vendredi 16 janvier 2015

Le Trésor de Cantenac (Sacha Guitry, 1950)




Le baron de Cantenac (Sacha Guitry), ruiné, projette de se suicider. Il décide de se rendre pour la dernière fois dans le village de ses ancêtres. Sur place, un centenaire (Marcel Simon) lui annonce qu'il gardait un trésor caché depuis la révolution en attendant le retour des Cantenac. Le baron décide d'utiliser le trésor pour relancer l'activité du village.

Peut-être le Guitry le plus roche de son chef d’œuvre Le Roman d'un tricheur, Le Trésor de Cantenac doit sans doute à son illustre rival le fait d'apparaitre comme quelque peu mineur dans la filmographie du cinéaste. Évidemment, Le Trésor de Cantenac n'a pas l'éclatante modernité de son prédécesseur et le fait de raconter l'histoire en grande partie par le biais d'une voix-off caustique n'est plus aussi novateur en 1950 qu'en 1936, d'autant plus que le procédé est ici moins systématique. Pour autant, la première partie est excellente ; elle permet à Guitry de présenter toute une galerie de personnages croqués avec ironie, au sein d'un village moribond peuplé d'uniquement deux familles. Certains passages (le triangle amoureux ou l'amant terrorise le mari, l'aïeul qui joue à simuler sa mort) sont très drôles et le phrasé lyrique de Guitry fait comme souvent merveille. Son personnage est assez original puisqu'il s'agit d'une sorte d'aristocrate républicain quelque peu hors du temps ; l'on pourrait croire que certains aspects plus politiques dans la satire (notamment l'instituteur socialiste) donneraient lieu à un règlement de comptes un poil réactionnaire, mais Guitry parvient à trouver le ton juste et à diluer juste ce qu'il faut d'empathie dans son jeu de massacre qui fait parfois penser à La Poison.


Si la première moitié convainc globalement, la seconde n'en retrouve pas tout à fait la verve. En effet, une fois le trésor éponyme retrouvé, la situation s'améliore et le visage reprend progressivement vie. Or, Guitry n'est jamais aussi à l'aise que dans un univers cynique et immoral et la fable humaniste ne lui permet pas d'aligner les fulgurances verbales de ses œuvres ironiques. Qui plus est, si Guitry est toujours un excellent acteur, le couple formé par sa compagne Lana Marconi (très loin de faire oublier l'élégance et le charisme de Jacqueline Delubac) et par Michel Lemoine pâtit du manque de relief des deux interprètes. Pour autant, il y a quelque chose de touchant dans l'humanité du baron et dans son désir de s'intégrer dans la bonne marche du village. Le ton plus mélancolique, plus nostalgique donné par un cinéaste entamant sa dernière décennie de cinéma se révèle finalement très attachant, de même que sa volonté de " passer le relai " aux personnages plus jeunes comme le couple Pidoux-Lacassagne.



Une grande qualité du Trésor de Cantenac réside dans sa distribution de seconds rôles. René Génin dans un double rôle (le maire et le curé qui se détestent alors qu'ils sont jumeaux et scindent la ville en deux camps), Marcel Simon en centenaire rigolard (" il a 128 ans mais en parait à peine 110 ") et l'étrange Roger Legris fou à moitié poète (ou l'inverse ?) sont excellents. Les deux derniers sont d'ailleurs ceux vers lesquels l'affection du cinéaste se dirige en priorité, ceux qu'il sauve de la férocité de son trait.
Il ne faudrait pas juger trop sévèrement le Trésor de Cantenac en le comparant à tel ou tel Guitry plus abouti ; il demeure dans la bonne moyenne d'un des cinéastes français les plus talentueux de l'histoire. Comparée à celle du Roman d'un tricheur, sa fantaisie peine à apparaitre, mais dans le contexte du début des années 50, son inventivité et sa fraicheur (les préparatifs du suicide du baron, les amoureux qui se boudent et s'imaginent l'un et l'autre différemment) s'opposent joyeusement aux tendances académiques d'une partie de la production hexagonale. Et encore une fois chez Guitry, on notera un générique personnalisé puisqu'on y voit les différents acteurs lui raconter l'histoire de Cantenac, Guitry acceptant de monter le film avec son équipe à condition de pouvoir y jouer le rôle du baron...

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