécanique scénaristique, ils ne sont là que pour servir un propos et j'ai souvent du mal avec ça. D'habitude, les héros de Fukasaku sont des êtres de chair et de sang avant d'être des outils didactiques.
Ca reste un film que j'ai apprécié mais que je ne fais pas figurer parmi ses grandes réussites.
C'est Augustin, Google me fait chier.
RépondreSupprimerT'as pu voir la version complète finalement?