Carol Hammond (Florinda Bolkan), une jeune bourgeoise, consulte un psychanalyste ; elle enchaîne en effet de curieux rêves érotiques mettant en scène sa voisine dépravée Julia (Anita Strindberg). Les rêves s'intensifient jusqu'à ce que Carole rêve de l'assassinat de Julia, assassinat qui s'avère avoir eu lieu dans la réalité.
Ce " giallo-machination ", récit placé du point de vue d'une femme que des événements poussent au bord de la folie et de la paranoïa, présente moins de parenté avec les classiques signés Bava et Argento qu'avec un autre réalisateur de gialli de seconde zone : Sergio Martino, dont l'inaugural L’étrange vice de madame Wardh sortit d'ailleurs à peine un mois avant le film de Fulci. Celui-ci partage approximativement les qualités (érotisme soft, intrigue peu crédible mais bien tenue, univers bourgeois décadent dont on ressent parfaitement l'étouffement) et les défauts (psychologie datée, acteurs limités) des films de Martino mais dépasse même les meilleurs de ceux-ci - en plus de L’étrange vice.... citons le très bon La queue du scorpion - par son ambition esthétique et ses qualités formelles.
Lucio Fulci aura été dans le cinéma de genre italien l'un des très rares cinéastes avec Bava à donner un classique au sein d'au moins quatre ou cinq genres différents abordés, l'un des plus talentueux mais aussi des plus polyvalents réalisateurs. Mais même en dehors de ses films d'horreur (L'Au-Delà, l'Enfer des zombies) le cinéma de Fulci reste sans arrêt marqué par la putréfaction corporelle et le gore. Que ce soit au sein du polar (La guerre des gangs), du western (Les quatre de l'apocalypse) ou du giallo (L'Emmurée vivante et donc ce Venin de la peur) les styles abordés sont systématiquement contaminés par une approche faisant la part belle aux grandes scènes sanglantes.
Là ou son approche est un peu plus fine que ce qu'on pourrait imaginer, c'est qu'au lieu d'utiliser le prétexte du giallo pour multiplier les scènes d'assassinat, Fulci concocte une intrigue plutôt minimaliste ou seulement deux meurtres ont lieu en tout et pour tout, et comble du comble, sont relégués hors-champ ! En réalité, les moments narratifs sont parmi les plus faibles du film et Fulci semble bien plus intéressé par la représentation du paysage mental de l'héroïne ou se succèdent les visions orgiaques et les violences dépravées la renvoyant à son statut de bourgeoise frustrée et paranoïaque. La scène d'introduction dans laquelle Florinda Bolkan court au milieu d'un train, entourée de gens nus, est un des moments les plus mémorables de la filmographie du maître, tout comme l'attaque des chauve-souris - certes en deçà de la tétanisante scène des araignées dans l'Au-Delà - ou les saisissantes tortures animalières (qui valut aux films des ennuis avec la censure, le maquilleur ayant du prouver au tribunal qu'il s'agissait de trucages). L'atmosphère d'angoisse est d'autant mieux rendue que ni les bourgeois menteurs ni les hippies défoncés présentés au fur et à mesure n'inspirent un tant soit peu confiance, personne ne semblant trouver grâce aux yeux du cinéaste. Toute la grammaire cinématographique mise en place (split-screen, zooms tarabiscotés, angles de vue désagréables) n'est pas gratuite mais au service d'un projet cinématographique poussant le spectateur à accompagner Florinda Bolkan au fur et à mesure de sa perte de repères.
Parmi les autres qualités formelles du film, on notera une belle photographie de Luigi Kuveiller (Les frissons de l'angoisse, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon) et une très belle bande-originale à la limite de l'expérimental signée par Morricone et Bruno Nicolai, qui semblent parfois broder sur les moments les plus dissonants de leur travail conjoint sur Colorado.
Sans atteindre les sommets d'Argento ou de Bava, Le Venin de la peur est un giallo faisant partie des plus beaux outsiders aux côtés de l'excellent Mais... qu'avez vous fait à Solange ? de Dallamano. Existe aussi sous un autre titre assez croquignolet : Les salopes vont en enfer.
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