Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
samedi 24 janvier 2015
La Ville abandonnée (William A. Wellman, 1948)
Un groupe de hors-la loi menés par Stretch (Gregory Peck) dévalise une banque et s'enfuit, poursuivi par les autorités. Après avoir traversé un désert, les six survivants trouvent refuge dans une ville fantôme où vivent la jeune Miche (Anne Baxter) et son grand-père, tous deux à la recherche d'or. L’appât du gain ne tarde pas à diviser les bandits.
Dès les premières minutes, il est évident que La Ville abandonnée n'est pas un western traditionnel. La traversée du désert durant laquelle Wellman s'attarde sur les visages suants et affaiblis de la petite bande (superbe décor qu'est la Vallée de la mort) annonce la sécheresse et l'apurement des westerns de Budd Boetticher ou Monte Hellman. On pense aussi parfois à Samuel Fuller, avec notamment le plan de l'intérieur d'un fusil qu'on retrouvera dans Quarante tueurs mais aussi les rapports brutaux entre le héros et le personnage féminin (notamment une scène de baiser volé d'une violence surprenante). Il y a quelque chose d'ascétique chez Wellman, un refus à la fois du spectaculaire et des excès dramatiques ; un compagnon de Gregory Peck peut s'évanouir sous l'effet de la chaleur sans que celui-ci ne s'en émeuve outre-mesure, tandis que le règlement de comptes final est quant à lui relégué hors-champ ! Paradoxalement, La Ville abandonnée est un film constamment tendu et dont l'économie de moyen ne vient jamais diminuer le suspens, bien au contraire. Stretch est également un héros atypique : au départ, rien ne le différencie des autres bandits de son groupe. Seule la rencontre avec Anne Baxter parvient à le remettre dans le droit chemin (après que celle-ci lui a tiré une balle sur le coin de la tête !).
La thématique générale se rapproche du Trésor de la Sierra Madre : un petit groupe de personnages à la moralité douteuse s'entretuent pour de l'argent. Au sein du groupe de six, deux autres fortes personnalités se distinguent : Dude, qui ne s'intéresse qu'à l'argent, et Lenghtry le pervers qui semble toujours à deux doigts de violer la jeune femme. Il y a donc une double menace pesant sur Stretch et sur les deux habitants, avec les trois derniers membres de la bande dont la loyauté apparait comme incertaine ; mais cette menace est traitée sans lourdeur : par exemple, Walrus et Half Pint sont d'abord présentés comme deux irrécupérables avant que les choses ne se révèlent plus ambiguës. Le scénario de Burnett et Lamar Trotti tient en haleine jusqu'au bout et si la dernière scène cède un peu maladroitement au happy-end de rigueur, on n'est pas prêt d'oublier le moment ou Gregory Peck est à deux doigts de noyer John Russell. La qualité des acteurs fait beaucoup pour le film ; si un rôle de psychopathe pour Richard Widmark n'est certes pas inhabituel, l'acteur s'y prend ici avec une sobriété qui le rend d'autant plus inquiétant (à l'inverse, John Russell incarne une brute épaisse dont l'instabilité est évidente). Enfin, le couple formé par le garçon manqué Anne Baxter et le narquois Gregory Peck fonctionne excellemment.
On retrouve plusieurs décors et types de cadrage d'un autre grand western de Wellman : L’Étrange incident dans lequel Henry Fonda tentait de s'opposer à un lynchage. Si La Ville abandonnée est un poil moins ambitieux thématiquement, il est toutefois encore plus intéressant en ce qui concerne la mise en scène.
Les successions de gros plans sur chacun des personnages anticipe la manière dont Sergio Leone filmera ses bandits, le tout étant magnifié par la splendide photographie de Joseph MacDonald. Avec vingt ans d'avance sur les westerns dits révisionnistes, Wellman joue sur l'attente, sur l'absence d'action pour installer une ambiance déliquescente. Il montre aussi les limites d'un célèbre article d'André Bazin sur ce que le critique appelait " le surwestern " : opposer de manière schématique les westerns psychologiques de Stevens ou Zinnemann à la " pureté " des films Boetticher peut apparaitre séduisant, à condition de n'avoir jamais vu de westerns de Wellman qui combinent l'ambition des premiers et la sécheresse des seconds. Bref, La Ville abandonnée est une merveille.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire